DIPLOMEPourquoi les cas d'élèves quittant le lycée pro pour bosser inquiètent

Education : Pourquoi les cas d'élèves quittant leur lycée pro pour aller bosser inquiètent

DIPLOMELe nombre d’élèves de Terminale inscrits aux épreuves du bac pro est en baisse cette année
Certains élèves inscrits en Terminale pro n'ont pas passé leurs examens préférant aller travailler en entreprise.
Certains élèves inscrits en Terminale pro n'ont pas passé leurs examens préférant aller travailler en entreprise. - Canva / Canva
Delphine Bancaud

Delphine Bancaud

L'essentiel

  • Certains lycéens n’ont pas terminé l’année scolaire pour passer leur bac pro, car ils ont accepté une promesse d’embauche.
  • Une tendance en augmentation, car des entreprises en proie à des difficultés de recrutement puisent dans ce vivier.
  • Le fait de ne pas avoir décroché leur diplôme risque de pénaliser ces jeunes dans leur carrière, en freinant leur promotion salariale ou en les privant d’un atout sur leur CV s’ils veulent changer d’entreprise ou se reconvertir.

A la joie de fêter l’obtention de leur bac, ils ont préféré celle de trinquer à leur premier CDI. Cette année, certains élèves de bac pro ont lâché le lycée en cours d’année, happés par les sirènes du marché du travail. Un phénomène qui n’est pas nouveau, mais qui s’est amplifié en 2022. Au point même que la rue de Grenelle s’en préoccupe. « Certains élèves ont fait le choix de l’insertion professionnelle. Ce phénomène d’évaporation s’observe plus souvent en période de forte reprise économique », a ainsi reconnu Edouard Geffray, Directeur général de l’enseignement scolaire (Dgesco), début juin. Avant d’annoncer un nombre de candidats inscrits au baccalauréat professionnel en baisse de 1,6 %. Une baisse certes due à des effets démographiques, mais aussi à ces départs anticipés du lycée.

« Et l’on sait que chaque année, certains inscrits ne se présentent pas le jour des épreuves. La baisse devrait donc être un peu plus importante au final », prédit Sigrid Gérardin, professeure en lycée professionnel et cosecrétaire du SNUEP-FSU. Le chiffre des candidats présents à toutes les épreuves du bac sera disponible à l’automne, selon le ministère.

Des embauches dans les secteurs en tension

Sur le terrain, les équipes pédagogiques attestent aussi du phénomène. « Juste après le dernier confinement, on avait déjà constaté que des élèves n’allaient pas jusqu’à la certification et choisissaient de travailler, car leur famille avait besoin d’argent », indique Olivier Beaufrère, secrétaire national du SNPDEN-Unsa et proviseur à Versailles. « On a des remontées de terrain. Comme au lycée des métiers de l’hôtellerie, du tourisme et des services d’Arcachon, où plusieurs lycéens sont partis en cours de route », ajoute Mohamad Attia, responsable de la voie professionnelle au Se-Unsa et enseignant de français en lycée pro.

Ce sont souvent les entreprises de secteurs en tension qui, en proie à des difficultés de recrutement, courtisent ces lycéens : « C’est le cas dans l’hôtellerie-restauration, les services à la personne, la coiffure, le BTP », constate Sigrid Gérardin. A l’approche de l’été, certains recruteurs sont de plus en plus à l’affût de candidats et intensifient les propositions de CDD ou de CDI. Et même s’ils n’ont pas encore décroché leur diplôme, les lycéens ont des compétences qui séduisent : « En trois ans de préparation du bac pro, les élèves font 6 stages, pendant 22 semaines au total. Ils passent un tiers de leur formation en entreprise, ce qui leur permet d’être opérationnels tout de suite », souligne Olivier Beaufrère.

« Les grilles salariales sont indexées sur le niveau d’études »

Sans surprise, la tentation de travailler concerne davantage les jeunes issus des classes populaires : « Beaucoup de nos lycéens ont envie ou besoin d’être autonomes financièrement assez rapidement », observe Olivier Beaufrère. Mais pour Sigrid Gérardin, cette propension à se lancer dans la vie active s’explique aussi par une forme de démotivation scolaire : « La période du Covid-19a été gérée de manière erratique dans les lycées professionnels. Nos lycéens qui cumulent difficultés sociales et scolaires ont besoin de proximité, de suivi individuel. Il s’en est suivi davantage de décrochage ».

Mais cet arrêt prématuré de leurs études risque de leur être dommageable. « Les grilles salariales sont indexées sur le niveau d’études. Et ils auront de moindres opportunités d’évolution professionnelle », souligne Mohamad Attia. « Le diplôme reste un rempart contre le chômage. Que deviendront-ils s’ils sont licenciés ou s’ils doivent se reconvertir professionnellement ? », interroge aussi Sigrid Gérardin. L’accès à la formation continue peut être également plus complexe : « Si un jeune veut faire une mention complémentaire en pâtisserie pour évoluer, il ne pourra pas y accéder sans le bac », site Olivier Beaufrère.

Des lycées qui font tout pour garder leurs élèves

Pour prévenir ces décrochages, les équipes des lycées pro multiplient les initiatives : « Pendant toute leur scolarité, on leur explique l’importance de boucler la boucle. Et s’ils veulent travailler, on les incite à le faire uniquement le soir ou le week-end », indique Olivier Beaufrère. « Quand on constate des absences répétées d’un élève, on prend contact avec sa famille. Et en fonction de ses difficultés, on peut lui proposer un tutorat ou un aménagement d’emploi du temps », poursuit Mohamad Attia. Sigrid Gérardin insiste aussi sur ce travail d’accompagnement : « Deux professeurs principaux apportent une attention particulière à chaque élève et travaillent avec lui sur son projet professionnel »

Les équipes pédagogiques discutent aussi avec les entreprises partenaires dans lesquelles les élèves font leurs stages. « On les dissuade de recruter les jeunes en cours de formation. Et de leur proposer les rémunérations les plus basses de l’échelle parce qu’ils n’ont aucun diplôme », explique Sigrid Gérardin. Et si les élèves qui ont quitté précocement le lycée ont des remords, les équipes font tout pour leur permettre de raccrocher : « Ils peuvent passer le bac en candidat libre s’ils ont validé leurs 12 semaines de stages, ou refaire une année de Terminale si ce n’est pas le cas », indique Mohamad Attia.