SHANGHAILa Chine, ou le suicide économique de la politique « Zéro Covid » ?

Covid-19 : La Chine est-elle en train de se suicider économiquement avec sa politique du « Zéro Covid » ?

SHANGHAILa Chine applique une politique « Zéro Covid » des plus strictes, mais est-ce vraiment le bon choix ?
La Chine applique une stratégie ZéroCovid qui semble de plus en plus contre-productive
La Chine applique une stratégie ZéroCovid qui semble de plus en plus contre-productive  - LIU JIN / AFP / AFP
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Shanghai, le poumon économique chinois, est sous confinement strict depuis mars et l’apparition de cas de coronavirus.
  • Un exemple qui illustre la politique du « Zéro Covid » employé par Pékin, qui veut tout faire pour éviter à l’épidémie de déborder.
  • Mais en voyant son économie ralentir à mesure des confinements locaux, la Chine n’est-elle pas en train d’employer un remède pire que le poison lui-même ?

Et si la guerre en Ukraine n’était pas la plus grosse menace pour l’économie planétaire ? A des milliers de kilomètres de Kiev, Marioupol ou Lviv, le sort des bourses mondiales se joue à Shanghai. Le centre névralgique de la Chine est placé en confinement strict pour respecter la politique « Zéro Covid » du géant asiatique. Une stratégie consiste à isoler tout un secteur, pouvant aller d’un quartier à l’ensemble d’une région, dès l’apparition du moindre cas de coronavirus. L’idée ? En confinant de façon préventive, on ne laisse pas de temps à l’épidémie de s’emballer, et le nombre de cas reste maîtrisé.

Une politique qui donne à Shanghai des images aussi alarmantes qu’absurdes en termes de déshumanisation : nourrissons arrachés à leur mère positive, centres de rétention pour cas positif bondés, portions de nourritures réduites à peau de chagrin. Il y a aussi une ville, acteur économique majeur de la planète, qui tourne à l’arrêt, et des prévisions de croissance toujours plus en berne. Pékin se fixait lundi un objectif de « seulement » 4,8 % pour ce premier trimestre, loin des 5,5 % prévus pour l’ensemble de 2022, déjà le pire chiffre depuis le début des années 1990, hors année 2020.

Dans un article au titre plus qu’évocateur - Le plus grand risque pour l’économie mondiale dont personne ne parle –, CNN chiffre la problématique : « Près de 400 millions de personnes, dans 45 villes de Chine, sont confinées totalement ou partiellement dans le cadre de la politique stricte de "Zéro Covid" de la Chine. Ensemble, ils représentent 40 % du produit intérieur brut annuel (PIB) de la deuxième économie mondiale, selon les données de Nomura Holdings ».

Garder le cap, envers et contre tout

Contacté par 20 Minutes, Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de la Chine, rejoint les journalistes américains : « L’économie, c’est comme le vélo : au bout d’un certain seuil, si on arrête de pédaler, on tombe. La Chine a besoin d’une croissance haute, à au moins 6 %. » Un sentiment que confirme Valérie Niquet, maître de recherches et responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) : « La Chine a de gros besoins sociaux qui nécessitent une croissance élevée et une économie qui tourne ».

Mais avec ces confinements massifs au moindre sursaut de l’épidémie, le « Zéro Covid » met plutôt l’économie à l’arrêt que sur l’autoroute de la croissance. Antoine Bondaz, lui aussi chercheur à la FRS et spécialiste de la Chine, nuance : « Pour l’instant, le chiffre de croissance annuel est maintenu à 5.5. On verra lors du second trimestre l’impact du confinement de Shanghai. » Il rappelle que contrairement à la France, le confinement chinois, aussi strict soit-il, est extrêmement localisé et non étendue à tout le pays : « L’économie peut donc continuer à fonctionner ailleurs. Les quartiers de Shanghai qui n’ont pas de nouveaux cas depuis deux semaines commencent à se déconfiner, afin de relancer certaines usines ».

Il n’empêche, avec Omicron et ses sous-lignages, bien plus contagieux que les précédents variants ou la souche originelle, la politique chinoise pose question. Face à cette transmission accélérée, de nombreux pays ont renoncé au « Zéro Covid ». Pékin, lui, fait de la résistance.

L’impossible marche arrière

Valérie Niquet : « Le pouvoir a longtemps vanté sa stratégie "Zéro Covid", en opposition à un Occident plus laxiste. Le bilan par millions d’habitants est très faible comparé aux Etats-Unis ou à l’Europe. Cette politique est devenue une fierté nationale, et il est dur de revenir en arrière. » Revenir en arrière est de toute manière un concept assez inconnu du gouvernement chinois, rappelle Jean-Vincent Brisset : « La Chine n’est pas la France, où Olivier Véran peut dire tout et son contraire en huit jours. Si Xi Jinping change de stratégie, cela voudra dire qu’il s’est trompé, ce qui passerait plutôt mal. »

Au-delà de cette fermeté propre à toute dictature, la Chine peut-elle vraiment laisser l’épidémie circuler comme en Europe ? Pas vraiment, selon Valérie Niquet. Toujours par fierté nationaliste, Pékin a refusé les vaccins à ARN occidentaux au profit de sérums made in china bien moins efficaces. Le pays a vacciné en priorité non pas les personnes âgées, comme ce fut le cas en Occident, mais les travailleurs, ne donnant qu’une couverture vaccinale partielle aux aînés, les plus fragiles.

« La Chine a assez peu d’hôpitaux, et ne pourrait gérer une explosion des cas. Laisser filer le coronavirus, c’est potentiellement voire des dizaines ou des centaines de milliers de Chinois mourir sans pouvoir les prendre en charge, ce qui ferait là aussi tâche pour le régime », appuie l’experte.

Quelles conséquences ?

Tout risque de se jouer sur les prochaines semaines, selon Antoine Bondaz : « Les cas commencent à baisser à Shanghai. Si l’épidémie ne touche pas plusieurs grosses régions économiques à la fois et reste contenue localement, la stratégie restera payante et viable. Oui, la Chine n’aura pas une croissance incroyable, mais elle s’en remettra. » Si par contre, Omicron s’échappe totalement et touche le pays à l’échelle nationale, ou que les résultats économiques sont trop bas, « Xi Jinping pourrait être menacé, avance Valérie Niquet. Le congrès du Parti communiste est en octobre, et la politique contre le coronavirus sera scrutée de près. »

En cas de gros ralentissement, les conséquences seront mondiales, car celui qui a le plus à perdre ne sera peut-être pas le pays lui-même. Jean-Vincent Brisset note : « On le voit avec la Russie : la résilience d’un pays non-occidental est bien plus importante qu’on ne le pense. Si la Chine ralentit, c’est surtout le reste du monde qui va en pâtir. J’illustre souvent notre dépendance à mes étudiants en leur demandant d’enlever de leur table tout ce qui vient de Chine. Il leur reste un Bic, et encore. »