INVESTIGATIONSComment les partis enquêtent-ils sur les violences sexuelles et sexistes ?

Violences sexuelles : Les partis enquêtent-ils sérieusement avant l'investiture de candidats ou la nomination de ministres ?

INVESTIGATIONSDe Taha Bouhafs à Damien Abad, des accusations de violences sexuelles ont ciblé des candidats pourtant investis par les différents partis pour les législatives
Damien Abad
Damien Abad - Michel Spingler/AP/SIPA / SIPA
T.LG. et H.S.

T.LG. et H.S.

L'essentiel

  • Les accusations de violences faites aux femmes ont surgi de manière inédite dans la campagne des législatives de juin.
  • Ces dernières semaines, de Damien Abad à Taha Bouhafs, des candidats visés par des accusations allant du simple témoignage dans la presse à une condamnation judiciaire ont été contraints de renoncer à se présenter.
  • Des décisions qui relancent la question des dispositifs de prévention mis en place par les partis politiques.

Leur rentrée des classes a été complètement éclipsée par l’affaire Abad. Réunis lundi matin à l’Elysée au grand complet en présence d’Emmanuel Macron, les membres du nouveau gouvernement d’Elisabeth Borne ont assisté à leur premier Conseil des ministres dans une ambiance plombée par les accusations de viol visant Damien Abad. La nomination du ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, qui a nié « avec la plus grande force » les témoignages relatés par Mediapart, a monopolisé le compte rendu de la porte-parole du gouvernement.

« L’établissement de la vérité, c’est à la justice de le faire », a balayé Olivia Grégoire, martelée de questions sur le sujet à l’issue de cette réunion. Déjà secouée la semaine passée par l’affaire Peyrat, la Macronie replonge dans la controverse. Mais depuis le début de la campagne, la majorité présidentielle est loin d’être le seul parti ébranlé par des accusations de violences faites aux femmes, visant des candidats investis aux législatives.

Des accusations qui éclaboussent tous les partis

Plusieurs formations politiques ont été pointées du doigt pour avoir investi des hommes accusés de violences contre les femmes et parfois déjà condamnés. « Ces investitures témoignent d’une banalisation de ces violences. Quand de Rugy démissionne pour une affaire de homards, cela paraît normal. Mais quand il s’agit de violences sexuelles ou sexistes, les responsables politiques ne se sentent plus concernés », dénonce Madeline Da Silva, l’une des cofondatrices de l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique, à l’origine des signalements visant le ministre Abad. Pour appuyer son propos, cette élue municipale de Seine-Saint-Denis ajoute : « Aujourd’hui, rares sont les partis qui disposent de cellules spécialisées et de protocoles pour signaler les faits ou recueillir les témoignages ».

Au sein de ces partis, on dit pourtant contrôler au maximum les antécédents des candidats investis dans les 577 circonscriptions. Mais « c’est compliqué de passer au peigne fin proactivement chaque candidat », concède l’eurodéputée insoumise Manon Aubry. « Ce qui compte, c’est de construire un cadre qui ne tolère aucune forme de sexisme, de protéger la parole des victimes en prenant au sérieux toutes les alertes et d’agir en conséquence. » La France insoumise se félicite par ailleurs d’avoir réglé en cinq jours l’affaire Taha Bouhafs après l’intervention d’un comité de suivi interne contre les violences sexuelles quand certains adversaires fustigent au contraire le timing choisi par le parti. Alertée depuis le 7 mai, la formation politique aurait été, selon ces derniers, contrainte de réagir publiquement après les révélations de Mediapart contre l’intéressé. Pressenti pour porter les couleurs de la Nupes (Nouvelle union populaire, écologique et sociale) dans la 14e circonscription du Rhône, le journaliste a retiré sa candidature après des témoignages l’accusant de violences sexuelles, dénonçant des « calomnies ».

Chez Renaissance (ex LREM), on assure prendre également des précautions sur ce sujet. « Nous avons une instance, une cellule, qui permet de faire des signalements d’actes d’agressions sexuelles ou de harcèlement moral par exemple. Il reste bien sûr toujours du boulot à faire dans ce domaine, mais pour prendre en compte ces alertes, encore faut-il être au courant », assure une membre du mouvement présidentiel. Pourtant, Jérôme Peyrat, candidat LREM en Dordogne, était récemment investi par Renaissance, malgré sa condamnation en 2020 pour des violences contre son ex-compagne. Des faits connus du parti et de l’opinion publique. Ce n’est qu'après une sortie calamiteuse de son patron Stanislas Guérini sur France Info, qui tentait de défendre sa candidature, que le député sortant a été contraint de jeter l’éponge. « Son investiture était une erreur, admet une élue macroniste. Mais ce que je retiens, c’est qu’il n’est pas passé entre les mailles du filet et qu’il n’est aujourd’hui pas candidat ». Concernant les accusations contre Damien Abad, l'Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique assure avoir transmis un signalement à plusieurs responsables Les Républicains et LREM par mail, sans avoir aucun retour. Auprès de Mediapart, le nouveau ministre Stanislas Guerini a fait savoir qu’il n’avait pas eu le temps de relever sa boîte mail.

Embarras à droite

A droite, le sujet embarrasse. Damien Abad, investi dans un premier temps par Les Républicains, avait fait l’objet d’une première plainte pour viol en 2012, puis d’une seconde déposée par la même plaignante en 2017, et toutes deux classées sans suite. « Des rumeurs sur une plainte déposée contre lui avaient circulé en 2017, j’avais interrogé Damien Abad à cette époque. Il m’avait répondu que tout cela était faux et qu’il n’avait d’ailleurs jamais été convoqué par la justice », assurait lundi au Point, Christian Jacob, le patron du parti, qui affirme n’avoir « jamais été saisi, ni par l’Observatoire des violences sexuelles et sexistes ni par les services de l’Assemblée nationale ».

Qui, au sein du parti, vérifie les profils investis pour ces législatives et comment ? « Je n’en ai vraiment aucune idée », esquive un député LR, renvoyant vers la Commission nationale d’investiture. « Ça fait partie de la procédure, mais honnêtement, je n’en sais rien. Voyez plutôt avec Eric Ciotti, cela n’arrive pas au niveau des simples membres de comme moi… », élude une membre de la CNI. Contacté par 20 Minutes, le député LR des Alpes-Maritimes et président de la CNI, n’a pas répondu à nos sollicitations.

En France, sur le plan judiciaire, seule une peine d’inéligibilité prononcée par des magistrats peut interdire un candidat à se présenter à une élection. Lorsqu’une personne est mise en cause dans une procédure judiciaire en cours, visée par une plainte ou en attente de son procès, elle bénéficie de la présomption d’innocence. C’est donc aux partis, seuls, de décider si ces personnes sont à même, ou non, de porter leur couleur.

Au PS, le Premier secrétaire Olivier Faure a dit assumer qu'« en cas de signalement, la règle soit "on croit les femmes " ». Il affirme avoir retiré des investitures à des candidats lors des dernières municipales, bien que ce ne soit « pas très facile, quand vous avez l’élu qui pleure au téléphone en jurant qu’il n’a rien fait ».