PROSPECTIVEPlace forte de l’Internet, Marseille peut-elle muter en place financière ?

Place forte de l’Internet, Marseille peut-elle devenir une place financière ?

PROSPECTIVEIdéalement placée à l’interface des hémisphères nord et sud, et câblée en direct avec des marchés financiers encore émergents, Marseille pourrait avoir quelques arguments de poids pour devenir une place financière
Des traders expriment leur joie.
Des traders expriment leur joie.  - Richard Drew/AP/SIPA
Alexandre Vella

Alexandre Vella

L'essentiel

  • Infrastructure réseau et place boursière sont étroitement liées. La vitesse est notamment une dimension indispensable pour le trading à haute fréquence.
  • Le câble EllaLink permet d’atteindre « São Paulo en 150 millisecondes depuis Marseille contre 300 à 400 millisecondes depuis Londres ou Francfort », explique le dirigeant d’une filiale d’un opérateur japonais spécialisé dans les data centers et télécoms.
  • La ville est actuellement le septième hub Internet au monde. De quoi envisager d’en faire une place financière future ?

Marseille, an 2040. Comme chaque matin, à la sortie Joliette, ils se pressent dans leurs costumes tirés à quatre épingles avec leurs lunettes fumées pour rejoindre leurs bureaux. Ils ? Une armée de traders installés à Marseille, pas tant pour le soleil - quoiqu’il ne soit pas interdit de joindre l’utile à l’agréable - que pour son câblage Internet et ses données qui filent à la vitesse de la lumière. Le spectacle est devenu habituel. Une perspective exagérée et insensée, me direz-vous ? Certes. Mais pas si vite.

Aujourd’hui Marseille est le septième hub mondial de l’Internet et vise le top 5. Idéalement placée à l’interface des hémisphères nord et sud et câblée en direct avec des marchés financiers encore émergents, comme le Moyen-Orient, l’Amérique du Sud et la Chine et l’Afrique, la ville pourrait avoir quelques arguments de poids à faire valoir dans les années à venir.

La finance accro à la vitesse

« Les places boursières dépendent des infrastructures réseaux, donc des câbles optiques », résume Thomas Renault, maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste de la finance. Et la tendance sur les marchés est clairement à la « course à la vitesse ». La vitesse, une dimension particulièrement indispensable pour le trading à haute fréquence, qui consiste à exploiter les anomalies des marchés. « Par exemple, si un actif est un peu moins cher à Francfort qu’à São Paolo, on va passer un ordre d’achat à Francfort, revendre aussitôt à São Paolo pour empocher, sans risque, les petits centimes de différence », explique l’universitaire. « Mais en finance, les anomalies ne durent pas longtemps, alors c’est le plus rapide qui y parvient », poursuit-il.

Un secteur d’activité suffisamment lucratif pour qu’aux États-Unis une société ait investi dans ce but 300 millions de dollars dans un câble reliant directement les serveurs de la Bourse de New York et de Chicago, illustre Thomas Renault. « Donc sur le papier, si le trajet câblé est plus court, on aurait intérêt à être là », théorise le professeur. De quoi permettre à l’avenir aux Marseillais de tenir les cordons de la Bourse ?

São Paulo en 150 millisecondes

Un avenir auquel croît également Sami Slim, dirigeant de Telehouse France, filiale d’un opérateur japonais historique de data centers et de télécoms. « Je pense qu’à terme Marseille pourrait prétendre à une place spécialisée dans la finance, car ses routes sont spécifiques. » Par exemple, le câble EllaLink permet d’atteindre « São Paulo en 150 millisecondes depuis Marseille contre 300 à 400 millisecondes depuis Londres ou Francfort », poursuit Sami Slim. Un trajet deux fois plus court qui fait la différence dans le trading à haute fréquence.

Que les Marseillais se rassurent, la horde de tradeurs claquant leur bonus sur le Vieux-Port n’est pas pour demain. « Marseille ne sera pas le prochain Londres, ce serait exagéré », tempère le dirigeant. Des ardeurs que calme aussi Thomas Renault. « Si l’avantage compétitif est tellement évident, d’autres, plus proche, le feront aussi ». Toutefois, c’est en créant l’écosystème nécessaire que peuvent émerger des places financières. « Des dynamiques historiques l’ont déjà montré, à Tokyo ou Francfort », conclut Sami Slim.