LIBERTEL'Osint, cette nouvelle forme d'investigation en ligne, qui prend du galon

Guerre en Ukraine : Assiste-t-on à l'avènement de l'Osint, l'enquête en ligne accessible à tous ?

LIBERTETwitter, réseau social cher à ces nouveaux enquêteurs, bruisse de messages estampillés #Osint, cette forme d’enquête à partir de sources ouvertes, qui obtient de nombreux résultats depuis le début de la guerre en Ukraine
L'Osint est une nouvelle façon de faire de l'enquête et se popularise avec la guerre en Ukraine durant laquelle de nombreuses vidéos et photos sont facilement accessibles. (Photo d'illustration)
L'Osint est une nouvelle façon de faire de l'enquête et se popularise avec la guerre en Ukraine durant laquelle de nombreuses vidéos et photos sont facilement accessibles. (Photo d'illustration) - GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP / AFP
Laure Gamaury

Laure Gamaury

L'essentiel

  • Avec la guerre en Ukraine et les millions de médias vidéo, photos et audios à disposition en ligne, l’Osint, le renseignement en sources ouvertes, connaît un bond de popularité spectaculaire.
  • Pour Olivier Le Deuff, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, « l’aspect ludique n’est pas étranger à cet engouement ».
  • Mais avec la multiplication des Osinteurs apparaissent aussi des dangers et des biais qui nécessitent d’encadrer a minima la pratique pour qu’elle garde son efficacité.

Le Cluedo est votre jeu favori ? L’inspecteur Maigret ou Julie Lescaut, les idoles de votre enfance ? La loupe et l’imperméable, des accessoires dont vous rêvez qu’ils reviennent à la mode ? Arrêtez tout, on a deviné votre attrait pour les enquêtes en tout genre. Et en 2022, c’est en ligne que ça se passe : voici venir l’Osint, pour Open Sources Intelligence ou ROSO, le renseignement d’origine sources ouvertes, immense terrain d'enquêtes à ciel ouvert sur la guerre en Ukraine.

« L'invasion russe a offert une opportunité pour nombre de journalistes et de fait, pour une partie croissante de la population française de découvrir ce qu’est l’Osint. L’intérêt pour cette méthode d’investigation est grandissant », confiait il y a peu à 20 Minutes, le Toulousain Baptiste Robert, « hacker éthique » et fondateur de Predicta Lab qui crée des outils pour aider ces enquêteurs en ligne.

« Aujourd’hui, on trouve de plus en plus de passionnés d’Osint, ils viennent du renseignement, de la veille, de la documentation, de la cybersécurité, du journalisme ou de l’investigation pour la majorité, constate Olivier Le Deuff, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, et spécialisée dans l’Osint depuis environ deux ans. L’aspect ludique n’est pas étranger à cet engouement, couplé à des ressources plus facilement accessibles ».

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L’Osint, un cluedo géant ?

« Il y a un accroissement très net du hashtag Osint, #Osint est devenu une compétence à part entière sur les profils Twitter, et notamment les profils de journaliste. » , analyse Olivier Le Deuff, qui a aussi créé il y a un an, l’Osintosphère, une carte regroupant les acteurs actifs de la sphère Osint. Il ajoute : « le contexte ukrainien est bien la preuve que l’Osint est passé d’un territoire d’initiés et d’experts, à la marge, au centre de l’attention ».

Chez OpenFacto, l’association des Osinteurs francophones, créée en 2019, on note aussi une hausse très marquée des demandes de formation, « depuis la rentrée », selon Hervé, le président. « Au début de la guerre, on a vu sortir avec beaucoup d’inquiétude de nombreuses informations sur l’Ukraine. Il faut alors former et prévenir ces nouveaux venus des dangers pour eux et pour les autres. L’Osint peut être vu comme un jeu, mais ses enjeux sont bien plus sérieux ».

