INTERVIEW« Beaucoup ne voudront pas sauver le soldat Macron », assure Marine Le Pen

Présidentielle 2022 : « Beaucoup de Français n’auront pas envie de sauver le soldat Macron », dit Marine Le Pen à « 20 Minutes »

INTERVIEWPouvoir d’achat, guerre en Ukraine, candidature d’Eric Zemmour… La candidate du Rassemblement national, Marine Le Pen, a répondu à nos questions
Ce(s) moment(s) où Marine Le Pen a....
Propos recueillis par Rachel Garrat-Valcarcel et Thibaut Le Gal

Propos recueillis par Rachel Garrat-Valcarcel et Thibaut Le Gal

L'essentiel

  • Marine Le Pen a répondu aux questions de 20 Minutes mardi matin à son QG de campagne parisien.
  • « Eric Zemmour n’a aucune chance d’être au second tour », estime-t-elle, ne croyant pas à un « vote caché » pour son rival.
  • La candidate du Rassemblement national cible Emmanuel Macron, l’accusant de vouloir « enjamber la campagne ».

«A partir de maintenant, les journées sont doubles », sourit Marine Le Pen. De retour de Guadeloupe, la candidate du Rassemblement national nous a reçus mardi matin, à son QG parisien, pour présenter son projet et évoquer cette fin de campagne « intense ». En bonne position dans les sondages, elle appelle les soutiens d'Eric Zemmour au vote utile dès le 10 avril afin de battre Emmanuel Macron. « Je viens dire à ses électeurs qu’on a la possibilité de gagner. Il faut être le plus puissant possible au premier tour. »

Diriez-vous, comme d’autres opposants à Emmanuel Macron, que l’affaire McKinsey est « un « scandale d’Etat » ?

C’est un vrai scandale. Mais c’est la vision d’Emmanuel Macron qui, avec la suppression de l’ENA, la suppression du statut de préfet, est en réalité une vision de déconstruction de l’Etat. Je trouve ça très dangereux parce que l’Etat nation protège le peuple français. Ce recours aux cabinets privés a été pour le moins excessif : payer des millions un cabinet pour savoir comment baisser de 5 euros les APL ? Moralement, ça pose un problème, et la justice sera très certainement saisie pour déterminer s’il y a eu des avantages donnés à McKinsey, dont un certain nombre de salariés ont travaillé au bénéfice d’Emmanuel Macron pour sa campagne de 2017.

Vous vous autoproclamez « candidate du pouvoir d’achat ». Pourquoi ne pas vouloir augmenter le Smic ?

Augmenter le Smic laisse de côté tous les autres salariés. Et beaucoup de TPE-PME ne peuvent pas faire face à cette augmentation et des charges associées. Je propose, moi, un accord gagnant-gagnant : les entreprises qui augmenteront leurs salariés de 10 % jusqu’à trois fois le SMIC seront exonérées de cotisations patronales sur cette augmentation. J’inclus donc les classes moyennes, je pense que je suis la seule à le faire.

Par ailleurs, je propose de baisser les dépenses contraintes en rendant 150 à 200 euros par ménage et par mois aux Français. Cela passe par des baisses d’impôts (baisse de TVA sur l’énergie de 20 à 5,5 % ; création d’une perte d’une part pleine dès le 2e enfant ; réindexation des retraites) et des aides sociales pour les plus vulnérables (doublement de l’allocation pour les familles monoparentales ; retraite minimum à 1.000 € ; rétablissement de la demi-part des veufs et veuves…).

Sur le pouvoir d’achat, Jean-Luc Mélenchon mise sur un programme social pour convaincre les classes populaires. Est-il l’adversaire que vous redoutez le plus ?

Non, parce que je pense que les Français sont conscients que le projet de Jean-Luc Mélenchon n’est absolument pas financé. Il passe par un impôt de 100 % au-delà d’un certain seuil, ce n’est pas constitutionnel. On peut toujours tout promettre, mais il faut que ce soit applicable. Moi, j’ai fait en sorte que l’intégralité de mon projet soit applicable, et je le crois plus raisonnable que celui de Jean-Luc Mélenchon.

Il dit qu’il peut parler à votre électorat…

Je suis surtout en train de parler au sien, c’est ça son inquiétude à mon avis. Lui ne peut pas parler aux classes populaires car, comme d’habitude à l’extrême gauche, il pense que la seule manière, c’est de parler pouvoir d’achat. C’est important, mais il faut aussi leur parler de qualité de vie : la qualité de l’école et les perspectives d’avenir professionnel pour leurs enfants, la sécurité, la préservation de l’identité du pays… A cela, Jean-Luc Mélenchon apporte des réponses cataclysmiques : aucune régulation de l’immigration, régularisation de tout le monde, wokisme à tous les étages, j’en passe et des meilleures.

Vous financez votre projet en réduisant notamment les aides sociales versées aux étrangers, y compris les ressortissants de l’Union européenne. N’est-ce pas contraire aux engagements internationaux de la France ?

