COMPTE-RENDULes avocats de Salah Abdeslam dénoncent des réquisitions « cruelles »

Attentats du 13-Novembre : Les avocats d’Abdeslam exhortent la cour à renoncer à la « peine de mort sociale »

COMPTE-RENDUReconnaissant le rôle de leur client dans les attentats, Olivia Ronen et Martin Vettes ont fustigé une « peine démesurée » requise par le parquet
Olivia Ronen assure la défense de Salah Abdeslam avec son confrère Martin Vettes.
Olivia Ronen assure la défense de Salah Abdeslam avec son confrère Martin Vettes.  - Alain JOCARD / AFP / AFP
Hélène Sergent

Hélène Sergent

L'essentiel

  • Le Parquet national antiterroriste a requis contre Salah Abdeslam la peine maximale encourue en France, la perpétuité incompressible.
  • Ses avocats, Olivia Ronen et Martin Vettes ont dénoncé une « peine cruelle » et « terrible ».
  • Après neuf mois d’audience, la cour d’assises spécialement composée rendra son verdict le 29 juin.

A la cour d’assises spécialement composée de Paris,

Au fil de ces neuf mois de procès, l’exercice est apparu tantôt impossible, courageux, vain, nécessaire. Ce vendredi, au terme de 146 journées d’audience, les deux avocats de Salah Abdeslam, unique survivant des commandos des attentats du 13-Novembre, ont pourtant été contraints de s’y plier.

Dans une plaidoirie à deux voix, Olivia Ronen et Martin Vettes ont torpillé le « raz-de-marée aveugle » contenu dans le réquisitoire du Parquet national antiterroriste (PNAT). Sans surprise, quelques semaines plus tôt, les avocats généraux avaient réclamé à l’encontre d’Abdeslam la peine maximale encourue en France : la prison à perpétuité incompressible. Une peine « démesurée » fondée selon la défense sur une « grossière fiction juridique ».

Ni « sociopathe », ni « illuminé »

En s’avançant le premier devant la cour, Me Martin Vettes a prévenu : « Notre travail consiste à ébranler les certitudes. » Mais avant de s’y atteler, les deux avocats de Salah Abdeslam ont tenu à clarifier le rôle et les responsabilités endossés pleinement par leur client dans les attaques terroristes de Paris et Saint-Denis. « J’entends d’ici les critiques : 'La défense s’étonne d’une peine lourde !' Bien entendu, nous nous attendons à une sanction lourde pour Salah Abdeslam. Celui-ci, et il le reconnaît, a apporté son aide à l’Etat islamique. Il a accepté de faire partie des commandos et a déposé trois hommes avec des gilets explosifs devant le Stade de France », a rappelé Olivia Ronen.

Pour tenter d’éclairer les motivations de cet accusé, l’accusation a oscillé, selon les deux avocats, entre deux lectures : « Soit Salah Abdeslam est un barbare qui a soif de sang, soit c’est un fanatique en rupture avec nos valeurs (…) Sauf qu’il ne rentre dans aucune de ces deux cases », insiste Martin Vettes. Chargés depuis 2018 de défendre le trentenaire, les deux pénalistes ont livré une tout autre analyse pour expliquer le « glissement » de ce « petit gars de Molenbeek » en « intérimaire de Daesh ». Ni « sociopathe », ni « illuminé venu du fond du Moyen Age », Salah Abdeslam était en 2015 « un jeune homme tout à fait de son époque ». « Sensible » selon les mots adressés par sa sœur à la cour, l’ancien employé d’une société de transports Bruxelloise « s’indigne » face aux images de la guerre en Syrie. « L’Etat islamique a su capter cette indignation et la cultiver », a poursuivi Martin Vettes.

La thèse du renoncement

Avec aplomb, Olivia Ronen a défendu la thèse du recrutement tardif de son client au sein des commandos djihadistes. Une simple comparaison avec les autres membres de la cellule témoignerait de cet écart. Salah Abdeslam est le seul à ne pas avoir de kunya – ce surnom arabe donné aux recrues de l’Etat islamique – il ne figure pas sur la vidéo de revendication diffusée par Daesh et il est le seul à ne pas s’être rendu en Syrie.

Plus significatif encore selon elle, Salah Abdeslam est le seul des dix terroristes du 13-Novembre à avoir renoncé ce soir-là à activer sa ceinture explosive. Une « morsure de la conscience » accréditée par les déclarations de l’accusé à l’un de ses amis venu le chercher dans la nuit des attentats et à qui Abdeslam s’était confié avant de rétropédaler. « Il y a des consignes qui sont données par l’Etat islamique : si la ceinture ne fonctionne pas, il faut utiliser un briquet (…) vous ne pouvez qu’être convaincus que Salah Abdeslam s’est désisté et cette donnée essentielle ne pourra que peser dans votre décision », a développé l’avocate.

Une peine « terrible » et « cruelle »

Regrettant que la parole de leur client ne « vaille rien » aux yeux du PNAT, Olivia Ronen et Martin Vettes ont étrillé le réquisitoire des trois avocats généraux. Jugé comme « coauteur » des attentats du 13-Novembre, Salah Abdeslam encourt aujourd’hui la perpétuité réelle sur la base de cette qualification pour les tirs qui ont visé les policiers de la BRI lors de l’assaut du Bataclan. Le parquet a estimé qu’il existait une « interchangeabilité » entre tous les membres des commandos, les uns et les autres auraient pu être envoyés sur n’importe quelle scène de crime.


Notre dossier complet sur le procès

« Mais Salah Abdeslam n’était pas sur les lieux, il n’a pas tenu l’arme, et il n’était pas au courant que ce lieu était visé ! », a martelé avec virulence Olivia Ronen. Cette peine, c’est « ce qu’on aurait aimé demander contre les auteurs du Bataclan. Mais force est de constater qu’ils ne sont pas là ». À quelques jours du verdict, Martin Vettes a exhorté la cour à faire preuve de « courage », à ne pas céder « aux foudres de l’opinion publique » et à « s’écarter » de « cette peine de mort sociale », « terrible et cruelle ». Sa consœur, elle, a demandé aux magistrats « d’appliquer le droit » et de renoncer à cette « mort blanche vécue dans l’indifférence » : « Si vous suivez le parquet, c’est le terrorisme qui a gagné. » Le verdict sera rendu le 29 juin prochain.

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