Merci Bellingcat

L’intérêt grandissant pour l’Osint se constate donc notamment sur Twitter, où des novices sont devenus en peu de temps des spécialistes : c’est le cas de @Coupsure ou @CasusBellii, dont les premiers tweets sur le sujet n’ont pas plus de trois ans. Et pourtant. « Coupsure passe beaucoup de temps à faire de l’analyse d’images sur le conflit ukrainien, note Olivier Le Deuff. Il est devenu une référence ».

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Avant la guerre en Ukraine, le conflit en Syrie a aussi aidé l’Osint à se glisser dans ses habits de la lumière. « C’était plus complexe car les réseaux de communication et Internet étaient coupés, contrairement à l’Ukraine aujourd’hui, que la population n’était pas équipée systématiquement de téléphones portables. Il fallait passer par le satellite », expose Hervé d’OpenFacto, qui ne manque pas de souligner le rôle-clé de Bellingcat. « De l’Osint j’en faisais dès le début des années 2000, mais comme Monsieur Jourdain sans savoir que ça en était. J’y suis venu en grande partie car je travaille dans le domaine de l’enquête. Et ensuite, je me suis pas mal formé auprès de Bellingcat."

Bellingcat, c’est le collectif international et indépendant qui a démocratisé l’enquête de sources ouvertes en ligne. « Le fondateur Elliot Higgins voulait en savoir un peu plus sur ce qu’il se passait en Syrie et n’arrivait pas à trouver toutes les informations dans les médias traditionnels », explique Olivier Le Deuff. En pleine période de chômage en 2014, le Britannique se prend alors de passion pour cette nouvelle discipline et crée ce site d’analyse des données en source ouverte, à destination de ce qu’il nomme la communauté des « journalistes-citoyens ». « Crew collaboration is the key ».

Encadrer l’Osint pour mieux le pratiquer

Mais comme toute discipline qui se généralise et voit de plus en plus de personnes s’y intéresser, les biais et autres travers augmentent aussi. « En matière d’Osint, il est de plus en plus important de faire de la prévention, avertit Hervé d’OpenFacto. De la prévention pour les Osinteurs, et pour les gens qui pourraient être directement touchés par les enquêtes ».

Ainsi, il pointe ce qu’il appelle le « trauma de l’empathie ou traumatisme vicariant ». « Une personne qui se lance dans l’Osint peut être contaminée par le vécu traumatique des autres », explique-t-il. Devant cette pléthore de vidéos violentes et de photos pétrifiantes, « l’Osinteur peut développer une fatigue morale, qui peut aller jusqu’à la dépression ». Sans parler du syndrome du lièvre de Jean de La Fontaine : « certains pensaient que le conflit allait être très court, et ils se sont lancés à fond dedans. Or a priori, le conflit va encore durer de longs mois, voire peut-être même des années. », ajoute le président de l’association.

Et comme dans les médias, l’essoufflement se fait rapidement ressentir et peut mener à une lassitude négative, ou pire. Pour Olivier Le Deuff, un autre risque de se lancer à corps perdu dans l’Osint est d’en arriver à créer soi-même des liens : « en entrant dans une démarche d’investigation sans limite, des Osinteurs, dépassés, peuvent basculer dans le camp conspirationniste ».

« Il ne faut pas banaliser les choses »

Tous les spécialistes rappellent également que cette collecte et cette analyse de données en source ouverte sont liées à des situations dramatiques dans la vie réelle. « Il ne faut pas banaliser les choses. Derrière les informations diffusées par écran interposé, il y a des personnes sur des territoires en guerre où elles jouent leur vie. Il faut bien réfléchir en amont à ce qu’on publie, insiste Baptiste Robert. Car, particulièrement dans le contexte de la guerre en Ukraine, les publications mises en ligne sont vues par tous les camps ».

« Contrairement à Staline qui œuvrait derrière le rideau de fer, Vladimir Poutine doit lui le faire au grand jour et dans une quasi transparence, ce qui fait bien de la libre circulation des informations son pire adversaire », comme l’édictait le journaliste Quentin Lafay dans un épisode d'« Et maintenant » sur France Culture. C’est le principe même de la liberté d’Internet, l’ouverture du champ des possibles et l’apparition d’une arme à multiples tranchants.