Absolument pas. Pour une raison simple, c’est que je soumets à condition les prestations de solidarité, pas les prestations contributives. APL, RSA… Ce sont des prestations de solidarité.

Donc, les étrangers qui cotisent auront droit aux aides ?

Aux aides qui sont la conséquence de leurs cotisations. Mais je réserve les prestations de solidarité aux Français et aux étrangers qui ont cinq ans d’équivalent temps plein en France. C’est un choix. Mais je pense que le message, c’est de dire aux étrangers qui viennent en France « subvenez à vos propres besoins », car la solidarité nationale ne le peut plus.

Finalement, le Rassemblement national n’est pas si éloigné du FN de Jean-Marie Le Pen, qui disait déjà en 1984 « La France n’a pas actuellement les moyens de nourrir ni d’entretenir les chômeurs étrangers »…

Mais parfaitement ! Je suis absolument convaincue qu’on a laissé mettre en place une politique d’immigration massive, qui déstabilise notre société et nos comptes sociaux et qui pose un problème pour les immigrés qui travaillent, s’assimilent, et subissent également les conséquences de cette immigration anarchique. Il faut donc l’arrêter.

Vous avez jugé naturel d’accueillir les réfugiés ukrainiens, contrairement aux réfugiés syriens en 2015. Quelle est la différence ?

La solidarité régionale, c’est assez naturel. Le Liban ou la Jordanie ont pu accueillir des réfugiés palestiniens par le passé, et la France des réfugiés espagnols lors de la guerre civile. Ensuite, dans les flux de migrants provoqués par les guerres en Syrie et en Libye, on s’est aperçu qu’il y avait énormément de migrants économiques, beaucoup plus que relevant de droit d’asile et du statut de réfugié de guerre. Et on le voit : il n’y avait quasiment que des hommes à l’époque dans les demandeurs d’asile [ces dix dernières années, les femmes représentent plus de 40% des demandes de protection selon l'Ofpra], et là, il n’y a quasiment que des femmes, des enfants et des personnes âgées, qui ont vocation à repartir dans leur pays lorsque la guerre sera finie. Ils en ont l’espoir d’ailleurs.

Marine Le Pen à son QG parisien.
Marine Le Pen à son QG parisien.  - Olivier Juszczak

Eric Zemmour propose « l’immigration zéro » et vous l’avez souvent accusé de « radicalité ». Finalement, n’est-il pas votre meilleur allié dans cette campagne ?

Le fait qu’il caricature un grand nombre de nos idées a permis à beaucoup de Français de prendre conscience que nos idées n’étaient pas caricaturales. Que ce que nous proposions était juridiquement faisable, politiquement utile et humain. Oui, je crois que ma campagne est apparue d’autant plus sérieuse, chiffrée, travaillée, que lui-même a fait une campagne de slogans. En réalité, quand on regarde son projet, le travail n’est pas fait, rien n’est préparé. Mon référendum sur l’immigration est rédigé, il n’a plus qu’à être voté. Le projet de loi de lutte contre les idéologies islamistes est rédigé. On a travaillé pour être efficace le plus vite possible.

Qu’est-ce que vous dites à ces électeurs qui peuvent hésiter entre lui et vous au premier tour ?

Eric Zemmour n’a aucune chance d’être au second tour, ce sont des voix qui sont divisées, ce sont des voix en partie perdues. C’est comme ça, on est dans une élection présidentielle, on n’est pas à la proportionnelle.

Vous ne croyez pas au « vote caché » pour Eric Zemmour ?

Je ne crois pas au vote caché, surtout pour Eric Zemmour. Parce que dans les milieux qui votent Eric Zemmour, il n’y a pas trop de difficultés pour dire qu’on vote pour lui. Il n’y a pas l’opprobre qu’on a pu vivre, nous, avec Jean-Marie Le Pen pendant des années. Le vote caché est un concept pour rassurer les électeurs. Moi, je viens dire à ses électeurs qu’on a la possibilité de gagner face à Emmanuel Macron. Aujourd’hui, il y a des sondages à 47 %, ça veut dire qu’on est dans la marge d’erreur. Il faut être le plus puissant possible au premier tour pour avoir le plus de chances de gagner au second.

L’abstention vous a coûté cher aux élections régionales. Vous accusiez récemment Emmanuel Macron d’« endormir l’opinion ». Serait-il responsable d’une forte abstention ?

Il en est responsable, et il peut en même temps en être victime parce que son choix de ne pas faire campagne, d’enjamber cette campagne en pensant que l’élection est un simple acte administratif et qu’il n’a pas besoin de descendre dans l’arène risque de se retourner contre lui. Quand on ne fait pas campagne, on prend le risque de ne mobiliser ni ses militants, ni ses électeurs.

