FAKE OFFNon, l’ONU ne fait pas la promotion de la faim dans le monde dans un texte

Un texte faisant la promotion de la faim dans le monde publié par l’ONU ? C’est faux

FAKE OFFL’auteur fait soi-disant le constat que la faim dans le monde sert le dessein de quelques privilégiés
La faim dans le monde profite à ceux qui savent l'exploiter, selon l'universitaire George Kent. (Illustration)
La faim dans le monde profite à ceux qui savent l'exploiter, selon l'universitaire George Kent. (Illustration) - Sunday Alamba/AP/SIPA / SIPA
Romarik Le Dourneuf

Romarik Le Dourneuf

L'essentiel

  • Un texte, publié sur le site Internet de l’ONU, fait polémique depuis le 5 juillet dernier. Beaucoup d’internautes le partage en expliquant qu’il fait l’apologie de la faim dans le monde comme outil essentiel au capitalisme.
  • L’article, publié une première fois en 2008, a été supprimé par l’ONU qui justifie une satire mal comprise.
  • L’auteur, un universitaire spécialiste de la faim dans le monde, réfute la satire comme la provocation, et explique qu’il décrit l’utilisation de la faim par les capitalistes telle qu’elle est effectivement.

L’ONU s’est-elle trahie en publiant un texte faisant l’apologie de la faim dans le monde ? C’est l’hypothèse de nombreux internautes depuis la découverte de l’article « The Benefits of World Hunger » (Les bénéfices de la faim dans le monde) sur le site Internet de l’Organisation des Nations Unis (ONU).

« Pour un grand nombre de personnes, la faim a une valeur positive importante. Elle est de fait, fondamentale au fonctionnement de l’économie mondiale. Les gens qui ont faim sont les plus productifs, en particulier là où il y a une demande de main-d’œuvre. »

Cet extrait, comme de nombreux autres, semble justifier une politique qui affame une partie de la population mondiale moins réticente aux travaux les plus difficiles. Une politique qui serait le socle de l’économie capitaliste et assurerait le confort de l’autre partie du monde. Beaucoup de lecteurs sont atterrés par le cynisme de cette analyse et y voient clairement une stratégie de l’ONU et de ses gouvernants pour asservir les populations. « On voit clairement le jeu du Nouvel ordre mondial maintenant », déclare l’un d’eux sur Twitter.

Les commentaires déobligeants se multiplient sur le Web.
Les commentaires déobligeants se multiplient sur le Web.  - Capture d'écran

Le lendemain de sa publication, le texte a disparu du site, mais sa sauvegarde dans les archives du Web est retrouvée et le lien partagé par des centaines de twittos. L’ONU aurait-il provoqué un effet Streisand autour d’un document secret dévoilé par erreur ? Les théories captivantes se multiplient ces derniers jours, mais elles sont pour la plupart erronées. 20 Minutes fait le point.

FAKE OFF

L’article a été publié sur le site de l’ONU pour la première fois en 2008 par George Kent, un américain, alors professeur au département de Sciences politiques de l’Université d’Hawaï. Retraité depuis 2010, il y a été nommé professeur émérite comme le confirme le site Internet de l’institution.

Le 5 juillet dernier, l’article a été de nouveau publié sur la Chronique de l’ONU, le magazine en ligne dirigé par la communication de l’organisation qui le définit comme « fournissant des informations faisant autorité et des discussions sur les activités de l’ensemble du système des Nations Unies ».

Les commentaires se multiplient sur Internet
Les commentaires se multiplient sur Internet - Capture d'écran

Fortement chahutée lorsque le contenu de ce texte est devenu viral, l’équipe de communication décide de le retirer le 6 juillet. Selon la justification donnée par le compte Twitter du magazine, l’article est une tentative de satire, qui s’est avérée un échec au regard des réactions. Contactée par 20 Minutes, une porte-parole de la Chronique de l’ONU maintient mot pour mot cette explication.

George Kent s’en défend pourtant. Joint par notre rédaction, l’auteur de l’article se dit surpris par une telle agitation autour de ce papier, écrit il y a 14 ans. Totalement absent des réseaux sociaux, il a commencé à recevoir des messages, des courriers et des appels d’insultes sans en comprendre la raison. Informé de la polémique par un journaliste indien, il tient à clarifier les choses : son article n’est pas une satire, pas plus qu’il ne vante les mérites de la pauvreté dans l’économie.

Le professeur travaille sur la malnutrition et l’insécurité alimentaire depuis des décennies. Il est l’auteur de très nombreuses publications et livres sur les possibles solutions pour mettre un terme à la faim dans le monde. Très engagé, c’est une conférence en Inde sur le sujet qui lui a inspiré cet article. Alors que le programme est destiné à la lutte contre la grande pauvreté, un participant, exploitant agricole, objecte que la réduction de cette pauvreté entraînerait de facto une baisse du nombre de personnes qui accepteraient de travailler pour lui.

Un simple constat du capitalisme

C’est une révélation pour George Kent qui comprend que des personnes tirent bénéfice de cette faim chronique, or ce sont eux qui ont le pouvoir d’y mettre un terme. Une situation qui entraîne une résistance aux efforts déployés pour lutter contre la pauvreté extrême. « Je n’ai pas voulu justifier le modèle économique, mais simplement expliquer son fonctionnement. » Autrement dit, cette publication est à lire au premier degré, « malheureusement, c’est ainsi que fonctionne le monde. »

Désolé que sa publication ait pu être vue comme une provocation et être utilisée à des fins de désinformation par des sites du monde entier, George Kent espère toutefois que cette polémique amènera le plus grand nombre à se pencher sur le sujet de fond de son travail.

Ceux qui souhaitent se faire une idée peuvent toujours consulter la version française sur le site de la Chronique de l’ONU.