CYBERHARCELEMENTSexisme, racisme… sur Twitch, les femmes seules face au cyberharcèlement

Haine en ligne : Sexisme, racisme, grossophobie… sur Twitch, les femmes seules face au cyberharcèlement

CYBERHARCELEMENTIl y a six mois, la plateforme a lancé une intelligence artificielle pour lutter contre le cyberharcèlement… mais le résultat n’est pas visible.
Delfea Gaming en train de streamer
Delfea Gaming en train de streamer - Delfea Gaming / Delfea Gaming
Lina Fourneau

Lina Fourneau

L'essentiel

  • Sur la plateforme Twitch, les femmes sont les premières victimes du cyberharcèlement.
  • Si le réseau social cherche à mettre en place des dispositifs contre, les streameuses font face à de nombreuses insultes, aussi bien sur leurs compétences que sur leur physique.
  • 20 minutes a discuté avec ces streameuses des insultes rencontrées, mais aussi de leurs solutions pour faire face au problème.

Des centaines et des centaines de bots malveillants arrivés en masse sur un même live Twitch. Dans le jargon, on appelle ça un raid haineux et la streameuse Delfea Gaming – suivie par 1.400 personnes – y est désormais habituée. « Il y a quelques jours, 200 bots ont débarqué sur ma chaîne avec des pseudos très violents », nous raconte la twitcheuse. Afin de se protéger de ce cyberharcèlement devenu régulier, Delfea a décidé de faire des captures d’écran des insultes racistes ou ciblées sur le handicap qu’elle reçoit. 20 minutes a pu les consulter. Parmi ces pseudos, on peut lire par exemple « le nazi », « elle est toujours là la triso », ou « je te baise la nez graisse ».

Alors pour se sentir moins seule face au problème de cyberharcèlement, Delfea – comme 850 autres streameuses – a rejoint le collectif Stream’Her, « une communauté d’entraide et de mise en avant des femmes dans le monde du streaming ». L’idée a émergé dans la tête de Chloé, la cofondatrice, au moment où elle est arrivée sur Twitch il y a deux ans. Observant un manque de représentativité des femmes sur la plateforme, la cofondatrice du collectif a cherché un moyen pour mettre davantage en avant les twitcheuses et les aider à s’installer. « L’idée était de se donner les outils pour se protéger entre nous », nous raconte Chloé, qui, depuis, a été rejointe par une seconde cofondatrice, Ilaria. Car aucune semaine ne se passe sans au moins une insulte, avouent les deux twitcheuses. Sur la plateforme, le cyberharcèlement pullule et touche particulièrement les femmes.

Des gameuses sous-estimées

Chloé – plus connue sous le nom de Chloe_Live sur Twitch – est spécialisée dans les jeux vidéo. Et comme la plupart des femmes dans cette catégorie, la fondatrice de Stream’Her subit des attaques sur le manque de compétences des femmes dans les jeux vidéo. « C’est considéré comme un milieu masculin, alors qu’il y a autant de femmes que d’hommes chez les joueurs », explique Chloé. « C’est un phénomène très récurrent. Sur nos lives, les hommes se disent que c’est à eux d’apprendre aux femmes à jouer aux jeux vidéo. C’est clairement du sexisme », ajoute de son côté Delfea Gaming.

D’autres streameuses raconteront également être réduites uniquement à leur physique. C’est notamment le cas d’Ilaria, qui, même s’il a une plus petite communauté qu’elle considère comme « bienveillante », subit des remarques grossophobes. Une autre streameuse, Desentredeux – suivie par 2.800 personnes – nous raconte aussi faire face à des insultes « allant dans tous les sens ». « Ça peut être des remarques sexualisantes, des remises en question de mon travail, de mon handicap ou bien sur mon style », regrette la streameuse qui préfère garder son identité d’artiste « justement à cause du cyberharcèlement ». « Je ne donne plus mon nom ou mon âge », ajoute-t-elle.

Afin de se protéger, Desentredeux a elle aussi décidé de faire des captures d’écran de toutes les insultes afin de monter un dossier, auquel 20 minutes a pu avoir accès. Au total, une trentaine de captures d’écran affichent des remarques sexistes, machistes et de nombreux appels aux viols : « Les femmes à la cuisine, ce sont des grosses sal…, elles servent qu’à faire à manger et encore il y en a qui font griller les aliments », « va te faire violer grosse pu… », ou encore « ta tête, on dirait un passage piéton ». Depuis, Desentredeux avoue avoir arrêté d’alimenter ce dossier et préfère uniquement garder « les mots mignons à la place ».

La contre-attaque peu visible de Twitch

Si le cyberharcèlement prolifère sur la plateforme, Twitch semble bien conscient du phénomène. En décembre dernier, le réseau social de gaming en ligne avait lancé un grand programme plein d’ambition nommé « Suspicious User Detection » (« Détection d’utilisateur suspect », en français). L’idée ? Utiliser une intelligence artificielle afin d’intercepter les harceleurs multirécidivistes, qui, bannis de la chaîne, reviennent sous un autre compte. « Nous travaillons en permanence au développement de technologies et d’outils nouveaux ou améliorés, et il y en a toujours d’autres à venir », assurait la plateforme à l’époque.

