EDUCATIONComment combattre l’attitude parfois nocive des parents dans le tennis ?

Tennis : « Pour certains, la réussite passe avant tout »… Comment combattre le comportement parfois nocif des parents ?

EDUCATIONIncontournables dans le paysage tennistique, les parents peuvent être autant un soutien qu’un poids dans l’évolution de leurs athlètes d’enfants
Apostolos Tsitsipas et son fiston.
Apostolos Tsitsipas et son fiston. - Hamish Blair/AP/SIPA / SIPA
Q.B.

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L'essentiel

  • Les parents jouent un rôle très important dans l’activité tennistique de leur enfant, y compris au plus haut niveau puisque beaucoup de pères enfilent la casquette de coach, sans forcément venir du monde du tennis.
  • Naomi Osaka, Sofia Kenin, Coco Gauff, Stefanos Tsitsipas, Alexander Zverev, Richard Gasquet, les sœurs Williams… Tous ont été, ou sont encore aujourd’hui, entraînés par leur père.
  • Cet entremêlement du professionnel et du familial n’est pas sans générer des tensions, compte tenu des enjeux. D’où la nécessité de mieux accompagner les parents.

John Tomic. Un nom tristement célèbre dans l’univers du tennis. Le bonhomme s’est fait connaître comme père et entraîneur de Bernard Tomic, ancien 17e joueur mondial et quart de finaliste de Wimbledon. Pour de bien sombres raisons. En 2013, il est condamné à huit mois de prison par la justice espagnole pour avoir mis un coup de tête au sparring-partner de son fils, Thomas Drouet, sorti de l’histoire avec un nez fracturé et une arcade sourcilière abîmée. Des violences, John Tomic en faisait aussi subir à son propre fils puisque, comme Bernard le confiait dans l’émission A Current Affair, son père le frappait « avec des balles, des raquettes et d’autres choses ».

Dans la même catégorie peu reluisante des paternels qui ont pété les plombs, se glissent ceux de Jelena Dokic, de Mary Pierce, de Mirjana Lucic – qui se faisait taper « quand elle perdait un set » – et d’Aravane Rezaï, contre lequel sa fille a porté plainte pour harcèlement moral, violences volontaires et menaces de mort. Des cas extrêmes, révélateurs de l’omniprésence des parents dans la sphère tennistique, des problèmes qu’ils peuvent poser, et donc de la nécessité d’intégrer cette donnée pour éviter de voir le vase déborder.

La figure du parent-entrepreneur

Si les parents sont aussi présents (voire pressants) auprès de la petite balle jaune, cela s’explique en grande partie par les caractéristiques du tennis. Un sport individuel, qui implique beaucoup de déplacements, d’engagement, et donc toute une organisation familiale. Sandrine Bouchareb travaille justement sur le sujet dans le cadre d’une thèse à l’université Paris Nanterre. « J’ai listé 17 tâches différentes que le parent doit gérer et certaines nécessitent l’acquisition de compétences de nature professionnelle », explique la sociologue.

« Par exemple, l’entraîneur peut demander au parent de faire faire à son enfant des entraînements supplémentaires le week-end. Le parent doit aussi planifier le calendrier des compétitions et accompagner son enfant en tournoi, développe-t-elle. Souvent, il s’improvise préparateur physique ou mental, mais doit aussi investir des tâches comme changer un strap, rechercher des sponsors pour financer le projet, etc. Ce sont des tâches nouvelles qui incombent aux parents lorsqu’ils entrent dans le tennis de haut niveau. »

L'Américaine Sofia Kenin, 23 ans, est entraînée par son père, Alexander.
L'Américaine Sofia Kenin, 23 ans, est entraînée par son père, Alexander.  - Brenton Edwards / AFP

Dans ses travaux, Sandrine Bouchareb cherche à montrer que les parents investis dans la réussite sportive de leur enfant s’engagent dans une carrière de « parent-entrepreneur ». « Ils ont un rôle moteur pour mener ce parcours vers le haut niveau », appuie-t-elle. D’autant plus qu’au-delà des compétences professionnelles à acquérir ou développer, il faut mettre la main au portefeuille.

