ANNEES FRICComment Paris fait les fonds de tiroirs pour sauver ses investissements

Paris : Comment la mairie fait les fonds de tiroirs pour sauver ses investissements

ANNEES FRICConfrontée à la crise sanitaire et au désengagement de l’Etat, la mairie de Paris est un peu à sec quand il s’agit de financer ses investissements
Anne Hidalgo contemple les dégâts financiers provoqués par la crise sanitaire.
Anne Hidalgo contemple les dégâts financiers provoqués par la crise sanitaire. - Olivier Juszczak / 20 Minutes / Pixpalace
Guillaume Novello

Guillaume Novello

L'essentiel

  • Avec un peu plus de 10 milliards d’euros, la mairie de Paris présente le plus gros budget d’une collectivité territoriale en France.
  • Ce qui ne l’empêche pas de devoir compter ses sous pour payer ses investissements, surtout avec le désengagement financier de l’Etat et après la crise sanitaire.
  • Pour, Marie-Claire Carrère-Gée, présidente (LR) de la commission des finances au Conseil de Paris, « la mairie augmente tout ce qui ne se voit pas sur la feuille d’imposition ».

La mairie de Paris se trouva fort dépourvue quand la crise fut venue, serait-on tenté d’écrire pour paraphraser La Fontaine. Alors on exagère (un peu), mais la situation financière de la ville de Paris animera, à n’en pas douter, le prochain Conseil de Paris, comme cela avait été le cas lors du précédent (du 8 au 11 février). L’opposition brandit le chiffre de 6,6 milliards de dettes en 2020 tandis que la municipalité assure que tout est sous contrôle et que c’est la faute au Covid-19 et au désengagement de l’Etat. Evidemment il y a du vrai et du faux un peu partout, mais essayons d’y voir plus clair en nous basant sur le rapport de la Chambre régionale des comptes.

Avant d’aller plus loin, il est important de comprendre comment fonctionne le budget d’une collectivité locale comme la mairie de Paris (10,1 milliards d’euros). En gros, il y a d’un côté les dépenses de fonctionnement (salaires, coûts de fonctionnement, etc.) pour 8,2 milliards d’euros et les dépenses d’investissement (1,9 milliard). Pour financer les premières, la mairie perçoit des recettes de fonctionnement (taxes, droits de mutation, tarifs de crèches, etc.). Normalement celles-ci font plus que couvrir les dépenses de fonctionnement et le surplus est appelé capacité d’autofinancement ou épargne brute. Cette dernière sert à financer les dépenses d’investissement. En général, et c’est une situation normale, elle ne peut les financer entièrement, c’est pourquoi la collectivité a recours à l’emprunt pour compléter.

Comment investir quand on n’a pas les sous ?

Or, sous les mandats Hidalgo, la mairie de Paris a décidé de mener une politique ambitieuse d’investissements, par exemple la rénovation du site tour Eiffel. Un choix politique qui s’entend. Mais problème, la mairie de Paris n’a pas une épargne brute très élevée. La Chambre régionale des comptes (CRC) indique d’ailleurs que « la comparaison des taux d’épargne brute [rapport entre épargne brute et recettes de fonctionnement] avec Lyon et Marseille révèle le caractère durablement faible de l’autofinancement de la Ville de Paris ». Ainsi, de 2015 à 2019, selon les chiffres du rapport, le taux ne dépasse jamais les 7 % à Paris quand il ne descend jamais sous les 10 % à Lyon et Marseille.

Pour financer « une politique d’investissement ambitieuse avec un cumul de dépenses de 6,994 milliards d’euros de 2015 à 2019 », la mairie a eu recours à deux moyens principaux. La dette, qui est passée de 4,67 à 6,62 milliards d’euros entre 2015 et 2020. Et la vente du patrimoine de la ville. « La Ville a réalisé un peu plus d’un milliard d’euros de cessions entre 2015 et 2019 », précise la CRC. « La vente des bijoux de famille », comme le dénonce Marie-Claire Carrère-Gée, conseillère d’opposition et présidente de la commission des finances au Conseil de Paris.

Pas touche à la taxe foncière

Mais comme ces deux solutions ne sont pas pérennes dans le temps, la mairie de Paris tente de gonfler ses recettes de fonctionnement. Et on a parfois l’impression qu’elle tente de faire les fonds de tiroir avec un tabou, le taux de la taxe foncière – assez bas à Paris – car « la municipalité est attentive au pouvoir d’achat des Parisiens », selon Paul Simondon, adjoint à la maire de Paris en charge des finances. Mais pour le reste, la Ville gratte où elle peut. Par exemple, elle « réclame à l’établissement public en charge de la restauration de Notre-Dame une redevance d’occupation du domaine public de 25 millions d’euros par an », s’agace Marie-Claire Carrère-Gée. Une demande légitime au regard du droit mais qui a fait polémique.

