KAFKAIENUne famille ukrainienne dans le dédale administratif français

Val-de-Marne : Le parcours labyrinthique d’une famille ukrainienne pour obtenir l’asile

KAFKAIENEn vacances en France juste avant la guerre, une mère et sa fille ont eu un mal fou à obtenir la protection temporaire, accordée aux personnes ayant fui après le 24 février
Svitlana et Anastasiia, confrontées à un vide juridique, ont affronté les méandres de l'administration française.
Svitlana et Anastasiia, confrontées à un vide juridique, ont affronté les méandres de l'administration française.  - Aude Lorriaux / 20 Minutes / 20 Minutes
Aude Lorriaux

A.L.

L'essentiel

  • Svitlana et Anastasiia, une maman ukrainienne et sa fille de 10 ans, étaient en France avant que la guerre n’éclate, le 24 février.
  • Pour cette raison, elles n’ont pas réussi pendant des semaines à obtenir la fameuse protection temporaire, accordée aux réfugiés qui ont fui l’Ukraine après le 24 février.
  • C’est une lettre de l’Elysée qui a tout débloqué le 4 avril, avec le concours d’une directrice impliquée.

Il leur a fallu plus d’un mois pour obtenir le précieux sésame, et passer à travers un vrai labyrinthe administratif dont elles se souviendront longtemps. Svitlana et Anastasiia, une maman ukrainienne et sa fille de 10 ans, sont arrivées en France le 19 janvier, pour des vacances. Mais la guerre a éclaté en plein milieu de leur séjour, et les deux Ukrainiennes se sont retrouvées dans l’impossibilité de rentrer dans leur pays, mais aussi d’obtenir le précieux papier qui leur permettait de rester, accordé seulement aux Ukrainiens ayant fui le conflit après le 24 février. Il aura fallu une lettre de l’Elysée et le concours d’une directrice attentionnée pour que la situation se dénoue…

Ce devait être un banal séjour linguistique. Anastasiia suit des cours de français dans l’Hexagone et sa mère en profite pour passer quelques vacances avec l’un de ses amis, Laurent, hygiéniste du travail, rencontré au cours de vacances en 2020, et qui habite Chevilly-Larue (Val-de-Marne). Le 24 février, tout se complique. Kiev, dont elles sont originaires, est sous les bombardements, il n’y a même plus d’avion pour rentrer. Elle se retrouve piégée avec sa fille, bloquée avec seulement ses affaires pour le séjour, sans argent, sans même tous ses papiers. Et avec seulement trois semaines pour régulariser la situation, car le délai légal pour elles expire le 13 mars…

« Inutile de demander la protection temporaire, vous ne l’aurez pas »

Laurent va tout faire pour aider ses amies, qui ne parlent pas français. Il tente de joindre la préfecture de Créteil, qui ne répond pas, et la préfecture d’Aix-en-Provence, la plus proche de leur lieu de vacances, qui le renvoie vers la préfecture de Créteil. Le ping-pong continue pendant une quinzaine de mails, et plusieurs rendez-vous à l’Ofii, l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

Il comprend qu’il existe une protection temporaire qui devrait être accordée aux Ukrainiens qui fuient les bombes, mais que celle-ci n’est donnée qu’à celles et ceux qui ont fui après le 24 février. « Entre le 24 février et le 13 mars, personne n’a été capable de me répondre. J’ai contacté le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, qui m’a promis de rappeler et n’a jamais rappelé. La Cimade [association de soutien aux migrants et migrantes] était bloquée sur la protection temporaire. Personne ne savait. »

Le 4 mars le Conseil de l’Europe vote enfin la fameuse protection temporaire, qui octroie l’asile pour un an aux réfugiés ukrainiens. Six jours plus tard, la préfecture de Créteil accepte de leur donner un rendez-vous, pour le 21 mars. Mais à Créteil, la directrice des migrations et de l’intégration leur fait part de son désarroi. « Inutile de demander la protection temporaire, vous ne l’aurez pas », leur dit-elle en substance, parce que Svitlana et Anastasiia sont arrivées avant le 24 février. Elle accepte cependant de se renseigner et d’essayer trouver une solution, et leur demande de rappeler dix jours plus tard.

Une décision pourtant claire

Laurent est déçu et très mécontent de cette situation. Svitlana est moins étonnée : « J’avais toujours entendu qu’il y avait énormément de bureaucratie dans l’Union européenne. Et je savais qu’il y avait beaucoup de gens en train d’arriver ». En désespoir de cause, Laurent écrit au président de la République, sans vraiment attendre un retour.

La décision du Conseil de l’UE est pourtant claire : « Les États membres devraient être encouragés à envisager d’étendre la protection temporaire aux personnes qui ont fui l’Ukraine peu avant le 24 février 2022, alors que les tensions augmentaient, ou qui se sont retrouvées sur le territoire de l’Union (par exemple, en vacances ou pour des raisons professionnelles) juste avant cette date et qui, en raison du conflit armé, ne peuvent pas retourner en Ukraine », dit-elle.

Lettre au Père Noël

La réponse de l’Elysée arrive quelques jours plus tard, le chef de cabinet du président, Brice Blondel, indiquant le 25 mars avoir signalé leur situation à la préfète du Val-de-Marne. La famille pousse de grands hourras. « C’est comme si nous avions envoyé une lettre au Père Noël, et qu’il avait répondu ! », en rit encore Svitlana. De fait, le 4 avril, lors du rendez-vous à la préfecture promis par la directrice des migrations et de l’intégration, la famille obtient enfin le précieux sésame.

« Et là tout se met en place aussitôt, carte de paiement, Sécurité sociale… On retrouve la France ! », s’enthousiasme Laurent. Malgré ce long parcours de combattant (et de combattantes), Svitlana n’en veut pas à la France. « Les Français ont été très sympathiques. Partout, dès que je disais que je venais d’Ukraine, les gens voulaient vraiment nous aider. » Son ami est soulagé, mais inquiet pour les autres Ukrainiens et Ukrainiennes qui se trouvent dans la même situation et n’ont pas forcément eu la même chance. « Je vis ce deux poids deux mesures comme une terrible injustice. On se rend compte qu’il faut se battre pour bénéficier de la loi. »

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