ENQUETELa dérive sanglante d'un conspirationniste d'extrême droite

Meurtre à Paris : La dérive sanglante d’un conspirationniste d’extrême droite

ENQUETESoupçonné d'avoir tué par balle un jeune homme après une rixe à Paris samedi, Martial Lanoir a été mis en examen lundi soir pour «meurtre» et incarcéré
Martial Lanoir a été mis en examen lundi soir pour meurtre et écroué
Martial Lanoir a été mis en examen lundi soir pour meurtre et écroué - capture d'écran Dailymotion / capture d'écran Dailymotion
Thibaut Chevillard

Thibaut Chevillard

L'essentiel

  • Un quinquagénaire, connu pour sa proximité avec des thèses d’extrême droite et d’opposition à la politique sanitaire, a été mis en examen lundi pour « meurtre ».
  • Agé de 50 ans, Martial Lanoir est suspecté d’avoir tué par balle un jeune homme après une rixe à Paris dans la nuit de vendredi à samedi.
  • Adepte des thèses complotistes, paranoïaque, il s’est radicalisé au fil du temps et avoue avoir « pété un plomb » au moment de la crise sanitaire.

Dans les vidéos qu’il publiait sur Internet, Martial Lanoir égrenait la liste de ses nombreuses obsessions. Les « racailles », les juifs, la « dictature sanitaire », les francs maçons… Effrayé à l’idée qu’une « guerre civile », voulue par « les sionistes, les politiques, le Crif » [Conseil représentatif des institutions juives de France], éclate en France, le quinquagénaire se baladait toujours avec un Colt 45 modèle 1911 sur lui. Dans la nuit de vendredi à samedi, à Paris, ce complotiste adepte des thèses d’extrême droite est suspecté de s’en être servi pour tirer dans la tête d’un jeune homme de 27 ans, d’origine marocaine et espagnole, qui est décédé sur place. Interpellé par les policiers, il a été mis en examen pour meurtre lundi soir et placé en détention provisoire.

Les faits ont eu lieu boulevard de Clichy, dans le 9e arrondissement. Selon les premiers éléments de l’enquête, une bagarre venait d’éclater, un peu avant 3h du matin, sur le terre-plein central. Au volant de sa BMW X5 grise, Martial Lanoir s’arrête et s’adresse à l’un des jeunes participant à la rixe en lui demandant d’arrêter. Originaire du quartier Clos-Miroir à Poissy, dans les Yvelines, la victime lui dit de « dégager ». Le jeune homme l’ignore, mais l’homme qui vient de l’apostropher est armé. Et dangereux. Ce dernier, déjà connu des services de police et fiché au FPR [fichiers des personnes recherchées], dégaine son arme de poing et lui tire une balle en pleine tête.

Un mobile raciste ?

Martial Lanoir remonte dans sa voiture et prend la fuite. Mais les policiers avertis par un informateur du crime qui venait d’être commis ne tardent pas à retrouver le véhicule, rue Championnet, dans le 18e arrondissement. A bord, il n’y a personne. Mais quelques instants plus tard, un homme vêtu d’un pantalon treillis beige, d’une chemise rouge et d’une casquette sombre se dirige vers la berline. Les fonctionnaires se rapprochent de lui. Martial Lanoir n’est pas décidé à se rendre aussi facilement : il lâche les bagages qu’il tient et saisit l’arme qu’il dissimulait au niveau de sa ceinture et prend la fuite en courant vers la rue Joseph De Maistre.

Les policiers se lancent à sa poursuite. Arrivés rue Marcadet, ils trouvent le suspect accroupi dans un renfoncement. Sa respiration est saccadée. Il décide finalement d’obtempérer, pose son arme sur le sol et s’allonge. Il est un peu moins de 4h du matin lorsque les agents lui passent les menottes aux poignets. Les policiers appréhendent également une femme de 51 ans, qui s’est présentée comme étant la compagne de Martial Lanoir. Selon elle, le couple s’apprêtait à partir à la campagne. Une enquête a été ouverte par le parquet, confiée au 2e district de police judiciaire.

