RAPPORTPourquoi l'adaptation au changement climatique est loin d'être une option?

Changement climatique : Pourquoi l’adaptation, au cœur du nouveau rapport du Giec, est loin d’être une option ?

RAPPORTLe Giec poursuit sa grande mise à jour de l’état des connaissances scientifiques sur le changement climatique. Après un premier volet publié en août, le deuxième sort ce lundi midi et aborde l’enjeu de l’adaptation, loin d'être une option
Des familles se rafraîchissent dans une fontaine à Colmar, dans l'est de la France, le 7 août 2020, alors qu'une vague de chaleur traversait l'Europe avec des températures d'environ 40 degrés Celsius.
Des familles se rafraîchissent dans une fontaine à Colmar, dans l'est de la France, le 7 août 2020, alors qu'une vague de chaleur traversait l'Europe avec des températures d'environ 40 degrés Celsius. - Sebastien Bozon / AFP / AFP
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Le Giec publie, ce lundi midi, le deuxième volet de son rapport d’évaluation, à voir comme la synthèse, à l’instant T, à partir de dizaines de milliers d’études, de l’état des connaissances scientifiques sur le changement climatique.
  • Le premier volet, publié le 9 août dernier, portait sur les aspects scientifiques du changement climatique et faisait le constat de son intensification et son accélération. Dans ce deuxième rapport, il sera désormais question de l’adaptation.
  • Autrement dit, le Giec se penchera sur les impacts du changement climatique, présents et à venir, et les moyens d’y faire face. Un enjeu resté souvent sous les radars. Pourtant, s’en préoccuper n’est pas une option, y compris en France. Explications.

La crise climatique s’aggrave partout, à des niveaux sans précédent… Le 9 août dernier, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) répétait l’urgence de réduire nos émissions de gaz à effet de serre dans un rapport rendant compte de l’intensification et de l’accélération du changement climatique.

Il s’agissait seulement de la première partie du sixième rapport d’évaluation du Giec, une grande mise à jour des connaissances scientifiques sur le changement climatique que le groupe d’expert n’avait pas été faite depuis 2014. La suite arrive ce lundi midi avec la publication du deuxième volet* axée, cette fois-ci, sur la question des impacts du changement climatique et la façon de s’y préparer. En clair, ce lundi, on va parler « adaptation » au changement climatique. 20 Minutes vous en décrypte les grands enjeux

Qu’entend-on par adaptation ?

« Il en existe beaucoup de définitions », commence Alexandre Magnan, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) et qui a contribué à ce nouveau rapport. Avant de proposer d’en retenir une, toute simple. Mais, en clair : « l’adaptation cherche à réduire les risques climatiques, aujourd’hui et demain ». « L’enjeu est donc d’être capable d’être résilient face à des événements extrêmes qui vous touchent (cyclones, inondations, sécheresse), mais aussi d’anticiper des changements climatiques plus graduels », détaille-t-il.

Il faut aussi se mettre d’accord sur ce qu’on entend par risques climatiques. Cela ne se résume pas à évaluer la probabilité qu’un événement extrême (cyclone, sécheresse, inondation…) vous frappe de plein fouet. Alexandre Magnan ajoute, dans l’équation, les notions d’« exposition » et de « vulnérabilité », « soit les caractéristiques qui font qu’une société, par la façon dont elle s’est développée, sera exposée à cet aléa climatique et en subira des conséquences plus au moins forte ». L’adaptation est donc à la croisée de tous ces concepts, si bien que son champ d’intervention est très large, « Cela va des systèmes d’alerte tempêtes à la restauration des écosystèmes en passant par des changements d’activités économiques, de lieux de vie etc », liste le chercheur de l’Iddri.

Que va nous dire le Giec ce lundi ?

Ce rapport, plus précisément « son résumé pour décideurs » -un condensé à destination des dirigeants politiques qui accompagne chaque publication du Giec-, est en cours d’approbation, ligne par ligne, par les représentants de 200 pays réunis à huis clos depuis le 14 février. Et, jusqu’à la conférence de ce lundi midi, le contenu est soumis à un strict embargo.

Toutefois, le 23 juin dernier, l’AFP avait eu accès et publié à une version préliminaire du rapport que s’apprête à publier le Giec « et dont les conclusions ne devraient pas changer », estimait alors l’agence de presse. Le constat dressé sur ces 4.000 pages était accablant. Pénurie d’eau, exode, malnutrition, extinction d’espèces… Le Giec estimait que la vie sur Terre, telle que nous la connaissons, sera inéluctablement transformée par le dérèglement climatique sans doute bien avant 2050.

Alexandre Magnan n’en fait pas un scoop. « Les risques climatiques augmentent à l’échelle planétaire, ce point n’est plus discuté, lance-t-il. On voit déjà les impacts du changement climatique sur un certain nombre d’écosystèmes (les récifs coralliens, le permafrost, l’érosion des cotes…). » « Mais ce nouveau rapport ne se résume pas à déterminer les menaces qui pèsent sur nous, poursuit-il. Il aborde aussi les réponses concrètes à apporter. » Un chapitre qui reste à découvrir en grande partie ce lundi.

