TOM CREUSEContraint par les délais, Grand Paris Express n’en oublie pas ses déblais

Grand Paris Express : Contraint par les délais, le chantier n’en oublie pas le déblai de 47 millions de tonnes de terre

TOM CREUSELa Société du Grand Paris a mis en place tout un système pour évacuer et valoriser les terres issues du creusement des gares et tunnels du futur Grand Paris Express
Le ciel vu depuis le fond du puits Agnès, à proximité de la gare RER du Stade de France.
Le ciel vu depuis le fond du puits Agnès, à proximité de la gare RER du Stade de France. - G. Novello / 20 Minutes
Guillaume Novello

Guillaume Novello

L'essentiel

  • Pour la construction du Grand Paris Express à l’horizon 2030, la Société du Grand Paris (SGP) prévoit l’excavation de 47 millions de tonnes de terre.
  • Or pour évacuer, tracer et stocker ces déblais, la SGP a mis en place tout un système de logistique, notamment un système poussé de traçabilité.
  • Malgré une volonté de réutiliser ces déblais pour le comblement de carrières ou l’aménagement urbain et le souhait de favoriser le transport non routier, les réalités de ce chantier colossal rencontrent parfois l’opposition de riverains, comme ceux de la gare de Bondy.

C’est un trou béant de 25 mètres de profondeur entre le canal de Saint-Denis et la gare du RER B La Plaine – Stade de France. De par ses proportions, on pourrait le croire unique, mais il – ou plutôt elle car le puits s’appelle Agnès – n’est qu’un des multiples chantiers lancés pour la mise en place du Grand Paris Express (GPE) d’ici à 2030. Ici, c’est la société Eiffage qui est chargée du percement du tunnel de la ligne 15 Est. Pour cela, un tunnelier de 100 mètres de long, nommé Sarah, dévore chaque jour 1.000 à 1.500 m³ de terre.

En bas à gauche l'entrée du tunnel de la ligne 15 Est.
En bas à gauche l'entrée du tunnel de la ligne 15 Est. - G. Novello

Alors forcément, il faut évacuer et stocker ces terres, qui d’ailleurs ne se présentent pas sous la forme de « terre végétale de jardin mais davantage sous celle de sable et de gravillons », précise Thomas Gaudron, responsable de la valorisation des terres excavées à la Société du Grand Paris (SGP). Or cette dernière veut prouver que « ce sujet est un sujet que nous suivons avec une extrême attention et vigilance », selon les mots de Jean-François Monteils, le président du directoire de la SGP, surtout depuis la diffusion le 25 mars 2021 d'un épisode de Compléments d’enquête consacré à la question et dont on n’a pas dit que du bien dans les couloirs de la SGP (chacun jugera).

Des montagnes de déblais

Or ces déblais, comme on appelle les terres excavées, sont nombreux, très nombreux, environ 47 millions de tonnes pour la totalité du chantier, soit, en volume, presque 5 fois la pyramide de Khéops. Pour éviter qu’ils ne se perdent dans la nature, la SGP a mis en place un système de traçabilité, appelé T-Rex, grâce auquel « on sait parfaitement dire quel déblai va où et dans quels types de conditions », vante Jean-François Monteils. En outre, 6.500 sondages ont été effectués pour connaître la qualité des sols tandis que des analyses sont effectuées tous les 200 à 500 m³ de terre excavée. Et au final, « 98 % des sols sont non pollués et non dangereux », assure Bernard Cathelain, membre du directoire de la SGP.

Reste ensuite à trouver des lieux de chute pour ces déblais. En tout, 400 sites ont été agréés par la SGP selon des critères stricts pour les recevoir, mais pour l’instant, seuls 169 d’entre eux ont effectivement accueilli des terres excavées. « La SGP s’est engagée à en valoriser 70 %, explique Thomas Gaudron. Aujourd’hui, nous sommes à 47,1 % de valorisation sans transformation, par exemple en utilisant les déblais pour combler des carrières ou pour des aménagements comme le parc de la plaine du Sempin », en Seine-et-Marne. Par ailleurs, 41 % des déblais totaux, qui ne sont pas considérés comme valorisés, serviront toutefois à l’édification de la butte paysagère de Villeneuve-sous-Damartin, également en Seine et-Marne. Enfin, « 2,3 % des terres sont transformées en éco-matériaux comme de la brique de terre crue ou des granulats de béton », ajoute Thomas Gaudron. Et selon lui, ce chiffre assez faible s’explique par un problème de « filières assez peu matures qu’il a fallu développer ».

Des norias de camions

Mais entre leur excavation et leur éventuelle valorisation, ces terres doivent être transportées. « Nous avons un objectif d’évacuation par voie fluviale ou ferroviaire d’au moins 15 %, détaille Bernard Cathelain. Aujourd’hui, nous sommes à 16,2 % pour le fluvial et 1,5 % pour le ferroviaire. Cette dernière solution n’est pas simple car le réseau ferré est très largement utilisé pour le transport des passagers. » Au niveau du puits Agnès, les déblais évacués du tunnel par des bandes transporteuses en caoutchouc sont ensuite stockés dans d’énormes bacs de 500 m³ avant d’être chargés dans des barges de 2.000 tonnes amarrées au quai voisin.

Les bacs qui accueillent les déblais dans l'attente de leur chargement sur des barges.
Les bacs qui accueillent les déblais dans l'attente de leur chargement sur des barges. - G. Novello

Mais dans la plupart des cas, l’évacuation se fait par camion, ce qui n’est pas sans poser problème pour les riverains. Comme à Bondy où « les emprises à proximité de la gare étant insuffisantes, on a prévu un site déporté », indique Bernard Cathelain. Sauf que ce site censé accueillir des installations de chantier (notamment une centrale à béton) et les déblais en attente d’analyse, est prévu à l’emplacement de cinq pavillons – la SGP en a déjà acquis trois – et à proximité d’une crèche. Evidemment, Bernard Cathelain se veut rassurant et affirme « avoir mis en place des restrictions » et qu’il « n’y aura pas de circulation devant la crèche. »

Mais cela a moyen convaincu les associations écologistes du coin qui ont déposé lundi 23 mai un recours devant le tribunal administratif de Montreuil « contre l’arrêté préfectoral n°2021-3381 portant modification de la déclaration d’utilité publique relative aux travaux nécessaires à la réalisation de la ligne 15 Est ». Avec cette action, elles entendent, selon leur communiqué, « préserver sécurité, santé et cadre de vie des habitants ». « On propose des solutions alternatives, mais nous ne sommes pas écoutés », déplore Francis Redon, un des coordinateurs de la lutte. Qui délivre toutefois un bon point à la SGP pour la gestion de ces déblais : « Le comblement de carrières est un exutoire tout à fait adapté. Au moins il y a une valorisation des déblais. »

La chasse à la fraude

« Nous n’avons pas détecté de fraudes sur les déblais issus du Grand Paris Express », assure d’emblée Jean-François Monteils, directeur de la SGP. Mais comme celle-ci se veut « exemplaire », elle a signé une convention avec l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp), le service de la gendarmerie nationale chargé de la lutte contre le crime environnemental. Cette convention se résume principalement à un échange d’informations, principalement les fameuses données de traçabilité des déblais. Et Jean-François Monteils de mettre en garde : « Si on n’anticipe pas, on pourrait voir naître une économie clandestine, frauduleuse, avec des conséquences environnementales catastrophiques. »