Guerre en Ukraine : Un mois après l’invasion russe, « la dynamique est en train de s’inverser »
ANALYSE•Face aux contre-offensives ukrainiennes, l’armée russe est contrainte d’adopter des positions défensives autour de KievPhilippe Berry
L'essentiel
- Le 24 février dernier, Vladimir Poutine ordonnait l’invasion de l’Ukraine, misant sur une guerre éclair.
- Mais un mois plus tard, les forces ukrainiennes font plus que résister.
- Avec le regard du lieutenant général à la retraite Ben Hodges, ex-commandant des forces américaines en Europe, 20 Minutes revient sur quatre semaines de conflit.
De notre correspondant aux Etats-Unis,
Rien ne se déroule comme prévu pour Vladimir Poutine en Ukraine. Le président russe était persuadé, selon la CIA, que son « opération militaire spéciale » lui permettrait de capturer Kiev en 48 heures et de rapidement décapiter le gouvernement ukrainien. Mais un mois après le début de l’invasion russe, les forces ukrainiennes font plus que résister : depuis deux jours, elles mènent des contre-offensives sporadiques autour de leur capitale. Et même si rien n’est gagné pour Volodymyr Zelensky, « la dynamique est en train de s’inverser », estime pour 20 Minutes le lieutenant général à la retraite Ben Hodges, ex-commandant des forces américaines en Europe. Retour sur quatre semaines de conflit.
24 février – 4 mars : Le choc et l’effroi
Le 24 février, Vladimir Poutine mise sur une guerre éclair. En fin de nuit, un déluge de bombes et de missiles de croisière s’abat sur une quinzaine de villes ukrainiennes, y compris sur Lviv, près de la frontière polonaise. Dès les premières heures, une bataille cruciale se joue à Hostomel, dans la banlieue nord-ouest de Kiev, pour le contrôle de l’aéroport Antonov. Des hélicoptères russes et des forces spéciales Spetsnaz en prennent d’abord le contrôle au matin.
Selon le renseignement ukrainien, Moscou est alors sur le point de faire décoller 18 avions de transport militaire IL-76 capables d’embarquer 2.000 parachutistes au total. Qui auraient ensuite pu participer à l’assaut de Kiev, à 30 km de là. Mais la 4e Brigade de réaction rapide de la Garde nationale ukrainienne arrive en renfort avec des unités d’artillerie. Et parvient à suffisamment résister pour que Moscou abandonne son projet, raconte le Wall Street Journal. Si l’armée russe finit par sécuriser l’aéroport après 48 heures, le ministre ukrainien de la Défense assure que la piste a été trop endommagée pour être utilisée par Moscou pour un pont aérien.
Dans le reste du pays, les forces russes progressent surtout dans l’est, au Donbass, et dans le sud. La ville portuaire de Kherson tombe le 2 mars. Mais Kharkiv, au nord, résiste. Dans la nuit du 3 au 4, des tirs russes touchent la centrale nucléaire de Zaporijjia. Les leaders internationaux montent au créneau.
5-21 mars : Enlisement et siège de Marioupol
Après un peu moins de deux semaines de conflit, la machine russe commence à montrer ses limites. L’encerclement de Kiev, annoncé comme imminent, ne s’achève pas. Un gigantesque convoi militaire de 60 km de long reste bloqué pendant plus d’une semaine, paralysé par des problèmes de logistique et de ravitaillement. Ben Hodges, qui loue la résistance ukrainienne, éreinte Poutine : « C’est un échec spectaculaire à tous les niveaux. La Russie est loin d’avoir les effectifs ou les capacités nécessaires pour réaliser ses objectifs. »
En plein enlisement, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, craint que « le pire soit à venir avec une guerre de siège (…) comme à Alep ou Grozny ». Ou à Marioupol. Dans ce port stratégique de la mer d’Azov encerclé, la situation humanitaire empire, avec plus de 200.000 civils qui attendent d’être évacués. Environ la moitié finit par l’être via des corridors humanitaires malgré des violations russes. Le 9 mars, une frappe russe touche une maternité, faisant, selon Kiev, trois morts et 17 blessés. Une semaine plus tard, c’est le théâtre de la ville qui est partiellement détruit.
Désormais, des navires russes stationnés dans la mer Azov participent aux frappes. Melinda Haring, directrice adjointe du centre pour l’Eurasie à Atlantic Council, un influent think-tank américain, rappelle l’importance stratégique de Marioupol : conquérir la ville permettrait de « connecter le Donbass occupé et le sud de l’Ukraine ». De quoi offrir à Moscou un « pont terrestre direct entre la Russie et la Crimée ».
22-24 mars : Les contre-offensives ukrainiennes
Depuis 48 heures, les forces ukrainiennes affirment avoir repris plusieurs villes ou banlieues stratégiques. Si la reconquête complète de Marakiv, à l’ouest de Kiev, a été démentie par le maire, l’armée russe a reculé de 30 km, mercredi, à l’Est de Kiev, affirme le Pentagone. Selon qui la Russie « se retranche et établit des positions défensives » pour protéger ses gains.
A l’ouest de Kiev, « on pourrait être sur le point de voir les forces russes encerclées, ce qui serait une victoire majeure » pour Kiev, analyse le général retraité Ben Hodges. Qui rappelle que maintenir des routes d’approvisionnement ouvertes pour acheminer l’aide humanitaire – et surtout militaire – de l’Occident est critique.
La suite : Guerre d’usure et l’inconnue Poutine
Ben Hodges avertit : « les civils ukrainiens vont continuer d’être tués ». Le général retraité américain réclame « un véritable pont aérien », comme à Berlin en 1948, pour livrer au plus vite le matériel promis. Des drones kamikazes américains, des missiles sol-air portables Stinger, des lance-missiles antichars Javelin et des systèmes antimissiles soviétiques longue distance S-300 réclamés par Kiev.
La Russie va devoir faire face aux conditions climatiques, avec le dégel et la saison des boues, ainsi que la crue de la rivière Irpin, près de Kiev. Pour le Pentagone, on est désormais entré dans une « guerre d’usure » qui pourrait durer. Combien de temps ? Tout dépendra du moment où Vladimir Poutine décidera que le conflit est devenu trop coûteux économiquement face aux sanctions occidentales, et politiquement face aux pertes russes. Volodymyr Zelensky, lui, s’est dit prêt à renoncer à une adhésion à l’Otan en échange de « véritables garanties sécuritaires », et ouvert à un compromis sur le statut du Donbass, à condition qu’il soit soumis à un référendum.
Face à ces variables, Melinda Haring n’exclut pas que la guerre continue « deux ou trois mois ». Avec la crainte, exprimée par Joe Biden, d’une attaque chimique ou du recours à une « arme nucléaire tactique » par Poutine. L’experte de l’Atlantic Council croit à la première, moins à la seconde. Selon le New York Times, Joe Biden a toutefois constitué une équipe spéciale baptisée « Tiger team ». Son rôle : préparer la réaction américaine à un scénario du pire. Avec une question pour l’instant sans réponse : quelle serait la ligne rouge, à l’exception d’une attaque contre l’un des pays membres, qui justifierait une entrée de l’Otan dans le conflit ?