Pourquoi l’adaptation passe souvent sous les radars ?

C’est flagrant dans la finance climatique, en particulier à travers les 100 milliards de dollars que les pays du Nord avaient promis de mobiliser chaque année, à partir de 2020, pour les pays du Sud, lors de la COP15 de Copenhague (2009). Non seulement le montant n’est pas atteint à ce jour, « mais, à ce jour, les aides sont fléchées bien plus sur l’atténuation (réduire les émissions de gaz à effet de serre) que l’adaptation (aux conséquences actuelles et à venir du changement climatique), regrette Fanny Petitbon, responsable plaidoyer à Care France. L’accord de Paris exigeait pourtant un équilibre entre les deux. »

Comment l’expliquer ? « Le choix a longtemps été fait de se concentrer sur l’atténuation en pensant qu’on éviterait ainsi d’avoir à se pencher sur l’adaptation », raconte Fanny Petitbon. Une stratégie dont on sait qu’elle ne tient plus aujourd’hui. « Les impacts du changement climatiques nous affectent déjà, en particulier les pays du Sud, les moins émetteurs et pourtant les plus exposés, reprend-elle en y votant une des raisons pour lesquels les pays du Nord rechignent à allouer des fonds à l’adaptation : « ils sont mal à l’aise, car placés devant leurs responsabilités. »

Huit cent (nouveaux) millions de dollars ont été promis à la COP 26 de Glasgow, cet automne, aux pays du Sud au titre de cette adaptation. « Mais on reste loin des 300 milliards de dollars que le Programme des nations unies pour l’environnement (PNUE) estime nécessaire de réunir par an, d’ici 2030 », compare Fanny Petitbon. Elle espère alors que le rapport du Giec soit un appel de plus à accélérer sur l’adaptation. « Mais qu’il en pointe aussi les limites, notamment dans les territoires où les populations n’auront d’autres choix que de migrer** », ajoute-t-elle.

Pourquoi l’adaptation n’est pas non plus une option en France ?

Des épisodes de sécheresse menaçant la production agricole et dégradant les forêts, des conditions propices aux incendies qui se déplacent vers le nord et arrivent plus tôt dans l’année, une réduction de l’enneigement qui met en péril l’économie des montagnes… « L’Europe et la France connaissent et connaîtront dans les dix ans à venir ces impacts du changement climatique », rappellent Alexandre Magnan et d’autres chercheurs dans un billet paru ce vendredi matin.

Une invitation donc à prendre cet enjeu à bras-le-corps. Ça commence, à écouter Vivian Depouès, chef de projet « adaptation au changement climatique » à l’Institut de l’Economie pour le climat (I4CE), parmi les auteurs. « L’adaptation était au coeur des Assises de la forêt [qui vient de se conclure], l’épisode de gel tardif, en avril dernier, a conduit à une réforme de l’assurance agricole en cours d’adoption et des grandes villes s’emparent aussi du sujet », se félicite-t-il.

Mais le constat, largement partagé, est que la France n’est pas encore à la hauteur des enjeux. Vivian Depouès pointe notamment le peu de discussions encore sur le niveau d’adaptation à viser là où l’enjeu est pris en compte. « Pour la première fois, la nouvelle réglementation thermique des logements prend en compte le critère du « confort d’été », illustre-t-il. Mais le niveau de référence pris est celui de la canicule de 2003 quand celles à venir sont potentiellement bien plus intenses. » Surtout, le chercheur d’I4CE regrette que l’adaptation soit encore « en dehors des radars » dans bien des secteurs pourtant concernés. « La modernisation des réseaux de transport, la rénovation énergétique des logements, l’aménagement de nouveaux quartiers… », liste-t-il.

Il faut un « moment politique » fort sur l’adaptation en France », « dès le début du quinquennat », demandent les auteurs du billet. Bonne nouvelle : « on a une idée de plus en plus précise de ce qu’il faudrait mettre dans les politiques d’adaptation… et ce n’est pas forcément plus cher », assure Vivian Depouès.

* Le Giec se composte de trois groupes de travail. Le groupe 1 étudie les aspects scientifiques du changement climatique, le groupe 2 les conséquences, la vulnérabilité et l’adaptation au changement climatique, et le groupe 3 l’atténuation. La contribution de ce dernier groupe au sixième rapport d’évaluation du Giec est attendue en avril.

** Le Bangladesh pourrait perdre par exemple 11 % de ses terres en raison de l’élévation du niveau de la mer, selon les estimations actuelles", rappelait Mrityunjoy Das, coordinateur de programme humanitaire pour Care dans ce pays d’Asie, mardi dernier lors d’une conférence de presse de l’ONG sur les impacts du changement climatique dans les pays du Sud. "Dix-huit millions de personnes seraient contraintes de quitter les zones côtières d’ici à 2050", indiquait-il.

*** Dont la géographe Magali Reghezza, maître de conférences à l’Ecole normale supérieure (ENS) et membre du Haut conseil pour le climat.