INTERVIEWAprès les attentats de 2012, Jonathan « mesure sa chance » d'avoir survécu

Attentats de Mohammed Merah : Jonathan, ancien élève d’Ozar Hatorah, « mesure le cadeau que ça peut être de vivre »

INTERVIEWDix ans après l’attentat qui a coûté la vie à quatre personnes au sein de l’école d’Ozar Hatorah, Jonathan Chétrit, élève présent lors de la tuerie perpétrée par Mohammed Merah, sort un livre de témoignages
Jonathan Chetrit, ancien élève de l'école juive Ozar Hatorah, a écrit un livre de témoignes sur cette journée du 19 mars 2012 où trois enfants et un enseignant ont été assassinés.
Jonathan Chetrit, ancien élève de l'école juive Ozar Hatorah, a écrit un livre de témoignes sur cette journée du 19 mars 2012 où trois enfants et un enseignant ont été assassinés. - B. Colin / 20 Minutes / 20 Minutes
Béatrice Colin

Béatrice Colin

L'essentiel

  • Il y a dix ans, le 19 mars 2012, Mohammed Merah pénétrait dans l’enceinte de l’école Ozar Hatorah à Toulouse et tuait trois enfants et un enseignant.
  • Dans un livre poignant Toulouse, 19 mars 2012, L’attentat de l’école Ozar Hatorah par ceux qui l’ont vécu, Jonathan Chétrit, élève présent lors de la tuerie, a recueilli les témoignages des victimes de ce troisième attentat perpétré par le terroriste toulousain.
  • Un moyen pour lui de faire un devoir de mémoire mais aussi de mettre en lumière la parole de ces victimes.

Le 19 mars 2012 à Toulouse, un homme à scooter, Mohammed Merah, pénétrait à 7h56 dans l’enceinte de l’école juive Ozar Hatorah. Il y assassinait froidement trois enfants et un enseignant. Dix ans plus tard, Jonathan Chétrit, un élève présent le jour de la tuerie, livre dans un ouvrage* les poignant témoignages d’élèves, mais aussi de leurs enseignants et parents.

Ce récit brut, sans artifice, retranscrit toute l’horreur de ce qu’ont vécu ce jour-là des dizaines de personnes. Rien n’y est occulté, ni les massages cardiaques pratiqués par des adolescents sur Myriam, Arié et Gabriel, ni la découverte du corps inanimé de Jonathan Sandler, leur professeur. Un devoir de mémoire pour Jonathan Chetrit, aujourd’hui âgé de 27 ans. Mais pas seulement.

Comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre ?

J’ai toujours eu en tête un projet d’écriture au sujet de l’attentat. Très rapidement, nous avons été amenés à mettre par écrit ce que nous avions vécu parce que l’on rentrait dans des process judiciaires. Je l’avais fait avant à titre personnel, j’avais compris qu’il y avait un intérêt à écrire. Et pendant le confinement j’ai eu un déclic, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire de collectif. J’ai lancé un appel aux anciens élèves de l’école. Je leur ai demandé s’ils voulaient partager avec moi leur ressenti.

« La France n’a pas forcément pris conscience de ce qui s’était passé ce 19 mars » »

Les élèves avaient très peu témoigné jusqu’alors. Cela a été dur de les convaincre ?

La plupart de ceux qui témoignent ne l’avaient jamais fait auparavant. J’ai senti chez eux une urgence, comme s’ils avaient besoin de le faire, comme s’ils n’attendaient que ça pour le faire. Je voulais que chacun se sente libre de dire ce qu’il avait à dire. Et puis j’avais cette légitimité d’être un ancien élève de l’école, c’est ce qui m’a permis de faire ce travail car on se connaît tous.

Pourquoi avoir écrit ce livre ? Par devoir de mémoire ?

Pour plusieurs raisons. La première c’est celle donner la parole aux élèves, leur donner enfin la possibilité de s’exprimer, de dire ce qu’ils ont vécu, indirectement de les mettre aussi en lumière. La France n’a pas forcément pris conscience de ce qu’il s’était passé ce 19 mars. On est passé trop vite à autre chose. Il y a aussi un devoir de mémoire, celui de remettre en lumière les victimes, redonner une place à la mémoire collective des victimes.

Vous dites qu’on est passé à autre chose. Avez-vous le sentiment que les attentats de 2012 ont été moins pris en compte que ceux de 2015 ?

