ELECTIONPourquoi le programme santé de Marine Le Pen inquiète certains soignants

Présidentielle 2022 : Pourquoi le programme santé de Marine Le Pen inquiète-t-il certains soignants ?

ELECTIONA travers des tribunes ou sur les réseaux sociaux, des soignants appellent à voter Emmanuel Macron et à regarder de très près le programme de Marine Le Pen
Illustration du duel Macron - Le Pen.
Illustration du duel Macron - Le Pen. - AFP / Pixpalace
Oihana Gabriel

Oihana Gabriel

L'essentiel

  • Dimanche, le second tour de l’élection présidentielle verra l’affrontement, à nouveau, de Marine Le Pen et Emmanuel Macron.
  • Les reports de voix et la colère contre le président sortant peuvent-ils faire basculer le vote en faveur de la candidate du Rassemblement national ?
  • Malgré les déceptions et les critiques que certains soignants multiplient à l’encontre de Macron et les promesses d’un programme ambitieux pour la santé de Le Pen, nombre de soignants appellent à voter pour le président sortant et s’inquiètent du programme discriminatoire de son adversaire.

«Mon associé est cubain, ma cadre de santé algérienne, une infirmière sur deux dans ma clinique n’est pas française, liste Jérôme Marty, généraliste et directeur de la clinique Saint-Roch à Fronton, en Haute-Garonne. On ne va pas renier le monde dans lequel on vit ! »

A quelques jours du second tour de l’élection présidentielle, qui opposera Emmanuel Macron à Marine Le Pen, certains soignants ont multiplié les appels, dans les médias comme sur les réseaux sociaux, à ne pas se tromper de combat. Deux tribunes, l’une dans le Journal du Dimanche, l’autre dans Libération, invitent à glisser un bulletin Macron, car le programme du RN pose selon elles de nombreux problèmes.

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« La suppression de l’AME va éloigner du soin quantité d’hommes et de femmes »

Si Marine Le Pen a peaufiné un programme santé plus généreux qu’en 2017, certains points, en effet, interpellent. Au premier rang desquels la suppression de l’Aide médicale d’État, qui permet aux étrangers sans papiers de bénéficier de soins gratuits s’ils résident depuis plus de trois mois en France et s’ils ne dépassent pas un plafond de ressources. Plus précisément, Marine Le Pen ambitionne de diminuer les dépenses d’AME de 75 % en la remplaçant par un dispositif se concentrant uniquement sur les soins d’urgence, excepté pour les mineurs (toujours bénéficiaires de l’AME).

« A rebours de l’histoire après deux années de pandémie, qui ont montré combien la santé et les maladies ne s’embarrassent pas de passeports. Idée coûteuse également : à l’heure où nous plaidons pour davantage de prévention en santé, réduire l’accès aux soins primaires favorisera les complications et, donc, les soins lourds, urgents et coûteux », écrivent les signataires de la tribune publiée dans le JDD. « La suppression de l’AME va éloigner du soin quantité d’hommes et de femmes très vulnérables, prévient Jérôme Marty. C’est une rupture de fraternité qui n’est pas compatible avec les valeurs médicales. »

Un esprit discriminatoire contraire aux valeurs humanistes

L’AME a coûté 920 millions d’euros en 2020, soit 0,4 % des dépenses de santé en France. « Ce n’est pas grand-chose, insiste Jérôme Marty, signataire de la tribune du JDD. Concentrer cette aide uniquement sur les urgences, cela va créer de la dépense, car ce sont des populations pauvres, parfois porteuses de pathologies infectieuses, avec un risque de retour ou d’aggravation d’épidémies [tuberculose, IST…]. Si ces maladies sont prises en charge plus tard, elles auront des conséquences plus graves. »

Plus globalement, c’est l’esprit discriminatoire défendu par le RN qui heurte nombre de soignants. « L’hôpital public soigne les pauvres et les riches de la même façon, complète François Salachas, neurologue à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière (AP-HP) et membre du Collectif inter-hôpitaux. Il n’y a pas de tri en fonction de l’origine du patient, ce qui honore la France. »

Comment répondre aux besoins sans médecin étrangers ?