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Sauf que, depuis, le quotidien des twitcheuses ne semble pas avoir été bouleversé sur la plateforme. Le cyberharcèlement existe toujours autant, malgré les efforts annoncés. « Nous recevons de nombreux mails de la plateforme, dignes d’Emmanuel Macron qui annonce "que l’égalité femmes-hommes sera la grande cause du quinquennat" », ironise Desentredeux. Mais selon cette dernière, « c’est toujours pareil ». Même constat du côté des fondatrices de Stream’Her. « De nombreux utilisateurs se sentent encore intouchables. Le nouvel outil de Twitch aide surtout les modérateurs, car les personnes déjà bannies sont signalées en surbrillance. Ils peuvent désormais voir directement les comptes auxquels il faut faire attention », explique Chloé.

Pour les twitcheuses, la lutte contre le cyberharcèlement doit aussi se faire avec pédagogie. « Dès le début d’un live, il faudrait par exemple rappeler que le cyberharcèlement est punissable. Si on avait ce petit rappel, peut être que ça rentrerait plus en tête », avance Chloé.

Afin de comprendre pourquoi la plateforme ne responsabilisait pas plus ses utilisateurs, nous avons tenté de contacter l’entreprise, qui nous a renvoyé vers les politiques de sécurité de Twitch. On peut y lire : « Les conduites haineuses et le harcèlement ne sont pas autorisés sur Twitch. […] Nous prendrons des mesures sur tous les cas de conduite haineuse et de harcèlement, avec une sévérité croissante de l’application lorsque le comportement est ciblé, personnel, graphique ou répété/prolongé, incite à de nouveaux abus ou implique des menaces de violence ou de coercition ».

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La solution : une modération humaine ?

Toutes les streameuses sont d’accord sur un point : le cyberharcèlement serait bien mieux contrôlé si un humain se trouvait derrière. « Quand la modération est faite automatiquement, on sait facilement comment la contourner. Les robots n’ont pas forcément la compréhension du contexte comme une vraie personne », rappelle Chloé, la fondatrice de Stream’Her. Alors pour de nombreuses vidéastes, Twitch devrait penser plutôt à bannir les adresses IP, afin d’éviter les harceleurs récidivistes.

D’après plusieurs twitcheuses, des utilisateurs bannis sont déjà réapparus sur leurs chaînes sous des pseudos bien plus virulents. « Nous avons parfois des demandes de " unban " avec des propos très injurieux », confie Desentredeux. « Ces pseudos ne pourraient pas être créés normalement, renchérit Delfea. Sauf que ce sont des algorithmes qui vérifient et non des vraies personnes ». Sceptiques sur la réelle volonté de Twich de durcir sa politique au risque de provoquer une hécatombe du nombre d’utilisateurs, les streameuses continuent de s’organiser pour assurer une modération plus pointilleuse sur leur compte.

Il y a quelques jours, le collectif Stream’Her a par exemple lancé un discord pour mettre en relation les streameuses afin de les aider à modérer entre elles leurs lives. Une entraide qui, pour la plupart, limite le poids du cyberharcélement. « Si je n’avais pas les associations derrière moi, je ne serais sûrement plus sur Twitch », avoue Delfea. Et le collectif Stream’her d’abonder : « Le cyberharcèlement est un gros point négatif, mais ce qui revient à chaque fois en conclusion – et tant mieux – c’est qu’on ne veut pas donner raison à ces comptes malveillants ».

L'affaire Maghla, une première devant la justice

La justice semble également s'emparer du problème de cyberharcèlement sur Twitch. Le 18 mai dernier, le tribunal correctionnel de Meaux a prononcé , dont six mois avec sursis à l’encontre d’un homme de 27 ans. Il est accusé d’avoir harcelé la streameuse Maghla, suivie par près de 665.000 personnes . La streameuse avait déposé plainte après de multiples menaces de celui qui s'avérait être un apprenti streameur.

Lui prétendait « être en couple » avec elle et lui envoyait des dixaines de messages par jour, racontait Le Parisien à l'époque. Il avait même menacé de tuer son chien. Lors de son jugement, l'accusé a expliqué l'avoir contacter pour qu’elle lui « apprenne les ficelles du métier ». « Le prévenu reconnaît les faits mais il ne comprend pas pourquoi il comparaît devant le tribunal. Il justifie son harcèlement par sa volonté de réussir et parce que la victime devrait l’aider à réussir. Pour lui, c’est un comportement normal, si on veut se créer une place dans ce milieu. Mais on est loin du registre de la simple opportunité professionnelle. S’il veut être influenceur, dont acte, mais pas en harcelant », concluait la substitute du procureur lors du verdict. En France, il s'agissait de la première condamnation pour cyberharcèlement sur Twitch, mais certainement pas la dernière.