SIGNESLorsque l’astrologie s’immisce dans les processus de recrutement

« J’étais sceptique à l’idée d’embaucher une Scorpion » … Lorsque l’astrologie s’immisce dans les processus de recrutement

SIGNESMême si la pratique flirte avec l’illégalité, l’astrologie – dont c’est la Journée internationale ce dimanche – est parfois utilisée dans les processus de recrutement
L'astrologie est utilisée par certains RH lors des recrutements
L'astrologie est utilisée par certains RH lors des recrutements - Tumisu (montage). / Pixabay
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Vous ne le savez peut-être pas, mais votre mois de naissance peut jouer en votre (dé) faveur lors d’un entretien d’embauche.
  • Car des RH utilisent parfois l’astrologie – dont c’est la Journée internationale – lors des processus de recrutement​.
  • Un usage qui n’a rien de nouveau dans cette profession, mais qui n’est pas sans poser de sérieux problèmes d’éthique professionnelle.

«J’étais sceptique à l’idée d’embaucher une Scorpion. On avait déjà deux Lions dans l’équipe, ça aurait fait beaucoup de forts caractères pour que ça s’entende bien », confie Elodie*, RH admettant ne pas pouvoir s’empêcher de regarder le signe astrologique d’un candidat au moment de lire un CV. « Si le candidat détaille sa date de naissance, ça va forcément m’influencer. Je sais que ce n’est pas bien vu, mais c’est plus fort que moi. Avec les confinements, la numérisation et les visios, on a peu de moyens de connaître vraiment un candidat. L’astrologie, ça reste une piste comme une autre… ».

« Une piste comme une autre », mais fortement déconseillée par le Code du travail. Notamment depuis la circulaire DRT 93-10 du 15 mars 1993, indiquant qu’il est « inopportun de recourir à des méthodes aux résultats aléatoires, telles que l’astrologie, la numérologie, voire la graphologie, dont la validité prédictive du point de vue de l’aptitude à l’emploi n’est nullement établie ». Cette même année, une étude du laboratoire de psychologie de l’université Bordeaux-II indiquait qu’un recrutement sur dix se décide après l’arbitrage d’astrologues, de graphologues, de numérologues, de gestuologues. Puis en 2007, une étude menée par le cabinet Oasys montrait que 5 % des recruteurs reconnaissaient – anonymement – que le signe astrologique du candidat pesait dans la balance (sans mauvais jeu de mots). Et si 5 % l’admettent, combien le font sans l’avouer ?

Une expansion de l’astrologie

« On manque de données depuis ces études, confesse le professeur de gestion Jean-François Amadieu, auteur de DRH : Le livre noir (Edition Le Seuil, 2013). Ce qui est certain, c’est que le milieu des ressources humaines est extrêmement perméable à ce genre de croyances. Croyances qui se sont développées dans la population depuis des décennies ».

Selon un sondage Ifop mené avec la Fondation Jean Jaurès, en 2020, 41 % des Français croyaient en l’astrologie, soit 8 points de plus qu’en 2000. Les catégories professionnelles supérieures ne sont pas épargnées par le phénomène (38 %), pas plus que les titulaires de hautes études (38 % des Bac + 3 ou plus). « C’est un phénomène qui s’est infiltré dans toute la population, bien sûr que les RH sont touchés aussi », ajoute Jean-François Amadieu.

« Les astres mentent moins que les gens »

« La personnalité compte autant que les compétences dans le travail d’équipe. Le Capricorne et sa fidélité, le Vierge et sa loyauté, le Verseau et son dévouement… Ce sont des qualités qui peuvent peser pour déterminer un candidat », revendique Sophie *, RH dans une grande entreprise. Pour elle, « les astres ne mentent pas plus qu’une personne en entretien qui joue un poste, ils mentent même moins ». Elle étire encore l’argument : « Face à des candidats désormais surpréparés, qui ont appris sur le bout du doigt tous les codes et les phrases à dire, l’astrologie permet parfois de faire le tri ».

« Je sais bien que beaucoup pensent que ce sont des bêtises, abonde Martin *. Vous pouvez me dire ce que vous voulez, le profil des candidats correspond souvent parfaitement à leur signe astrologique. » Le RH se veut ensuite rassurant : « Bien sûr, on ne sélectionne personne juste sur son signe astro. C’est la cerise sur le gâteau pour déterminer un recrutement, pas l’élément décisif. Je ne vais exclure personne parce qu’il est Gémeaux. Je ferais juste attention à certaines réponses lors de l’entretien. »

L’idée du moindre mal

Tous évoquent une même difficulté à pouvoir cerner les gens et un désir de compléter avec d’autres informations, qu’importe la validité scientifique de leur provenance. C’est à peu près la même logique avec la graphologie, technique censée permettre de déduire des caractéristiques psychologiques d’un individu à partir de son écriture manuscrite, « et massivement utilisé dans les processus de recrutement jusque dans les années 2000 », étaye Jean-François Amadieu.

Une pratique rendue caduque par le développement des lettres tapées sur ordinateur. « Quel mal fait-on avec l’astrologie ?, s’interroge Sophie. On rassemble juste un maximum d’éléments en notre possession, sans en faire prévaloir un. Il faut bien le connaître ce candidat, non ? » Petit rappel par Frédérik Cousin, fondateur de l’agence de recrutement Refea : « On juge un candidat sur le triptyque personnalité-compétences-motivation. Il est facile de faire une évaluation objective pour les compétences, mais la personnalité doit aussi être étudiée rationnellement, et non avec des pseudosciences. »

Un sujet devenu tabou

Jean-François Amadieu note cependant une évolution : « par rapport aux années 1980, le sujet de l’utilisation de l’astrologie dans le recrutement est devenu tabou et ne se montre plus au grand jour ». Même constat chez Frédérik Cousin : « En quinze ans de carrière, aucun RH ne m’a ouvertement parlé d’astrologie. Les seuls cas d’astres que j’ai vus, ce sont des candidats qui demandaient le signe de leur potentiel futur manager ».

« L’astrologie, il ne faut pas en parler, au risque de passer pour une non-professionnelle, poursuit Elodie. On sait que c’est utilisé dans le recrutement, mais ça ne se dit pas. » Même analyse chez Martin : « Quels que soient nos succès de recrutement, on ne peut jamais dire qu’on les a eus grâce à l’astrologie. On le garde pour soi. De toute façon, c’est un métier où il faut être modeste ». Sans doute son côté Bélier qui lui fait dire ça.

* Les prénoms ont été modifiés