FAKE OFFUne zone d’exclusion aérienne fait-elle de l’Otan des pays cobelligérants ?

Guerre en Ukraine : La mise en place d’une zone d’exclusion aérienne ferait-elle des pays de l’Otan des cobelligérants ?

FAKE OFFDepuis presque un mois, Volodymyr Zelensky plaide pour que soit mise en place une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine
Des forces aériennes russes en Ukraine le 22 mars 2022.
Des forces aériennes russes en Ukraine le 22 mars 2022. - Russian Defence Ministry/TASS/Si/SIPA / SIPA
Emilie Jehanno

Emilie Jehanno

L'essentiel

  • «Pour sauver les gens et nos villes, l’Ukraine a besoin d’une assistance militaire sans restriction », a déclaré Volodymyr Zelensky, jeudi, devant les responsables de l’Otan. Depuis un mois, il plaide pour la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne.
  • Un cadre légal permet la mise en place d’une telle zone, selon plusieurs chercheurs.
  • Mais « s’il est décidé de cibler un avion [qui ne respecte pas la zone d'exclusion], c’est à partir de là qu’on pourra dire qu’on rentre dans un conflit armé avec d’autres parties », souligne Caroline Brandao, juriste et responsable du pôle droit international humanitaire à la Croix-Rouge française.

Depuis presque un mois, Volodymyr Zelensky fait le tour des parlements occidentaux pour tenter de convaincre de la nécessité de mettre en place une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine. Mercredi, il s’est adressé au parlement français pour plaider sa cause, et il a réitéré ses positions lors du sommet extraordinaire de l’Otan, jeudi.

« Pour sauver les gens et nos villes, l’Ukraine a besoin d’une assistance militaire sans restriction, a déclaré Volodymyr Zelensky dans un message vidéo à l’attention des chefs d’Etat de l’alliance atlantique. De même que la Russie utilise, sans restriction, tout son arsenal contre nous. » La mise en place d’une telle zone ferait-elle des pays tiers des cobelligérants dans ce conflit, comme l’a affirmé Vladimir Poutine ? On fait le point.

Qu’est-ce qu’une zone d’exclusion aérienne ?

Ce n’est pas une notion juridique, mais « une notion de fait », explique Eric David, professeur émérite de droit international public à l’Université libre de Bruxelles (ULB). Sa mise en place conduit à interdire l’espace aérien à tout avion qui n’y est pas spécifiquement autorisé. « Par exemple, si une zone d’exclusion était instaurée dans l’espace aérien ukrainien, ça voudrait dire que l’Etat ou les Etats qui l’instaureraient se donnent les moyens d’intercepter les appareils qui ne respecteraient pas une zone d’exclusion et forceraient les avions en question à atterrir, ou les abattraient si ces avions apparaissent comme étant dangereux », poursuit-il.

De telles zones ont déjà été mises en place dans les années 1990 en Irak pour protéger de bombardements les minorités chiites dans le sud et kurdes dans le nord, en Bosnie en 1993 ou en Libye en 2011. « Le but d’une zone d’exclusion aérienne est généralement humanitaire, rappelle Michael Schmitt, chercheur émérite à l’académie militaire de West Point, aux Etats-Unis, dans un article publié le 18 mars. Cependant, elle peut aussi être motivée, au moins en partie, par des considérations militaires. »

Sa mise en œuvre serait-elle possible ?

Un cadre légal permet la mise en place d’une telle zone, selon plusieurs chercheurs. Cela pourrait être autorisé par le Conseil de sécurité des Nations Unies en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, qui encadre le droit de faire la guerre. Le Conseil de sécurité peut ainsi autoriser « toute action des forces aériennes, maritimes ou terrestres qui peut être nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité » en vertu de l’article 42. Mais la présence de la Russie au Conseil de sécurité, et son droit de veto, empêcherait cette mise en œuvre.

L’autre voie passerait par l’article 51 de la Charte des Nations unies, qui reconnaît le « droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective » d’un Etat. Cet article « autorise expressément la légitime défense "collective" à la demande, et selon les paramètres établis par un Etat », appuie Michael Schmitt, « peu importe que l’objectif de la zone soit humanitaire ou de soutien aux forces ukrainiennes ». L’Ukraine est dans son droit en demandant l’aide des pays étrangers et en leur accordant l’autorisation de voler dans son espace aérien. En vertu de cette logique, les autres pays peuvent intervenir pour soutenir la légitime défense d’un Etat.

Quelles seraient les conséquences militaires ?

Pour autant, le problème n’est pas la légalité d’une telle zone, mais « c’est l’extension du conflit et le risque qu’on aboutisse à une troisième guerre mondiale », avertit Eric David, le professeur émérite de droit international public à l’Université libre de Bruxelles. Début mars, Vladimir Poutine a exprimé très clairement son avis sur la question : toute mesure tentant d’imposer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine serait considérée « comme une participation au conflit armé » et tout pays y participant deviendrait un cobelligérant. Les responsables de l’Otan rejettent également cette idée, expliquant que cela équivaudrait à un acte de guerre de leur part.

Pour Michael Schmitt, la participation d’Etats à la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne ne contreviendrait pas à leurs obligations de neutralité. « Les États ne les violent pas en fournissant des armes à la victime d’une agression explicite d’un autre État », écrit-il, soulignant que les opérations russes entrent dans le cas d’une agression explicite.

Mais cette position n’est pas partagée par Eric David : « Certes, dans un cas de légitime défense individuelle ou collective, l’Etat neutre est fondé à intervenir en faveur de la partie agressée conformément à l’article 51 de la Charte des Nations unies, mais alors il ne peut plus prétendre rester neutre. » Si des Etats tiers assurent le maintien de la zone d’exclusion, « ils deviennent, à ce moment-là, des belligérants ou des cobelligérants, détaille-t-il. Ce ne sont plus des belligérants secondaires, c’est-à-dire des belligérants qui appuient une des parties au conflit en envoyant des armes par exemple. »

La jurisprudence penche aussi dans ce sens, notamment celle du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, qui date de 1999. Un Etat entre dans un conflit armé « à partir du moment où il exerce un contrôle sur les forces armées, cela veut dire que ça doit aller au-delà d’une aide financière, d’une fourniture d’équipements militaires ou de formation, précise Caroline Brandao, juriste et responsable du pôle droit international humanitaire à la Croix-Rouge française. Il faut vraiment un rôle dans l’organisation, la coordination, la planification des actions militaires. Si on regarde les faits aujourd’hui, il faudrait davantage d’implication, il faudrait en fait un affrontement armé, une participation directe à la conduite des hostilités. »

Si une zone d’exclusion aérienne était effectivement mise en place, que se passerait-il en cas de vol d’un avion non identifié, sans autorisation ? « S’il est décidé de cibler cet avion, c’est à partir de là qu’on pourra dire qu’on rentre dans un conflit armé avec d’autres parties », ajoute-t-elle.

« La neutralité implique que l’on ne peut pas intervenir dans le conflit, appuie aussi Eric David. Intervenir dans le but de faire respecter cette zone d’exclusion, même si c’est légal, cela reste un acte de belligérance. » Et tous sont d’accord pour affirmer qu’il y a un fort risque d’escalade militaire si des avions s’engagent dans des combats.