Un deuxième point alerte certains médecins. Si Marine Le Pen est moins claire dans son programme que ne l’était Eric Zemmour, elle souhaite « ouvrir un nombre de places suffisant dans les facultés de médecine pour disposer des médecins dont les Français ont besoin, résorber les déserts médicaux et réduire drastiquement le recours aux médecins ayant obtenu leur diplôme hors de l’Union européenne ».

Un langage flou pour un projet un poil contradictoire. Car sans les soignants étrangers, notre système de santé aurait encore plus de mal à fonctionner. « C’est comme dans les autres professions : les médecins étrangers s’installent là où les internes français ne veulent pas aller, les déserts médicaux, les hôpitaux périphériques, soutient Jérôme Marty. On ne les remerciera jamais assez. » Empêcher de nouveaux médecins étrangers de s’installer compliquera encore le défi actuel de remplacer les médecins qui partent à la retraite, ou qui sont sur le point de le faire.

Certains médecins en poste risquent-ils aussi d’être empêchés de travailler ? « Je ne pense pas que ça soit un risque à court terme, estime François Salachas, signataire de la tribune dans Libé " Nous, soignants et activistes du Covid, voterons Macron malgré nos désaccords ". Même Eric Zemmour l’assurait : tant qu’on n’aura pas de médecins français, on gardera les autres. Mais s’il y a un benchmarking en Europe sur la façon dont on attire les praticiens étrangers pour faire face à la crise de recrutement, ce n’est pas impossible. »

D’autant que Marine Le Pen veut imposer la « priorité nationale ». Ce qui veut dire qu’un étranger aura davantage de difficulté à obtenir un emploi ou un logement qu’un Français. Plus de 10 % de l’ensemble des médecins en exercice ont un diplôme acquis à l’étranger, qu’ils soient Français ayant fait leurs études ailleurs, étranger mais appartenant à l’Union européenne ou hors UE. « Cette politique de stigmatisation des médecins étrangers risque, à terme, de les faire partir, craint Jérôme Marty. Or, Marine Le Pen n’explique pas comment faire tourner nos hôpitaux périphériques, où entre 80 et 90 % des médecins sont étrangers. Cette préférence nationale serait mortifère. »

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Comment financer de nouvelles dépenses ?

Troisième problème : Marine Le Pen fait des promesses rarement financées. Elle a prévu d’augmenter de 10 % les salaires des infirmières, d’augmenter de 100.000 places les écoles d’infirmières et d’aides-soignants, de recruter des soignants… Sans préciser comment. Celle qui s’est posée comme la candidate du pouvoir d’achat propose de supprimer la redevance audiovisuelle, de baisser la TVA sur l’énergie de 20 à 5,5 %, de supprimer l’impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans, d’exonérer de cotisations patronales les hausses de 10 % des salaires inférieurs à 3 SMIC… Selon l ’Institut Montaigne, son programme coûterait plus de 100 milliards… contre un chiffrage à -13 milliards selon le Rassemblement national. « Bien que se présentant sous un aspect social et protecteur, il n’y a rien dans le programme pour soutenir ça », tacle François Salachas.

Reste qu’après des mois d’alertes sur un système de santé qui s’effondre, une crise sanitaire qui a épuisé les soignants et un Ségur de la santé qui a déçu nombre d’entre eux, certains pourraient être tentés de punir Emmanuel Macron. « Est-ce que les déçus de la politique de Macron, qui ont des valeurs humanistes, voteraient Le Pen par dépit ? Je n’y crois pas beaucoup, nuance le neurologue. Le risque de "blanc bonnet et bonnet blanc" existe. C’était un peu l’enjeu de la tribune : lutter contre l’abstention. Rien, dans le programme de Le Pen, ne donne la moindre garantie qu’elle ferait autrement, ni sur les moyens, ni sur le mode de dispatching de ces moyens. Le RN a mis des habits de défense des services publics pour surfer sur la vague "gilets jaunes". » A voir si Emmanuel Macron aura un geste pour les soignants d’ici à dimanche, à l’instar de son virage écolo tardif.