« Via la filière fédérale, les meilleurs enfants sont sélectionnés dès 5 ans dans un comité départemental. Le coût de cette formation représente entre 5.000 et 10.000 euros par an, hors frais de tournois. Dans le privé, avec les académies, qui ont des structures propres, ou les entraîneurs autoentrepreneurs, il faut compter au moins 40.000 euros par an », estime la sociologue. Un investissement qui peut générer des attentes, donc une pression. Et c’est là que l’on risque de basculer du côté obscur de la force.

Quand papa et maman demandent un retour sur investissement…

Bernard Tomic le disait lui-même : « J’étais sur le court 8 à 10 heures par jour quand j’avais 10 ans. Mon père m’a toujours mis beaucoup de pression et ce n’est pas facile. Être numéro 1, gagner 10 à 20 tournois du Grand Chelem… Ses attentes à mon égard ont toujours été trop élevées. » La concurrence et les enjeux font que certains parents peuvent devenir borderline, à l’image des cas précédemment cités.

« J’ai reçu des témoignages de parents ayant observé des violences physiques sur des enfants à la suite d’une défaite, confie Sandrine Bouchareb. Certains parents sont aveuglés tellement ils sont pris dans ces carrières, dans ce qu’ils ont investi et dans ce qu’ils projettent. Le projet que leur enfant devienne sportif de haut niveau prend alors le pas sur leur rôle éducatif. Quand les parents se centrent uniquement sur la carrière sportive, il arrive qu’ils mettent de côté leur deuxième mission de parent, qui est d’aider leur enfant à s’épanouir. »

Un constat partagé par Yannick Hesse, père et entraîneur d’Amandine, qui compte plusieurs sélections en équipe de France de Fed Cup. « Les parents n’ont qu’un intérêt : le bonheur et l’équilibre de leurs enfants. Ça s’est bien passé avec Amandine parce qu’il y avait une vraie confiance et une vraie attente, avant tout, de son bonheur et de son équilibre. Je vois les choses comme ça, mais ce n’est peut-être pas le cas de tous… Pour certains parents, c’est un vrai projet financier, il y a un gros investissement, et la réussite passe avant tout. J’ai en vus qui apprenaient à leurs enfants, très tôt, à tricher, à mal se comporter… » Tout, on voit de tout sur le circuit.

« On doit aussi guider les parents dans l’accompagnement de leurs enfants »

Les parents étant inévitablement une donnée de l’équation tennistique, des accompagnements se mettent progressivement en place. En marge du Trophée Lagardère, le Paris Racing a organisé une conférence sur la place des parents dans le tennis. Les discussions ont été animées par la psychologue du sport Elise Anckaert, qui est impliquée avec le comité départemental de Paris dans le suivi de jeunes joueurs et de leurs parents.

« Certains comités départementaux organisent des formations à destination des parents sur la gestion des émotions, la nutrition ou l’hygiène du jeune sportif, ajoute Sandrine Bouchareb. Former les parents me semble indispensable, afin de leur apporter les connaissances nécessaires pour accompagner efficacement leur enfant et éviter des situations d’abus d’autorité ou de maltraitance. »

Et Pauline Parmentier, responsable des filles de la catégorie 15-18 ans à la FFT, d’embrayer : « Les parents sont de plus en plus dans le projet des joueurs et des joueuses. Le parent qui voyage, qui est là tout le temps, c’est quasiment la norme aujourd’hui. On guide les joueurs vers le haut niveau, mais aujourd’hui on doit aussi guider les parents dans l’accompagnement de leurs enfants. » Une manière de s’assurer que l’on formera des athlètes, mais surtout des êtres humains. Et si possible, des êtres humains équilibrés qui, une fois leur carrière derrière eux, ne subiront pas le retour de bâton de ces années sous pression.

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