ATHLETISMEComment la France est devenue une nation de référence sur 110 m haies

Mondiaux d'athlétisme : Guy Drut, mais pas que... Comment la France est devenue une nation de référence sur 110 m haies

ATHLETISMEDepuis des années, le 110 m haies constitue un des piliers de l'athlé français à chaque grand championnat. Si les médailles ne sont pas non plus systématiquement au rendez-vous, le savoir-faire tricolore sur cette discipline est mondialement reconnu
Kwaou-Matey et Zhoya disputent leur premier championnat du monde.
Kwaou-Matey et Zhoya disputent leur premier championnat du monde. - Sameer Al-DOUMY / AFP / AFP
Antoine Huot de Saint Albin

Antoine Huot de Saint Albin

L'essentiel

  • Lors des championnats du monde d'Eugene (Etats-Unis), la France a des chances de remporter des médailles en 110 m haies.
  • Depuis des années, le vivier de très bon hurdleurs est énorme.
  • Une réussite due à l'héritage de Guy Drut et de méthodes d'entraînements qui se transmettent de générations en générations.

On a bien regardé le défilé du 14-Juillet, jeudi sur les Champs-Elysées. Les équipages de la flotte de la Marine nationale, la Patrouille de France, les troupes motorisées commandées par le général de division Emmanuel Gaulin… C'était bien sympa, mais de notre point de vue, il manquait le bataillon principal, celui qui fait briller la France dans les terres les plus hostiles: on veut parler des hommes et des femmes du 110 m haies (bien sûr).

Il y a une excuse : les membres les plus émérites de la délégation sont à Eugene (Etats-Unis), pour disputer les Mondiaux d’athlétisme. Au Hayward Field, théâtre habituel des sélections américaines, on retrouvera cinq « soldats » : Laëticia Bapte, Cyréna Samba-Mayela, Just Kwaou-Mathey, Pascal Martinot-Lagarde et Sasha Zhoya. Sachant que Aurel Mangal (3e des Mondiaux en salle en 2018), Wilhem Belocian (champion du monde junior et champion d’Europe en salle) et Dimitri Bascou (médaille de bronze aux JO de Rio en 2016) sont restés à la maison.

Le pionnier Guy Drut

Cette folle densité folle ne date pas d’hier. « Ça a commencé à la fin des années 1940, avec André-Jacques Marie, et ça a continué avec Marcel Duriez et Pierre Schoebel, finalistes du 110 m haies aux JO de Mexico en 1968, raconte Stéphane Caristan, autre légende de la discipline. Et il y a forcément Guy Drut, le nec plus ultra. C’est lui qui a écrit les lettres de noblesse de ce sport en France et qui a créé des vocations. » Oui, car évoquer le 110 m haies en France sans évoquer le nom de Guy Drut, c’est un peu comme parler du vaccin contre la rage sans citer Louis Pasteur.

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Le nom du recordman du monde en 1975 et champion olympique en 1976 revient naturellement chez tout le monde quand on cause 110 m haies en France. « Ça a fait rêver un peu tous les coureurs qui avaient des capacités sur les haies, reconnaît Dimitri Bascou. Derrière, on s’est dit que c’était possible. » Surtout, il a instauré les bases techniques du 110 m haies à lui tout seul. « Il a vraiment mis tout le monde d’accord sur sa technique, avec le transfert de masse, l’attitude dans l’intervalle, l’attitude dans la course, poursuit Bascou. C’est, pour moi, la technique presque parfaite. »

Et pic et pic et kinogrammes

Pour assurer la transmission, la France a aussi pu compter sur deux entraîneurs, Jacques Piasenta et Fernand Heurtebis, qui ont élaboré un cadre de référence, pour définir la bonne ou la mauvaise technique. Pour cela, ils sont notamment partis en Allemagne de l’Est, le pays de référence à l’époque, pour étudier la biomécanique. Renaud Longuèvre, ancien coach de Ladji Doucouré, développe :

« Tout ça a été mis par écrit. Il y a des observables pour tous les entraîneurs, c'est-à-dire des éléments à ne surtout pas rater, comme, par exemple, la position de la jambe de réception, qui doit être tendue. Piasenta a été pionnier en élaborant des situations pédagogiques en entonnoir, c'est-à-dire des exercices où tu ne peux t’en sortir qu’en produisant la bonne technique. »  »

Passionné de cinéma, Jacques Piasenta a notamment sorti des kinogrammes, une décomposition image par image d’un franchissement de haies avec différentes techniques, différents profils. Les entraîneurs qui ont suivi n’ont eu qu’à suivre ces méthodes et rajouter quelques petites pincées de sel et de poivre pour améliorer, si possible, la recette.

La French touch technique

« Dans les années 1990, on a eu une réunion avec pas mal d’entraîneurs sur le contenu des formations fédérales, qu’on a remis un peu à jour, indique Stéphane Caristan, ancien champion du monde en salle. Ce n’était pas compliqué de poursuivre l’héritage. Sur le plan technique, on maitrise le sujet, donc on a une capacité d’adapter les fondamentaux à différents profils, comme sur Sasha Zhoya, très technique, mais qui a une vitesse, à son âge, très très élevée. »

De fait, à l’image de ce qu’elle propose au saut à la perche, la France est devenue l’une des nations phares du 110 m haies au point de vue technique. A tel point qu’on pourrait presque repérer un Français sur une course uniquement à sa façon de passer les obstacles. « Souvent, les Américains ou les Jamaïcains ont une technique moins fine, ils vont plutôt être dans une approche de combativité », analyse Dimitri Bascou.

Autre exemple donné par Renaud Longuèvre : « Les Russes attaquent la haie en gardant la jambe fléchie, alors que les Français sont jambe tendue, pour descendre plus vite après l’obstacle. » La French touch est telle que de nombreux pays s’en inspirent. Renaud Longuèvre nous a indiqué que les entraîneurs de Grant Holloway (champion du monde 2019, vice-champion olympique 2021) et Dayron Robles (ancien détenteur du record du monde et champion olympique 2008) avaient comme référence technique Guy Drut. Même chose pour la Fédération allemande, qui souhaitait avoir les secrets de la formation française, notamment lors du règne de Ladji Doucouré.

« Le passé parle pour eux »

Et puis, les résultats et l’expertise amènent une certaine confiance chez ceux qui arrivent. « Il y a une émulation, un héritage qui fait qu’on a envie de prendre la place des gens dont on parle, insiste Stéphane Caristan. Ça veut dire que, si on les bat, on a les moyens d’être en finale. Et le mental, la volonté fait qu’on peut aller chercher des podiums. Il n’y a pas de complexe. »

Renaud Longuèvre, qui est désormais DTN à la Fédération israélienne d’athlétisme, va même plus loin : « Quand le maillot représente des résultats et que la spécialité installée est forte, tu arrives avec une confiance en toi plus importante. Un gamin si doué qu’il soit qui va arriver avec le Nicaragua, qui n’a jamais eu aucun résultat sur le 110 m haies, va avoir plus de mal à s’exprimer. L’athlète doit se persuader qu’il est capable de faire un résultat, alors que les grands pays n’ont pas à faire ça, puisque le passé parle pour eux. » Le présent et le futur ne devraient pas être trop mal non plus.