PRECARITELes Français sont-ils défavorables aux aides sociales ?

Présidentielle 2022: Les Français sont-ils défavorables au RSA et autres aides sociales ?

PRECARITEUne vaste majorité de Français serait favorable à un RSA conditionné à une activité hebdomadaire d’une dizaine d’heures
Une personne présente les brochures informant sur le nouveau RSA (revenu de solidarité active) mises à la disposition des usagers dans un centre de la CAF (Caisse d'allocations familiales) à Paris le 04 juin 2009
Une personne présente les brochures informant sur le nouveau RSA (revenu de solidarité active) mises à la disposition des usagers dans un centre de la CAF (Caisse d'allocations familiales) à Paris le 04 juin 2009 - FRANCOIS GUILLOT AFP
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Emmanuel Macron propose une condition à l’obtention du RSA : une activité de 15 à 20 heures hebdomadaires.
  • Une proposition qu’approuverait une large partie des Français, à en croire plusieurs sondages.Voyons-nous réellement les prestations sociales d’un mauvais œil ?

Si la proposition d’Emmanuel Macron de conditionner le RSA à une activité de 15 à 20 heures hebdomadaires a provoqué l’ire des syndicats, la mesure semble populaire auprès des Français. Selon un sondage Ifop pour Le JDD, 80 % de la population serait favorable à cette proposition, dont 45 % « tout à fait favorables ». Autre sondage, autre score fleuve, puisque selon l’institut CSA, dans une étude pour CNews les 17 et 18 mars, à la question, « D’après vous, faut-il réserver le RSA aux seules personnes qui donneront chaque semaine quinze heures d’activité à̀ la société française ? », 68 % des Français répondent « oui ».

Une vaste majorité qui interroge : notre pays serait-il contre les aides pour les plus démunis ? Denis Colombi, enseignant-chercheur et sociologue spécialiste de la représentation de l’argent des pauvres, relève « une tendance générale à interpréter la pauvreté comme étant un problème individuel plutôt que collectif ». Cette tendance diminue lors des mauvaises périodes économiques, quand la précarité s’étend à plus de monde, et s’accroît lors des époques de croissance et de baisse du chômage, comme celle qu’on vit actuellement.

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Le paradoxe Français

« Le confinement de mars-avril-mai 2020 fut notamment marqué par une vision très collective et beaucoup plus conciliante de la pauvreté et des problèmes économiques », rappelle l’expert. En septembre 2021, 43 % des Français estimaient que les demandeurs d’emploi étaient responsables de leur situation, selon un sondage Elabe pour l’Unédic. Sept points de plus qu’en septembre 2020.

Le Français est un être complexe à comprendre, et qui n’a pas peur des paradoxes. Habitant depuis cinq ans dans le pays, Nikolaos Georgantzis, enseignant-chercheur en économie comportementale à l’université de Burgundy School of Business, a bien étudié notre peuple pas avare en contradictions et note : « Pour un pays capitaliste, la France a l’un des meilleurs systèmes d’aides et de redistribution au monde, et présente des soutiens publics totalement inimaginables dans la plupart des autres nations. »

La Sécurité sociale, le « Quoi qu’il en coûte », le chômage partiel et bien d’autres mesures sont notamment cités par le professeur. Loin de dégoûter les Français, « cette solidarité est l’une de leurs fiertés. Mais de par cet attachement, la population se montre très exigeante avec ces aides et ces redistributions, voulant qu'elles soient utilisés à bon escient ». Au pays du romantisme, les aides publiques sont comme un début d’histoire amoureuse : on y tient beaucoup mais on a toujours un peu peur d’être les lésés de l’histoire.

Payer moins en souhaitant avoir plus

Ces beaux sentiments ne doivent pas cacher une autre réalité moins niaise : le Français n’aime pas payer, et voudrait le beurre sans en fournir l’argent. « Pour autant qu’il est attaché à son système de redistribution publique, le Français déteste les impôts et aimerait en payer moins, souligne Nikolaos Georgantzis. Là aussi un paradoxe : souhaiter moins d’impôts tout en souhaitant plus d’aides et d'accompagnement public ».

Le paysage politique est quasiment monopolisé par un discours contre les prestations sociales. En 2011, soit plus d’une décennie avant, Laurent Wauquiez (Les Républicains) évoquait par exemple « l’assistanat » comme « cancer de la société ». Un discours constant et qui a le vent en poupe depuis les années 1980 et l’apparition en France de l’idée « que pour lutter contre la pauvreté, il faut durcir les conditions de la précarité », déplore Denis Colombi. Qui rappelle l’absence d’un contre-discours. « Combien de mesures sont proposées pour renforcer les aides sociales ou augmenter les dépenses publiques ? Infiniment peu. Le discours ambiant est clairement sur les restrictions et la diminution des prestations sociales. »

Discours omniprésent, nuance nulle part

Preuve que l’idée est solidement imbriquée, le sociologue rappelle que ce discours ne touche pas uniquement les classes dominantes. Même chez les populations en situation de précarité, cette pensée trouve un écho. « Il y a cette idée plaisante d’une forme de distinction, où certes la personne sait qu'elle est pauvre mais estime qu'elle s’en sort au moins mieux et est plus méritante qu’une autre », appuie Denis Colombi. Même analyse d’un discours omniprésent chez Nikolaos Georgantzis : « Nous sommes dans un pays capitaliste, où le travail est vu comme forcément méritant et mérité, et l’absence de travail, donc de production, comme une faute. »

Mais attention toutefois à ne pas juger trop vite ces sondages, rappelle Denis Colombi. La mesure autour du RSA contre activité reste encore extrêmement floue, et laisse libre à l’imagination des sondés. « Dans les heures hebdomadaires, on peut aussi imaginer des formations, des reprises d’études, des stages, etc. Ce qui donnerait une tout autre lecture à ces 70 ou 80 % d’avis favorables. » Même s’il ne le nie pas : « Une partie des Français pensent que les personnes précaires sont trop assistées et ne font rien pour s’en sortir. »