BLESSUREUsantes et risquées, les infiltrations sont-elles en voie de disparition ?

Santé : Usantes et dangereuses, les infiltrations sont-elles en voie de disparition ?

BLESSURECouramment utilisées jusque dans les années 2000 pour masquer une blessure, les infiltrations ont beaucoup moins la cote depuis qu’on s’est rendu compte de leurs risques sur le long terme
Zlatan Ibrahimovic a déjà eu recours aux infiltrations pour jouer des matchs importants.
Zlatan Ibrahimovic a déjà eu recours aux infiltrations pour jouer des matchs importants.  - OLIVIER MORIN / AFP / AFP
Aymeric Le Gall

Aymeric Le Gall

L'essentiel

  • Amputé de la jambe droite à la mi-mars, l’ancien attaquantdu PSG Bruno Rodriguez met en cause les nombreuses infiltrations qu’il a subies durant sa carrière.
  • Ces injections de cortisone, qui permettent de masquer temporairement la douleur, peuvent avoir des répercussions terribles si elles sont trop répétées.
  • Mais cette pratique ne semble plus monnaie courante comme ce fut le cas dans le foot ou le rugby dans les années 90-2000.

Une piquouse et ça repart ! Il fut un temps pas si lointain où le monde du sport professionnel, notamment le foot ou le rugby (mais pas que, loin de là), ne jurait que par les infiltrations, ces piqûres de cortisone injectées proche d’une zone douloureuse de l’organisme (ici un genou, là une cheville), pour soigner temporairement une blessure et permettre au joueur de gambader telle une biche, comme si de rien n’était. Enfin, on dit « soigner », mais il serait plus exact de dire « masquer ». « Les infiltrations faites avant un match ne traitent absolument pas la blessure, elles servent à masquer la douleur, confirme Thierry Delmeule, le médecin des Girondins de Bordeaux. Ce n’est ni plus, ni moins qu’un pansement sur une jambe de bois ».

S’il peut encore arriver que des joueurs aient ponctuellement recours à cette pratique pour jouer un match important – ce fut par exemple le cas de Taylor Fritz avant sa finale contre Nadal à Indian Wells – il semble en revanche que l’époque où l’on piquait pour un oui ou pour un non soit révolue. Et pour cause : « C’est le côté répétitif, chronique, qui a fait des dégâts monstrueux tant sur le plan osseux que tendineux. Si vous faites une infiltration, le tendon va s’affiner et au fil du temps il va se rompre. Pareil au niveau osseux, si vous en faites un usage répété au même endroit, le corticoïde ronge l’os, elle fait des trous dedans. Bellone, Amoros ou Van Basten, pour ne citer qu’eux, ont connu des fins de carrière ou des après-carrières catastrophiques à cause de cela », explique le doc bordelais.

Des joueurs pas ou peu informés

Le cas le plus effroyable reste celui de Bruno Rodriguez, amputé de la jambe droite mi-mars. Si l’on ne peut affirmer que cela soit dû uniquement aux infiltrations, pour lui, cela ne fait que peu de doutes. « Quand je jouais, j’ai eu beaucoup d’entorses de la cheville (…) J’avais tout le temps envie de jouer, pour les petits comme pour les grands matchs, donc on me faisait des infiltrations, racontait-il à L'Equipe après son opération. Et ça laisse des traces. La cortisone qu’on m’injectait, c’est connu, ça ronge le cartilage, et s’il n’y a plus de cartilage, ça couine à l’intérieur. Nous, en tant que footeux, on n’est pas forcément au courant des conséquences. C’est sûr que si on m’avait expliqué, j’aurais dit que je laissais passer le match à venir… »

Ce manque d’information, l’ancien rugbyman français Imanol Harinordoquy l’a plusieurs fois dénoncé. Encore aujourd’hui, celui-ci se dit « en colère » contre le voile posé sur les risques à plus ou moins long terme des infiltrations à répétition.

