PRUD'HOMMESCode du travail, discrimination... Miss France devant la justice

Miss France : « Ce n’est pas une joyeuse balade de santé... » Le célèbre concours de beauté devant la justice

PRUD'HOMMESLa société Miss France et Endemol comparaissaient, ce mardi, devant le conseil des prud’hommes de Bobigny après une plainte de l’association Osez le féminisme, les accusant de pratiques contraires au droit du travail
L'élection de Miss France 2022 a lieu au Zenith de Caen
L'élection de Miss France 2022 a lieu au Zenith de Caen - SIPA / SIPA
Manon Aublanc

Manon Aublanc

L'essentiel

  • En octobre 2021, l’association de défense des droits des femmes, Osez le féminisme, avait saisi la justice, accusant la société Miss France et Endemol de pratiques contraires au droit du travail.
  • L’association réclame de nouveaux contrats de travail pour les candidates et la fin des critères de participation au concours Miss France qu’elle juge discriminatoires.
  • La décision de l’audience, qui s’est déroulée ce mardi après-midi devant le conseil des prud’hommes de Bobigny (Seine-Saint-Denis), sera rendue le 8 novembre 2022.

«Si on voulait faire un cas d’école des critères discriminants, on prendrait le formulaire d’inscription à Miss France. Absolument tout y est ». Concours de beauté ou pas, pour l’association Osez le féminisme, les pratiques de Miss France sont discriminantes et contraires au droit du travail. L’entreprise Endemol France, qui organisait le concours jusqu’à l’an dernier, et la société Miss France, qui a repris le flambeau en 2021, comparaissaient, ce mardi après-midi, devant le conseil des prud’hommes de Bobigny (Seine-Saint-Denis), après avoir été saisi par l’association féministe octobre 2021.

A cette plainte se sont ajoutées celles de trois femmes, en tant que personnes physiques, qui estiment avoir été discriminées, n’ayant pas pu candidater en raison des critères imposés pour participer au concours Miss France.

Des critères discriminants

Et ils sont nombreux : ne pas avoir d’enfant, ne pas avoir été mariée, ne pas consommer d’alcool ou de tabac en public, faire plus d’1m70, ne pas avoir fait de photos en lingerie ou de photos dénudées, « ne pas avoir un comportement contraire aux bonnes mœurs », être « représentative de la beauté », « n'avoir fait l’objet d’aucune poursuite »… Une liste des critères à respecter qui a empêché les trois plaignantes – qui n’étaient pas présentes à l’audience en raison de menaces reçues sur les réseaux sociaux – de s’inscrire à la première étape locale du célèbre concours de beauté.

« J’ai fait des photos pour montrer la beauté de tous les corps, car je voulais représenter toutes les femmes. Puis, ma taille ne correspondait pas. Or, la grandeur d’une Miss semble se mesurer à ses centimètres et non à sa personnalité. Et j’ai toujours bu de l’alcool en public. Quelle tristesse pour moi et toutes les autres femmes qui ne prétendent pas être parfaites mais qui ont des qualités humaines », a déclaré Anna, l’une des plaignantes, dont le témoignage a été lu à l’audience par son avocate, Me Violaine de Filippis-Abate. « On peut être poursuivi en justice et être ministre, mais on ne peut pas candidater à Miss France », a ensuite ironisé l’avocate, en référence Damien Abad, le nouveau ministre des Solidarités, visé par des accusations d’agressions sexuelles.

Miss France, comparable à l’élection présidentielle ?

Mais pour la société Miss France, dirigée par Alexia Laroche-Joubert,les élections, quelles qu'elles soient, ne sont soumises au Code du travail. « On peut prendre l’exemple du président de la République. Il est soumis à un critère discriminatoire qui est qu’il doit être de nationalité française. Les sénateurs, eux, doivent avoir plus de 24 ans. Quant aux députés, ils doivent obligatoirement résider dans leur circonscription », a défendu Me Stéphanie Dumas, l’avocate d’Endemol et de la société Miss France. D’autant plus, pour l’avocate, qu’on ne peut pas parler de discrimination à l’embauche étant donné que les trois plaignantes n’ont pas signé le document, puisqu’elles n’ont finalement jamais validé leurs candidatures.

Si les trois plaignantes n’ont même pas pu s’inscrire, c’est que les candidates doivent certifier sur l’honneur qu’elles remplissent les critères, sous peine d’être attaquées, a justifié Me Violaine de Filippis-Abate : « On discrimine les candidates et en plus on les menace de les poursuivre en justice pour faux et usage de faux ? », s’est insurgée l’avocate qui représente aussi l’association Osez le féminisme, réclamant un euro symbolique de dommages et intérêts pour chaque plaignante et la suppression de toutes les clauses jugées discriminatoires.

Un contrat sur trois jours

L’autre cheval de bataille de l’association féministe, c’est l’instauration d’un contrat de travail pour les candidates, dès la première étape, celle de l’élection locale. « Une candidature à Miss France est une offre d’emploi puisqu’elle peut aboutir à un contrat en CDD pour le poste "Miss France" pendant une année », a soutenu Me Violaine de Filippis-Abate, qui estime qu’une « Miss rentre dans un cercle de mise à disposition d’elle-même » dès la première élection.

Lors de la dernière cérémonie de Miss France 2022, en décembre 2021, la société organisatrice avait fait un pas en avant en signant, pour la première fois, un contrat de travail sur trois jours, soit deux jours de répétitions et un jour de cérémonie retransmise à la télévision, pour les 29 candidates. « Il faut un vrai contrat de travail depuis l’échelon local, pour toute la préparation des spectacles en région, jusqu’à l’élection de Miss France », a regretté Me Violaine de Filippis-Abate, jugeant la mesure insuffisante : « Toute l’année, ces femmes travaillent, sont à la disposition de la production pour les interviews, les partenariats avec des marques, les spectacles en région. Ce n’est pas une joyeuse balade de santé d’être à Miss France ».

Mais pas question de parler de contrat de travail pour les trois plaignantes, a estimé de son côté Me Stéphanie Dumas : « Elles ne peuvent pas demander un contrat de travail puisqu’elles n’ont tout simplement jamais candidaté », a-t-elle simplement fait valoir. « Je vous demanderais donc de débouter les salariées… Pardon, je voulais dire les candidates », a conclu l’avocate, sous les rires de la salle. La décision du conseil des prud’hommes sera rendue le 8 novembre prochain.