Pour quelle raison le suspect a-t-il ouvert le feu sur le jeune homme ? « Il appartiendra à l’instruction de déterminer si le mobile est raciste ou pas mais il est légitime de se poser la question, explique à 20 Minutes Me Avi Bitton, avocat de la famille de la victime. En effet, la victime et le suspect ne se connaissaient pas. Ce dernier appartient à la mouvance complotiste, d’extrême droite et tenait sur Internet des propos racistes avec des appels à la violence. Or, il se trouve que la victime était d’origine maghrébine et musulman. »

« Décadence » de la société française

Les vidéos qu’il postait sur Internet depuis une dizaine d’années montrent comment ce sympathisant d’extrême droite a sombré peu à peu dans une paranoïa mortifère sans pareille. Né en février 1972 à Lure, en Haute-Saône, Martial Lanoir a grandi à une trentaine de kilomètres de là, dans une cité à Vesoul. « Un joli quartier rempli d’immigrés », dans lequel, dit-il, il subit « le racisme anti français de la part de jeunes beurs, de jeunes musulmans ». Il abandonne l’école à 15 ans et apprend « toutes sortes de métiers ». A cette époque, il était « le gauchiste parfait ». « Anti frontière, pro immigration », il compose et joue de la guitare, influencé par des groupes et des musiciens comme Mano Negra, les Négresses Vertes ou Manu Chao.

Il quitte la France, « à cause des racailles », et s’installe au Japon. Il épouse une femme avec laquelle il a une fille. C’est semble-t-il lors de ce passage au pays du soleil levant qu’il bascule et commence à adhérer aux thèses de l’extrême droite. Il fait l’éloge de l’ancien humoriste Dieudonné et de son acolyte Alain Soral, tous deux condamnés à plusieurs reprises pour avoir tenu des propos antisémites et négationnistes. Les attentats de janvier 2015 perpétrés par les frères Kouachi et Amédy Coulibaly ? Un coup, prétend-il, des « services secrets, le Mossad, la CIA » qui sont « au service du sionisme ». Misogyne, Lanoir dénonce la « décadence » de la société française et en veut pour preuve les femmes qui portent « sans pudeur des minijupes ras-le-cul ».

Après avoir été vacciné contre l’hépatite B, il affirme être tombé malade. Pris de « colères irrépressibles », Martial Lanoir devient « insupportable ». Son épouse japonaise demande le divorce et refuse qu’il voie leur enfant. De retour en France, à l’été 2018, il se soigne avec des « plantes médicinales trouvées sur un site Internet », pratique « le jeûne partiel ». Il habite chez sa mère, vit du RSA, devient pizzaïolo. En janvier 2020, il retourne au Japon et tente de voir sa fille en se rendant directement à son école. Arrêté par la police locale, il passera 42 jours en prison.

« Pandémie de papier »

Son dernier retour en France coïncide avec le début de la crise sanitaire qu’il qualifie de « pandémie de papier ». « Forcé à porter un masque », il « pète les plombs ». Il était « déjà dissident à la République qui est l’œuvre des Francs-maçons », mais cette fois, il décide de se mobiliser. Il perturbe l’émission « Balance ton post ! » présentée par Cyril Hanouna en dénonçant un soi-disant « géronticide » commis par l’injection de « Rivotril [un anxiolytique] à l’insu des personnes ». Une thèse complotiste démontée, qu’il développe pourtant dans une chanson intitulée « Rivo thrill ». Durant le confinement, son délire paranoïaque s’accroît. Il déambule dans les rues vides, à Paris, micro à la main, un ampli sur un chariot. Il appelle la population à « l’insurrection », expliquant que « le seul but de la dictature sanitaire, c’est de nous mettre un vaccin dans le c… ou sous la peau ». Son appel ne prend pas, les gens étant selon lui « aveugles, sourds, lobotomisés ».

Son délire complotiste atteint son apogée le week-end dernier. Selon le journal Marianne, trois heures avant les faits, Martial Lanoir adressait aux 51 abonnés de sa chaîne Telegram un message glaçant. S’exprimant au sujet des funérailles de la journaliste d'Al Jazeera Shireen Abu Akleh, celui qui se présentait comme « révisionniste » appelait à « éliminer » les Juifs. « Jusqu’au dernier, je le répète, jusqu’au dernier des derniers… Éliminez les cafards. Éliminez la tique sur le dos des peuples. »

Toujours selon l’hebdomadaire, il a reconnu devant la juge des libertés et de la détention avoir tiré dans la tête du jeune homme, expliquant simplement avoir un « problème avec la colère ». Quelques semaines après le meurtre de Federico Martin Aramburu, l'extrême droite a encore semé la mort dans les rues de Paris.