REPORTAGEA la Foire de Paris, entre le nougat et les jambons, l’ombre de l’inflation

Foire de Paris : Entre le stand de jambons et celui des macarons, le spectre de l’inflation

REPORTAGELes produits du terroir sont de retour à la Porte de Versailles, mais difficile de vendre des aliments de qualité quand le pouvoir d’achat des Français est en berne
Comment faire pour vendre des produits locaux chers malgré l'inflation ?
Comment faire pour vendre des produits locaux chers malgré l'inflation ? - AFP / AFP
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Après trois ans d’absence pour cause de Covid-19, la Foire de Paris fait son grand retour depuis jeudi à la Porte de Versailles.
  • Une joie pour les vendeurs de produits alimentaires issus du terroir français.
  • Problème : l’inflation est aussi de la partie.

A la Porte de Versailles, à Paris

Après trois ans d’absence pour cause de Covid-19, la Foire de Paris fait son grand retour depuis jeudi. Et avec elle, bien sûr, les stands de nourriture. Au revoir masques et confinements, et re-bonjour aux jambons corses, à l’huile d’olive de Provence, aux caramels au beurre salé bretons ou aux nougats de Montélimar. Des produits qui sentent bon nos régions.

Mais derrière ce décor à faire fondre les papilles, les sourires et les dégustations gratuites, un mot trotte dans la tête de tous les artisans : inflation. Elle a atteint 4,8 % sur un an en avril, selon l’Insee, dont 3,8 % pour le secteur alimentaire. Une hausse partie pour durer, puisque la Banque mondiale estime que le prix des produits alimentaires devrait rester élevé au moins jusqu’en 2024.

Et une forte inflation comme aujourd’hui, ce ne sont pas que des produits plus chers à vendre… c’est aussi des Français qui consomment moins. Toujours selon l’Insee, la consommation des ménages a « nettement » baissé en mars, de 1,3 %. « Cette baisse est principalement due au recul de la consommation alimentaire (- 2,5 %) et, dans une moindre mesure, à celui de la consommation d’énergie (-1,6 %) », a précisé l’Institut national de la statistique.

Maudite inflation

Les Français vont-ils alors se tourner vers des produits alimentaires moins chers, quitte à délaisser le local et les artisans ? « L’inflation, on la subit bien, pas besoin de voir les chiffres, soupire à la Foire de Paris Sébastien, maître nougatier. Carrefour vend les 100 grammes de nougat à moins de 2 euros, moi à 7. On ne peut pas lutter. Evidemment, ce n’est pas du tout le même produit. Mais quand les gens n’ont pas d’argent, le choix ne se pose pas. »

Même tristesse chez Sandrine, dont l’étal affiche de savoureux jambons et fromages bayonnais. Les temps sont durs, loin des promesses entrevues lors du premier déconfinement : « Tous ces discours sur les circuits courts, la bonne nourriture, les produits locaux… On s’attendait à des années folles après cette prise de conscience ». Et voilà la guerre en Ukraine, la hausse des prix et les angoisses des Français sur l’avenir. « On est comme les autres, on espérait beaucoup du fameux monde d’après. Et finalement, il s’avère pire qu’avant », souffle l’artisane.

Adapter sa stratégie

Comment faire alors ? La solution la plus évidente est de combattre le mal par mal, en cassant les prix. Moins par unité de produit qu’avec des offres promotionnelles, plaide Maxence, spécialiste de viande corse. Pour 20 euros, vous avez toute une gamme de saucissons de l’île. Rentable pour notre estomac, certes, mais pour lui ? « On se fait très peu de marge, mais c’est important de vendre et de se montrer. Les temps seront meilleurs ensuite, on s’accroche ».

La promo a l’avantage de permettre des achats par pack, ce qui avantage Maxence : « Il y a moins de clients et ils viennent moins souvent, indique-t-il à propos de son magasin sur l’Ile de Beauté. Quand on en a un, il vaut mieux lui vendre beaucoup de produits d’un coup, car on ne sait pas quand il repassera. Et plus on vend, plus on peut se permettre de marger. »

Stratégie totale inverse au stand de macarons voisin, où les prix suivent l’inflation et la baisse de la demande. « On est devenu un produit de luxe, il faut se faire payer comme tel si on veut survivre. On fait moins d’achats, alors on vend plus cher. Simple logique économique », théorise Claude.

Donner sa marque au produit

C’est le mot d’ordre général, et l’intérêt d’être présent à la Foire : faire connaître le produit et afficher sa qualité, pour justifier son prix même par en temps difficiles. « On tient le même discours sur le nougat que sur la viande : mieux vaut en manger un peu de temps en temps, mais de bonne qualité, que trop et mauvais », rigole Sébastien, qui a de quoi convaincre avec ses nougats aux pistaches d’Italie, au beurre de cacahuète, et même au CBD. Claude et ses macarons abonde : « On ne s’en sortira pas en vendant à perte ou en faisant croire que les gens peuvent s’acheter ça chaque jour. Faisons en sorte d’être du luxe accessible et d’être consommé comme tel. »

Malgré ses illusions perdues, Sandrine continue de croire en des jours meilleurs : « Les beaux jours sont là, les gens vont davantage s’inviter les uns les autres, organiser des sorties, bouger. Des moments propices pour nos produits ». Dernier sourire de Maxence : « Pendant le Covid-19, c’était très compliqué de bosser nos produits ou de les vendre. Là, on peut au moins travailler, on va pas trop se plaindre. A nous de convaincre maintenant. »