En 2017, vous défendiez une sortie de l’Union européenne. Or, certaines de vos mesures sont toujours contraires aux traités européens actuels. Vous n’assumez plus de dire qu’il faudra un Frexit ?

Pas du tout. En réalité, le problème majeur concernant les traités ou les textes européens, c’est l’immigration, le blocage est là. Donc j’ai réglé ce problème en proposant un référendum de modification constitutionnelle, indiquant que tous les textes internationaux ou européens contraires à notre Constitution seront inapplicables en droit interne français.

Mais le droit européen prime sur le droit français, même constitutionnel, donc ça risque de poser un problème…

Si la volonté populaire pose un problème, ça posera un problème, mais c’est comme ça que ça se passera. Les textes internationaux qui sont contraires à la Constitution seront inapplicables en droit français. C’est normal parce que le peuple est le seul souverain.

Si tous les pays européens vous suivent, cela mène à la fin de l’Union européenne…

Non, ça mène à une alliance européenne des nations, c’est-à-dire une Europe des coopérations, respectueuse de leurs intérêts vitaux et de leur souveraineté. C’était l’esprit européen au départ. Mais les européistes ont modifié au fur et à mesure la nature de l’Union européenne pour la transformer en une sorte de super gouvernement, dont la puissance serait supérieure à la volonté des peuples. Ça, ce n’est pas possible, ce n’est pas la démocratie.

Vous abordez la question énergétique dans votre programme, notamment sous l’angle de l’indépendance. Mais en misant principalement sur le nucléaire, ne sommes-nous pas dépendants des pays qui ont de l’uranium ?

Non, il y a une différence entre autonomie et souveraineté. L’autonomie, c’est quand on produit soi-même ou qu’on a soi-même les matières premières. Avec le nucléaire, on reste souverain car on a une diversification des ressources en uranium. Ce ne serait pas de chance que l’intégralité des pays ayant de l’uranium soit en situation de ne plus pouvoir nous livrer. C’est un faux problème.

Marine Le Pen répond aux questions de 20 Minutes
Marine Le Pen répond aux questions de 20 Minutes  - Olivier Juszczak

Vous souhaitez interdire l’abattage rituel sans étourdissement préalable. Est-ce la fin de la viande halal et casher en France ?

Non, parce qu’en réalité, les autorités religieuses musulmanes savent très bien, et Dalil Boubakeur [ex-recteur de la Mosquée de Paris] l’avait dit, que l’électronarcose [étourdissement électrique], quand elle est réversible, n’est pas contraire aux règles du halal. Ce n’est pas une question de rituel mais de lutte contre la maltraitance animale. Le problème qui reste, c’est le problème du casher. En ce qui me concerne, je ne suis pas opposé à l’importation de viande casher. Les Français de confession juive doivent évidemment pouvoir manger selon leur confession.

Vous souhaitez construire 25.000 places supplémentaires de prison, pour atteindre 85.000 en 2027. Comment éviter le blocage des communes et des populations ?

Ce que j’expliquerai aux Français, c’est qu’on ne va pas construire 25.000 places de prison de haute sécurité. Je veux diversifier les capacités pénitentiaires, car je suis pour la mise en œuvre de peines courtes pour les délits les moins graves, comme aux Pays-Bas, qui ont des résultats spectaculaires. On a fait l’inverse en France. On a aujourd’hui une telle différence entre la peine encourue, la peine prononcée et la peine exécutée. Il faut des peines courtes, ça ne demandera pas le même investissement en matière de sécurisation. La raison est simple : quel intérêt de s’évader et risquer trois mois de prison quand vous avez pris huit jours ?

Vous avez connu de nombreux départs de cadres du RN. N’est-ce pas inquiétant dans l’optique d’un accès au pouvoir ?

D’abord, il n’y a pas eu beaucoup de départs. Nous avons 400 élus au Rassemblement national, sans compter les conseillers municipaux. Donc, il y en a quoi, dix qui sont partis ? Et je peux vous dire, dans les dix qui sont partis, il n’y en a pas un dont j’aurais fait un ministre. Donc il n’y a pas beaucoup de pertes en ligne. Je n’allais pas confier un ministère à Gilbert Collard ou à Nicolas Bay… Donc non, aucune difficulté, franchement.

En cas de qualification au second tour, appelleriez-vous à un référendum anti-Macron ?

Je ne crois pas qu’il faille parler de référendum anti-Macron. Je souhaite qu’on m’accorde un mandat pour cinq ans. Mais ce qui est sûr, c’est qu’Emmanuel Macron va probablement se retrouver confronté aux conséquences de sa politique, notamment vis-à-vis d’un électorat de gauche qui n’aura sûrement pas envie de venir sauver le soldat Macron. Car c’est ce qu’ils font à chaque fois, ils appellent au front républicain, c’est-à-dire à un vote contre l’autre candidat. Or, les Français se sont appauvris avec Emmanuel Macron. Donc, cette fois, beaucoup n’auront plus envie de le sauver.

Sujets liés