Quand j’ai vu en 2015 les manifestations et les marches qui se sont mises en place, honnêtement ça m’a fait mal. C’était bien que cela se passe pour le Bataclan, pour Charlie Hebdo, mais honnêtement je me suis dit où étaient tous ces gens en 2012.

« On a parlé d’une école juive, d’enfants juifs, mais en fait on a oublié dire que c’est une école de la République française, que ces enfants avant d’être juifs étaient Français ». »

Comment expliquez-vous cette différence de réaction entre 2012 et 2015 ?

Il y a plusieurs éléments qui me permettent de répondre à ça, même si je ne l’explique pas vraiment. D’abord, c’était la première fois en France que cela se passait, sur ce mode opératoire : un homme descend de son scooter, tire et repart chez lui. On parle de loup solitaire, on ne l’a absolument pas pris dans un schéma djihadiste, dans un parcours hyper organisé. Au contraire, quand on dit que c’est un loup solitaire, ça veut dire qu’il a pris l’initiative de le faire tout seul, ce qui se révélera être complètement faux. Le deuxième élément, c’est que c’était très violent et très brutal. Les Français n’étaient pas forcément prêts. Que le déni ait occulté cet événement, c’était plus simple que de s’en soucier. Evidemment les médias ont aussi joué un rôle, le peu dont on a parlé de ces victimes-là on les a catégorisées comme des militaires, mais c’était avant tout des Français.

Quand il y a eu l’attentat à l’école, on a parlé d’une école juive, d’enfants juifs, mais en fait on a oublié dire que c’est une école de la République française, que ces enfants avant d’être juifs ils étaient Français. Que cette école est sous contrat, que ses enseignants ne sont pas de confession juive. Cela aurait pu être Fermat, Ozenne, Raymond-Naves… On a trop mis l’accent sur école juive, enfant juif, militaire. C’est pour cela que ça a mis une distance énorme entre les Français et les victimes.

Les élèves n’avaient pas pu exprimer cette douleur jusqu’à présent ?

Je crois qu’après l’attentat, il y a eu très vite ce besoin et cette nécessité de reprendre notre vie. C’était aussi une demande du directeur. On s’est vite remis dans les cours, dans une vie plus ou moins normale. Et aussi face à Eva Sandler, face à Monsieur et Madame Monsonego, on ne pouvait pas montrer de signes de faiblesse, pour eux on se devait d’être forts. Dans la façon dont ils ont réagi, nous avons puisé notre énergie. Quand il reviendra un mois après, il nous a fait un discours où il nous a dit : "On va se battre, on va avancer ensemble." Ce sont des modèles de résilience, de courage, de la force, il y a beaucoup de dignité. Si on s’est relevé c’est parce qu’on avait ces modèles en face de nous, on ne pouvait pas faire autrement.

Comment arrive-t-on à aller de l’avant, à penser à autre chose quand on a 17 ans ?

Pour ma part, je ne me suis pas trop posé de questions non plus. Malgré toutes les difficultés, les conséquences, les séquelles, le stress post-traumatique, j’ai foncé tête baissée. Je me suis dit que j’avais une chance incroyable, que la finalité aurait pu être encore plus dramatique. Il avait prévu de faire beaucoup plus de dégâts que ça, on a cette chance que son arme se soit enrayée. On a très vite mesuré notre chance. La vie elle prend une autre tournure, on mesure le cadeau que ça peut être de vivre tous les jours. J’ai envie de mettre à profit chaque journée, ça aurait pu s’arrêter. Il faut se rendre utile, faire de bonnes choses, profitez de la vie et vivre pleinement car Arié, Gabriel, Myriam et Jonathan ont été tués bien trop jeunes, ils avaient plein de belles choses encore à accomplir. De les accomplir, c’est aussi leur rendre hommage.

Ce n’est pas dur de revenir à Toulouse ?

Ce n’est pas dur, c’est même un besoin, presque vital. Après l’attentat, je suis allé à Paris pour faire mes études universitaires, mais j’ai repris l’habitude de venir à Toulouse, je passe même des week-ends au sein de l’école. J’ai ce besoin d’être sur place, auprès du directeur même aujourd’hui.

Est-ce important cet hommage soit public ?

Je suis pour les hommages privés et dans l’intimité. Mais c’est aussi très important que des officiels et les autorités publiques ont un petit peu pris ça en main, surtout pour les dix ans. Que l’on puisse s’en souvenir et s’en parler, c’est très important.

*« Toulouse, 19 mars 2012, L’attentat de l’école Ozar Hatorah par ceux qui l’ont vécu » – Editions Albin-Michel.