« « A l’époque, il n’y avait aucune information délivrée aux joueurs, et je le dis d’autant plus facilement que j’ai pu le constater tout au long de ma carrière. Après, ça nous est tous arrivé un jour de jouer sous infiltration avant un grand match. Le risque on l’assume, y’a pas de problèmes. Mais je pense que dans certains cas, si on avait été au courant des risques encourus, il y a pas mal de matchs de moindre importance qu’on n’aurait probablement pas joués… » »

« Pourtant c’est paradoxal car j’étais le premier à critiquer les mecs qui avaient pris un petit coup et qui ne voulaient pas jouer le week-end, qui se gérait. On disait ça, "tu te gères"… Mais avec le recul je me dis que ce sont eux qui avaient raison. »

Un manque de recul à l’époque

A l’inverse, les anciens tennismen français Florent Serra et Paul-Henri Mathieu – tous deux connus pour avoir joué de longues années en serrant les dents et qui ont parfois eu recours aux infiltrations – ont toujours été informés des risques inhérents. « Chez nous, dans le tennis, en tout cas à la Fédération française avec le docteur Bernard Montalavan, on a toujours été très prudent sur cette question », assure PHM. « On discutait toujours du rapport bénéfice/risque avec lui », embraye Serra.

Ce recel d’informations était-il alors propre au sport collectif ? « Ce n’est pas impossible, réfléchit Mathieu. En sport co’, le but du club qui vous a recruté et vous salarie, c’est de pouvoir vous utiliser le plus rapidement possible et le plus possible. Je ne sais pas si tous les clubs pensent avant tout à la carrière à long terme de leurs employés. Nous, on n’a pas le choix, on est seuls à gérer notre carrière, on a besoin qu’elle dure d’un point de vue financier. L’objectif c’est de jouer le plus longtemps possible et donc d’être très à l’écoute des risques à long terme. »

S’il ne nie pas « une certaine pression des clubs, des présidents, des entraîneurs, voire des joueurs, à l’époque », le docteur Delmeule explique aussi que tout ce petit monde manquait aussi d’informations « dans les années 1980, 1990 et 2000 ». « Au début on avait de bons résultats, c’est vrai, mais ensuite on s’est aperçu ensuite que les joueurs régulièrement infiltrés se pétaient ou qu’ils étaient complètement handicapés après leur carrière. On a donc fait machine arrière et on s’est rendu compte qu’il y avait d’autres prises en charge possibles, avec lesquelles le joueur va peut-être rater un match au début mais au moins il sera réellement soigné et pas simplement soulagé. Mais avant on ne connaissait pas tous ces effets secondaires, on n’avait pas ce recul-là. »

Quand les antidouleurs rendent accros les sportifs

Conscients, eux, des risques encourus par ces piqûres magiques, et parce qu’il fallait bien jouer malgré la douleur sous peine de « se faire pousser dehors par les autres et de ne plus gagner sa vie », dixit Serra, nos deux tennismen admettent en revanche avoir beaucoup consommé d’anti-inflammatoires type Voltarène ou Ibuprofen. Au risque d’en devenir accro. Paul-Henri Mathieu : « A un moment donné on ne peut plus s’en passer. Les antidouleurs c’est comme une drogue, je ne le cache pas. Sur les sept ou huit dernières années de ma carrière, je n’ai pas fait un match sans prendre d’anti-inflammatoires. C’est pas forcément bon non plus, on le sait. Moi j’étais fragile de l’estomac en plus, je devais mettre des pansements gastriques. Je me suis même retrouvé deux fois à l’hôpital avant de gros tournois car je pensais que j’avais fait un ulcère à cause des antidouleurs ».

Dans le foot aussi, la Voltarenomania est toujours d’actualité, comme l’expliquait l’ancien médecin de l’équipe de France, Jean-Pierre Paclet, dans une longue interview chez nos confrères de So Foot : « C’est devenu une addiction pour certains, un réflexe rassurant. Un peu comme ma grand-mère qui, si elle n’a pas sa dose de paracétamol chaque jour, dit qu’elle a mal partout. Les anti-inflammatoires, c’est presque un effet placebo pour certains footballeurs. » Sous couvert d’anonymat, un autre médecin nous racontait l’histoire d’un grand attaquant de Ligue 1 des années 2000 qui, en arrivant en France, réclamait avant chaque match sa petite piqûre d’antidouleur dans les fesses.

« Au bout d’un certain temps, on avait mis de l’eau pour faire des sérums physiologiques à la place du Voltarène, on lui faisait la piqûre et il nous disait que ça lui faisait du bien, jusqu’à ce qu’on lui avoue que c’était de l’eau, que ça ne servait à rien et qu’il fallait arrêter. Ça devient une sorte de rituel en fait ». A l’arrivée, qu’on parle de petites pilules ou d’infiltrations, « le mieux reste encore le repos », conseille Delmeule. « Le but est de guérir la blessure et non de la masquer, sous peine de l’aggraver, conclut-il. C’est ce vers quoi on tend aujourd’hui. A Bordeaux, des infiltrations, on doit en faire deux ou trois maximums par saison ».