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C’est aussi la technique des loyers capitalisés. Ainsi, explique la CRC, « la Ville de Paris confie aux bailleurs sociaux parisiens des logements pour qu’ils soient versés dans le parc social ». Elle le fait via des baux emphytéotiques administratifs. Or la ville de Paris peut « demander aux bailleurs sociaux la capitalisation, en un seul versement, de toutes les redevances dues sur la durée des baux [conclus le plus souvent pour soixante ans] ». Les fonds ainsi récupérés sont normalement affectés en recettes d’investissement mais, sous réserve d’une dérogation gouvernementale (que la mairie obtient toujours), ils peuvent figurer en recettes de fonctionnement. Une astuce comptable qui a « permis à la Ville de Paris d’équilibrer son budget », note la CRC, qui précise néanmoins que la Ville « s’est durablement privée de ressources de financement pour l’avenir ».

« Ça va pleuvoir sur les Parisiens »

Toujours en quête de nouvelles recettes, « la mairie augmente tout ce qui ne se voit pas sur la feuille d’imposition, dénonce Marie-Claire Carrère-Gée. Il y a la création d’une nouvelle taxe de stationnement sur les deux-roues moteur, l’autorisation d’occupation temporaire pour les déménagements qui est devenu payante au 1er mars, la suppression des périodes de zones gratuites, le stationnement payant étendu aux bois de Boulogne et de Vincennes, et le projet de réforme des redevances que paient les commerçants. » Et Marie-Claire Carrère-Gée de conclure : « Ça va pleuvoir sur les Parisiens ! »

En revanche, Paul Simondon promet que la situation financière est « saine et en amélioration ». Mais surtout il dénonce un « désengagement de l’Etat qui produit un choc en recettes ». Ainsi la fameuse DGF (dotation globale de fonctionnement) versée par l’Etat à la mairie s’est effondrée (de 1,2 milliard en 2013 à 53 millions en 2020) tandis que la péréquation horizontale a été renforcée obligeant Paris à donner plus aux villes défavorisées. Et plus technique, les diverses réformes territoriales ont conduit au transfert de parts de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE, ancienne taxe professionnelle) à la Métropole du Grand Paris et à la région. Bien sûr la mairie de Paris reçoit une compensation, mais fixe, alors que le produit des taxes augmente tendanciellement. « Au total, l’effet cumulé de la baisse de la DGF (610 millions d’euros), du renforcement de la péréquation (384 millions d’euros) et du manque à gagner sur l’évolution de la CVAE (190 millions d’euros) représentait pour la Ville une perte de recettes de 1,184 milliard d’euros en 2020 », écrit la CRC. Ce qui fait beaucoup.

Le Covid coûte cher, très cher

A cela s’ajoute l’inévitable crise sanitaire, qui a eu un double effet négatif pour les finances parisiennes. D’abord, la mairie a engagé des dépenses supplémentaires pour lutter contre l’épidémie et ensuite la crise a affecté les recettes, comme la taxe de séjour. « Il en est résulté un coût net (estimé par la Ville à 710 millions d’euros) qui est entièrement à l’origine du déficit de l’épargne brute en 2020 et de l’accroissement de la dette (5,88 milliards d’euros à la fin 2019 à 6,62 milliards d’euros à la fin 2020) », indique le rapport de la CRC. Et Paul Simondon de pointer le faible soutien de l’Etat. « Contrairement à des villes comme Nice ou Toulon, nous n’avons presque rien touché du Plan de relance, seulement 30 millions, se désole l’élu. Et l’Etat ne tient même pas ses engagements. Nous avons dépensé pour 50 millions d’euros pour des masques que l’Etat s’était engagé à rembourser à hauteur de 17 millions. Et au prétexte qu’on en a distribué aux agents de la ville, on n’a touché que 2 millions d’euros. » Un recours est d’ailleurs en cours à ce sujet.

Et pour le budget 2022, ça se complique déjà. « La dérogation du gouvernement porte sur des montants de loyers capitalisés moins élevés que prévu, donc la municipalité va avoir du mal à arriver à l’équilibre », prédit Marie-Claire Carrère-Gée. De même la mairie avait prévu 39 millions d’euros de recettes pour le stationnement payant des deux roues, mais celui-ci a été reporté en septembre… Face à ces difficultés, et de manière plus générale, Paul Simondon espère que « la question de l’autonomie financière de Paris sera posée auprès du prochain président ». Vu que le favori des sondages promet de supprimer la CVAE, ça n’en prend pas la bonne direction…