E-ELECTIONUne campagne réussie sur Twitter, un carton assuré dans les urnes ?

Présidentielle 2022 : Une campagne réussie sur Twitter, un carton assuré dans les urnes ?

E-ELECTIONNon, et des chercheurs contactés par « 20 Minutes » expliquent pourquoi
Des militants pendant un meeting de Jean-Luc Mélenchon, à Rennes, en 2017
Des militants pendant un meeting de Jean-Luc Mélenchon, à Rennes, en 2017 - David Vincent/AP/SIPA / SIPA
Lina Fourneau

Lina Fourneau

L'essentiel

  • Pendant cette élection présidentielle, des candidats comme Jean-Luc Mélenchon ou Eric Zemmour ont été très présents sur les réseaux sociaux. Une mobilisation qui s'est traduite de manière relative dans les urnes.
  • Selon plusieurs chercheurs, les applications, notamment Twitter, manquent de représentativité et sont biaisées par les algorithmes. Résultat, difficile de tirer des conclusions sur la popularité d'un candidat à partir de celle enregistrée sur les réseaux sociaux.
  • D'autant que les équipes de campagne de Zemmour et Mélenchon ont adapté leur stratégie pour accroître la visibilté de leur candidat en ligne.

«Mélenchon est élu au premier tour président de la République française de Twitter avec 99 % de voix », espère un internaute dimanche soir, quelques minutes après l’annonce du scrutin du premier tour. Mais voilà, dans la vraie vie, Jean-Luc Mélenchon restera le troisième homme de cette élection, avec 21,95 % des voix, derrière Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Pourtant, comme le soulignent les internautes, l’équipe du candidat de La France insoumise aura été omniprésente sur les réseaux sociaux pendant cette campagne, tout comme celle d'Eric Zemmour. La présence très forte en ligne du candidat Reconquête et de ses sympathisants n’aura pas porté ses fruits dans les urnes, où il ne remporte finalement que 7,1 % des suffrages.

Ce sera certainement l’une des leçons à retenir de ce scrutin : les candidats « tendance » sur les réseaux sociaux tout au long de la campagne n’auront pas nécessairement été plébliscité dans les urnes. « Ce qui se passe sur le terrain n’est pas corrélé à ce qui se passe en ligne », résume d’emblée Stéphanie Wojcik, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris Est Créteil, interrogée par 20 Minutes. « Il y a un phénomène de loupe grossissante qui fait que lorsqu’on jette un œil à Twitter, nous avons l’impression que les choses sont jouées parce que des candidats sont mis en visibilité au détriment d’autres », précise la chercheuse.

Quand on prend en compte la parole politique en ligne, il ne faut donc pas perdre de vue que les réseaux sociaux ne sont jamais représentatifs de l’ensemble de la population. « Il y a un effet de biais. Sur Twitter, par exemple, on observe un réseau de CSP + avec une concentration très importante de journalistes et politiques. C’est un microcosme », remarque Clément Mabi, maître de conférences en science de l’information et de la communication à l’Université de technologie de Compiègne.

Mais pas seulement. Le réseau social est aussi largement utilisé par les militants, ajoute Stéphanie Wojcik : « Très souvent, les sympathisants se suivent entre eux, ce qui explique pourquoi un militant de Jean-Luc Mélenchon qui observe son Twitter aura l’impression que le candidat est déjà élu d’avance. »

Plongée au cœur de l’algorithme Twitter

Cependant, un élément n’est pas négligeable : des candidats comme Eric Zemmour ou Jean-Luc Mélenchon ont bel et bien compris les codes des réseaux sociaux pour mener une campagne en ligne. « Ce sont ceux qui ont le mieux réussi à s’adapter aux contraintes communicationnelles des réseaux sociaux en industrialisant leur présence et en survalorisant leur impact », souligne Clément Mabi.

Pendant de nombreuses années, la présence sur le numérique a en effet été conçue de manière binaire : « Plus on parle de toi, plus tu gagnes en visibilité ». Mais la stratégie a évolué pour s’adapter aux différents algorithmes utilisés par les réseaux sociaux. Sur Twitter, par exemple, Clément Mabi explique qu’il existe une vraie recette pour obtenir davantage de popularité sur le réseaux social, qui se décline en trois étapes. « Il faut d’abord avoir un message simple et clivant, qui suscite de l’interaction. Puis il doit y avoir des troupes organisées pour cliquer dessus, de manière synchronisée. Enfin, il faut des appels à l’action qui permettent de circuler dans des réseaux, au-delà de son "noyau" de base. »

Ces codes, qui conviennent à la temporalité d’une campagne électorale, favorisent le message des mouvements radicaux, souligne le chercheur. Des candidats comme Eric Zemmour ou Jean-Luc Mélenchon trouveront ainsi plus d’échos sur ce réseau social. « Par le passé, la recherche a en effet montré que Twitter correspondait très bien aux forces radicales, et notamment à l’extrême droite », confirme le chercheur de l’UTC de Compiègne.

Des robots, mais pas d’électeurs

Sauf que l’algorithme utilisé par Twitter reste très artificiel pour observer les tendances, souligne Stéphanie Wojcik. « Dans le cas d’Eric Zemmour, nous avons pu observer une mise en visibilité de sujets ou de personnalités aidée par le mécanisme du réseau social ». On retrouve notamment ici le phénomène d’astroturfing, qui correspond à la « mobilisation de moyens automatiques, par exemple des robots, pour gonfler artificiellement les tendances sur Twitter », explique Stéphanie Wojcik. « Quand vous vous connectiez sur Twitter, vous aviez l’impression que 100.000 personnes parlaient par exemple d’un meeting du candidat Reconquête, alors qu’en fait, ils étaient 5.000 », souligne notre interlocutrice. Un phénomène qui aura permis, selon cette dernière, de mettre en avant des sujets qui ne faisaient pas forcément l’actualité, largement repris par les médias ensuite.

Mais ce n’est pas tout. Le manque de représentativité d’un réseau social comme Twitter s’explique également, selon Clément Mabi, par la forme de langage utilisée par ses utilisateurs. « Sur Twitter, les débats sont tellement violents et tellement éphémères qu’on voit bien qu’ils sont extrêmement artificiels. » Un point que rejoint Stéphanie Wojcik, selon laquelle il existe une survalorisation de Twitter en tant que représentation de l’opinion publique. « Le réseau social permet en effet une facilité de la métrique : on peut compter le nombre de followers ou les retweets. On se dit que plus une personne a de followers, par exemple, plus elle a de soutiens », estime Stéphanie Wojcik. « Sauf qu’il est en fait possible de retweeter sans vraiment défendre les idées du candidat », illustre la chercheuse.

« Une bulle dans une bulle »

Le débat politique en ligne ne se réduit toutefois pas à Twitter. « Chaque réseau social a une utilité différente, poursuit la chercheuse. C’est très clair que Twitter est un instrument qui permet de mettre en visibilité une personnalité ou une idée. Mais c’est une bulle dans la bulle. L’activisme passe aussi par des messageries sur Telegram, des échanges sur des listes de diffusion, des posts Facebook… Mais aussi pas le terrain ! »Ce dernier point reste ainsi déterminant, note Stéphanie Wojcik : « Si nous prenons le cas d’Eric Zemmour, ça ne suffit pas d’avoir des activistes militants numériques. Il faut aussi une structuration d’une campagne, une plus grande antériorité d’un mouvement, des militants un peu plus expérimentés… comme l’étaient ceux de Marine le Pen ».