LA VIEPourquoi les humains donnent naissance à des bébés immatures

Pourquoi les humains donnent-ils naissance à des bébés particulièrement immatures ?

LA VIESpécificité du règne animal, les bébés humains se montrent particulièrement inaptes à la survie dans les premières années de leur existence. Mais pourquoi ? Une équipe de chercheurs de l’université d’Aix-Marseille a répondu à cette question, en modélisant l’accouchement chez les australopithèques
Les bébés humains sont bien mal équipés pour survivre à la naissance
Les bébés humains sont bien mal équipés pour survivre à la naissance - D.Pallages / AFP / AFP
Alexandre Vella

Alexandre Vella

L'essentiel

  • Une équipe de chercheurs de l’université d’Aix-Marseille a modélisé l’accouchement chez les australopithèques.
  • L’objectif ? Trancher un vieux débat : qui de la bipédie ou de l’importante croissance néonatale du cerveau est à l’origine de notre arrivée au monde « avant terme », c’est-à-dire bien mal parti pour la survie.

Une tape dans le dos, une grande bouffée d’oxygène, et en avant ! Voilà à quoi ressemblent pour tous nos premiers instants au monde. Chétif, nu, quasi aveugle, incapable de se mouvoir ou même juste de se retourner, le bébé humain semble alors bien mal équipé pour la survie. Et autant dire que cela met plusieurs longs mois voire années à s’arranger.

Du règne animal, nous pouvons même affirmer être les spécimens les plus mal embarqués à la naissance, ce qui n’empêche pas, loin de là, à notre espèce de dominer le monde. Mais alors pourquoi ? Quelles sont les nécessités évolutives de pareille inadaptation au monde ?

Une question à laquelle une équipe de six chercheurs du CNRS de l’université d' Aix- Marseille vient de répondre. Deux hypothèses étaient sur la table depuis un moment : Soit cette naissance « avant terme » était une conséquence de la bipédie, qui aurait entraîné un rétrécissement du canal d’accouchement. Ou bien, cela était dû à la croissance post-natale du crâne et du cerveau humain. Pour clore ce débat, les chercheurs ont reconstitué « le canal d’ accouchement des australopithèques, qui, s’ils ne sont pas les premiers hominidés bipèdes étaient les plus anciens bassins à disposition », indique Pierre Frémondière, du laboratoire d' anthropologie bio-culturelle et auteur principal de l’étude publiée dans la revue Communication Biology.

Et autant dire que Lucy, puisque les chercheurs ont utilisé, entre autres, les restes de son bassin pour modéliser le canal d’accouchement d’une australopithèque, connaissait déjà les mouvements caractéristiques « de rotation de la tête » des bébés, explique le chercheur. Pour s’assurer de la validité de leur étude, l’équipe de scientifique a modélisé trois bassins différents à partir de restes. « Mais ils étaient incomplets, et nous avons donc dû les reconstituer. Par exemple, dans le cas de Lucy nous n’avions que l’os iliaque gauche, et nous avons reconstitué le droit en miroir. »

La bipédie, point de départ des compétences cognitives supérieures

Leur conclusion suggère que cette nécessité (d’accouchement avant terme) est « liée à l’acquisition de la bipédie qui a restructuré l’architecture du canal d’accouchement. Pour tester cette hypothèse, l’étude des australopithèques est idéale, car ces hominidés sont déjà bipèdes, mais ont encore un cerveau plutôt petit à l’âge adulte », écrivent les auteurs dans leur publication. Plus encore, c’est « la bipédie [qui] semble être le point de départ de l’acquisition de ces nouvelles compétences cognitives supérieures ».

Ainsi, sans cette modification du canal d’accouchement et la naissance avant terme que cela induit, la porte à une croissance néonatale du cerveau ne se serait pas ouverte. À la naissance, celui d’un nourrisson fait entre 28 et 30 % de sa taille adulte, contre 41 % chez les primates. La stratégie évolutive des hominidés, « un seul individu par portée, une gestation longue et un fort investissement maternel », paraît avoir été payante.

Après avoir consacré douze années à cette recherche, l’ambition pour Pierre Frémondière est d’intégrer les muscles à cette modélisation et de continuer à remonter la chaîne du temps. Car si Lucy a vécu il y a environ 3,2 millions d’années, la bipédie est apparue il y a 8 ou 9 millions d’années. « Il existe bien un fossile éthiopien avec un bassin un peu plus ancien que Lucy, mais il est très demandé… », conclut l’anthropologue qui, avec son équipe, vient de faire progresser la compréhension de notre évolution.