CONTESTATIONVingt ans après le 21 avril, la jeunesse a-t-elle abdiqué face à Le Pen ?

Présidentielle 2022 : Vingt ans après le 21 avril 2002, la jeunesse a-t-elle abdiqué face à Marine Le Pen ?

CONTESTATIONA la pointe de la contestation anti-FN en 2002, la jeune génération est aujourd'hui – comme ses aînés – moins mobilisée face à l'extrême droite. La traduction d'une défiance générale envers le système actuel
Des manifestants ont exprimé leur colère après le résultat du premier tour de la présidentielle, le 16 avril 2022 à Paris.
Des manifestants ont exprimé leur colère après le résultat du premier tour de la présidentielle, le 16 avril 2022 à Paris.  - Chang Martin/SIPA / SIPA
Nicolas Camus

Nicolas Camus

L'essentiel

  • Il y a 20 ans, Jean-Marie Le Pen accédait au second tour de l'élection présidentielle, créant une onde de choc dans la société française.
  • Alors que sa fille Marine est aujourd'hui qualifiée pour la deuxième fois d'affilée pour le duel final, les manifestations contre l'extrême droite sont de bien moindre ampleur, une partie de la jeune génération notamment se montrant aussi en opposition avec l'ensemble de la classe politique.
  • Une attitude qui traduit l’impérieuse demande d’un nouveau souffle démocratique.

Vingt ans ont passé. Vingt ans pendant lesquels le paysage politique a bien changé, et ce qui avait été décrit comme un « accident démocratique » est devenu une simple éventualité prévisible. Le 21 avril 2002, l’irruption du Front National de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de l'élection présidentielle provoquait un séisme ressenti partout en France. Aujourd'hui, la deuxième qualification d’affilée en finale de sa fille Marine, à la tête du Rassemblement national, n’est plus rien qu’un soubresaut auquel tout le monde semble s’être habitué. Avec une jeunesse qui apparaît, à l’image de l’ensemble de la population, éparpillée dans sa réponse face à l’extrême droite.

« Non à l’extrême droite », mais pas que

Deux décennies en arrière, cette jeunesse était à l’initiative de la rébellion, en tête des cortèges monstres qui avait transformé la Fête du travail du 1er mai en manifestation géante contre l’extrême droite (1,3 millions de personnes dans les rues, dont 500.000 à Paris). Mobilisée comme jamais, elle avait joué son rôle à plein, laissant une corde vocale en chemin sur la chanson « Fils de France » de Damien Saez et se rendant massivement dans les bureaux de vote le 5 mai (78 % de participation) pour faire élire Jacques Chirac (88 % des voix, plus que les 82 % sur le plan national).

Samedi dernier, elle était encore majoritaire mais au sein d’un mouvement épars qui a rassemblé... quelque 23.000 personnes sur l’ensemble du territoire. Surtout, elle était là certes pour dire « non à l’extrême droite », mais aussi pour la première fois au candidat d’en face, dans la lignée des blocages organisés à la Sorbonne et quelques grandes écoles la semaine dernière – et même dans des lycées ces derniers jours.

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Le slogan « ni Macron ni Le Pen », défendu par les étudiants les plus engagés, a heurté certains. Le représentant du camp républicain face à l’extrême droite n’est plus perçu comme un refuge. Que s’est-il passé ? « Ni plus ni moins la même chose que dans le reste de la société, répond Dorian Dreuil, expert associé à la fondation Jean-Jaurès et co-président de l’ONG A voté. Les jeunes sont le reflet de l’évolution du paysage politique. Le front républicain s’effrite, voire n’existe plus. Il y a un désintérêt croissant pour le vote, une grande partie de la jeunesse ne croit plus en ce système, mais c’est aussi tout le travail de communication fait par Marine Le Pen, la fameuse dédiabolisation, qui a fonctionné. »

Deux jeunesses

Le toilettage de l’image du parti réalisé par la fille de Jean-Marie a essaimé l’idée d’une certaine normalisation. Jusqu’à une frange de la population que l’on pensait plus hermétique. C’est en fait là que l’on fait erreur. « La jeunesse ne correspond pas à l’imaginaire qu’on voudrait raconter parfois, comme un seul homme derrière le FN, le fascisme, etc. C’est une fausse vision, très parisianiste, assure Bruno Jeanbart, vice-président de l’institut de sondage OpinionWay. Le candidat en tête le 21 avril 2002 parmi les jeunes qui votent, c’est Jean-Marie Le Pen. La réalité est que les jeunes font partie depuis toujours des bataillons de vote pour l’extrême droite. »

Pour notre spécialiste de l’opinion publique, « il y a en fait deux jeunesses : celle qui fait des études, qui vote très peu pour l’extrême droite, mais aussi toute celle qui travaille déjà et qui vote depuis longtemps pour le FN. » Il ne faudrait donc pas oublier cette seconde frange, moins volubile mais souvent plus mobilisée les jours de vote.

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En vingt ans, les aspirations de la jeune génération ont également changé. La justice sociale et le réchauffement climatique sont devenus des sujets prioritaires pour elle. Or, elle estime que la classe politique ne fait pas assez. « Beaucoup aspirent à des changements extrêmement rapides et radicaux, mais nous sommes dans un système mondial, interdépendant, où il faut discuter, faire des compromis. Cela crée de la frustration chez les jeunes, qui ressentent ces lenteurs comme une impuissance de la politique », analyse Olivier Galland.

Le groupe des « révoltés »

Le directeur de recherche au CNRS, sociologue spécialiste des questions de jeunesse, a mené avec Marc Lazar une grande enquête en septembre dernier auprès de 8.000 jeunes. Il en a exposé les grandes lignes dans son ouvrage 20 ans, le bel âge (Nathan). Deux chiffres illustrent pour lui le malaise actuel ressenti par les 18-24 ans et la différence par rapport à 2002 : 55 % ne se sentent proches d’aucun parti, et un groupe qu’il a appelé « les révoltés » représente 22 % des jeunes.

Décryptage : « On a identifié ce groupe en effectuant une typologie selon les attitudes socio-politiques. Il signifie qu’une partie minoritaire mais tout de même significative de la jeunesse est radicalisée et considère que la société actuelle doit être refondée de fond en comble, si besoin par une action révolutionnaire, détaille le chercheur. Ce n’était pas le cas il y a vingt ans. » Ce qui explique que lors du premier tour, les 18-24 ans, quand ils ne sont pas abstenus (40 %), ont voté en majorité Jean-Luc Mélenchon (31 %) et Marine Le Pen (26 %), loin devant le troisième choix, Emmanuel Macron (20 %).


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De manière plus générale, l’attitude des jeunes dans les urnes le 10 avril et depuis l’annonce des résultats traduit l’impérieuse demande d’un nouveau souffle démocratique. « Cela veut dire : le vote ne suffit plus, observe Dorian Dreuil. Il y a besoin d’autres outils démocratiques que le vote, notamment entre les scrutins. Le prochain quinquennat doit être celui où l’on reparle de démocratie, où l’on recréé des respirations, de la participation citoyenne. »

En attendant, la posture du « ni ni » prônée par certains brouille un peu les pistes pour le second tour. Une chose semble certaine, « on ne s’attend pas – comme déjà en 2017 – à un sursaut de participation » chez les plus jeunes, projette Bruno Jeanbart, qui ne serait pas étonné de voir Marine Le Pen arriver en tête dans cette classe d’âge. « Au pays des Lumières, amnésie suicidaire », chantait Damien Saez en 2002.