ENQUETELe dossier de la tuerie de Chevaline pourrait atterrir au pôle cold cases

Tuerie de Chevaline : Le dossier pourrait atterrir au pôle « cold cases » de Nanterre

ENQUETELe dossier de la « tuerie de Chevaline », quadruple meurtre non élucidé depuis 2012, pourrait atterrir au nouveau pôle « cold cases » de Nanterre
La famille al-Hilli et Sylvain Mollier ont été tué sur une route forestière près du village de Chevaline
La famille al-Hilli et Sylvain Mollier ont été tué sur une route forestière près du village de Chevaline - Philippe Desmazes / AFP /  AFP
Thibaut Chevillard

Thibaut Chevillard

L'essentiel

  • Le 5 septembre 2012, un Britannique d’origine irakienne de 50 ans, Saad al-Hilli, son épouse de 47 ans et sa belle-mère de 74 ans avaient été retrouvés morts dans leur voiture, avec plusieurs balles dans la tête, sur une route de campagne près de Chevaline. Un cycliste de la région, Sylvain Mollier, 45 ans, probable victime collatérale, avait également été abattu.
  • Dix ans plus tard, le parquet d’Annecy a requis le dessaisissement du juge local, en vue de sa transmission au nouveau pôle judiciaire consacré « aux crimes en série et non élucidés ».
  • La procureure d’Annecy Lise Bonnet-Mathis attend un retour pour « début août » du juge d’instruction de Nanterre, au sujet de cette requête. Si elle était acceptée, les magistrats du pôle spécialisé pourraient s’appuyer sur le portrait-robot psychologique du tueur, réalisé par une profileuse britannique.

Depuis presque dix ans, la tuerie de Chevaline reste un mystère. Qui a bien pu tuer Saad al-Hilli, un Britannique d’origine irakienne de 50 ans, son épouse de 47 ans et sa belle-mère de 74 ans, ainsi que Sylvain Mollier, un cycliste de 45 ans, sur une route de campagne, non loin du lac d’Annecy ? Depuis le 5 septembre 2012, les juges d’instruction d’Annecy ont, tour à tour, exploité des dizaines de pistes qui, à ce jour, n’ont pas permis de retrouver l’auteur des faits. Comme annoncé par Le Parisien, le dossier pourrait désormais devenir officiellement un « cold case » et rejoindre le nouveau pôle du tribunal de Nanterre dédié aux crimes en série et affaires non élucidées.

« Je vous confirme avoir pris des réquisitions en ce sens », indique à 20 Minutes Line Bonnet, la procureure d’Annecy, qui attend un retour pour « début août » du juge d’instruction de Nanterre, au sujet de cette requête. Pourquoi la magistrate, qui est arrivée au parquet d’Annecy en septembre dernier, a-t-elle pris cette décision ? En février dernier, dans une interview accordée à la Tribune de Genève, elle affichait pourtant son optimisme, expliquant que le dossier n’était « plus très loin » d’aboutir.

Profiter du « renforcement des moyens dédiés au pôle de Nanterre »

Il s’agit, répond-elle, de faire bénéficier à cette mystérieuse affaire du « renforcement des moyens dédiés au pôle de Nanterre ». Dès la rentrée, trois magistrats de ce pôle spécialisé, créée en mars et installée au tribunal judiciaire de Nanterre (Hauts-de-Seine), reprendront les dossiers présentant une complexité particulière. La règle, pour eux, consiste à sélectionner des affaires dont les auteurs n’ont pas été identifiés dix-huit mois après les faits, ou qui pourraient avoir commis plusieurs crimes. Ils visent aussi les affaires aux enjeux internationaux ou nécessitant un haut niveau de technicité et d’expertise. L’affaire Chevaline en fera-t-elle partie ?

En mai, une centaine de dossiers étaient déjà en cours d’analyse, dont sept confiés à Sabine Kheris, la juge d’instruction qui sera à la tête du pôle « cold case ». Ancienne doyenne des juges d’instruction au tribunal de Paris, désormais première vice-présidente du pôle à Nanterre, la magistrate est connue pour avoir réussi à faire avouer au tueur en série Michel Fourniret son rôle dans la mort d’Estelle Mouzin.

Deux fillettes seules rescapées de la tuerie de Chevaline

Les trois juges d’instruction du pôle vont réétudier l’ensemble des dossiers « avec leur propre regard », expliquait la présidente du tribunal de Nanterre, Catherine Pautrat lors d’une conférence de presse. Ils s’appuieront sur des techniques d’enquête innovantes comme « la carte mentale », « une projection physique à l’échelle du temps de l’affaire criminelle ».

A l’aide de ces moyens renforcés, parviendront-ils à identifier l’auteur de crime atroce dont le mobile reste, dix ans après, toujours aussi nébuleux ? Les deux seules rescapées sont les deux fillettes du couple. L’une d’elles avait reçu une balle à l’épaule et avait été frappée à coups de crosse tandis que sa sœur s’était cachée entre les jambes de sa mère et de sa grand-mère décédées et avait miraculeusement été découverte indemne.

L’arme du crime n’a jamais été retrouvée mais a été identifiée. Il s’agit d’un pistolet automatique Luger P06, fabriqué en Suisse et utilisé jusque dans les années 1960. Autrement dit, une arme de collection. Les gendarmes de la section de recherche ont suivi plusieurs pistes : différend familial, règlement de comptes sur fond d’espionnage industriel… Mais c’est finalement la piste locale qu'ils privilégient depuis sept ans, sans pour autant qu’elle aboutisse.

Portrait-robot psychologique du tueur

Selon Le Parisien, les juges d’instructions du pôle « cold case » pourront s’appuyer sur un portrait-robot psychologique du tueur, réalisé en juillet 2020 par une « profileuse » britannique. Pour l’experte, l’auteur est « vraisemblablement » un homme, « âgé entre 30 et 40 ans » qui serait « au chômage ou dans un emploi non qualifié ». Un « ancien militaire » ou un passionné d’armes – un collectionneur, un chasseur, ou un pratiquant de tir en club – qui pourrait vivre « seul », et qui aurait prémédité son geste. « Des indices psychologiques importants déduits de la scène de crime et des investigations ultérieures indiquent que l’auteur projetait de tuer plusieurs personnes sur le parking de la Combe d’Ire et avait prévu de s’enfuir », affirme-t-elle, soulignant qu’il était « peu probable que le parking a été choisi au hasard ».

Pour autant, la profileuse estime que « l’auteur n’avait aucun lien avec les victimes et qu’il ignorait leur arrivée sur le parking à ce moment-là ». La famille al-Hilli et Sylvain Mollier pourraient avoir été tués par « quelqu’un du coin », souffrant de « paranoïa », qui aurait pu être « commandé par des voix » ou animé par des pulsions racistes. L’assassin a peut-être fait l’objet d’un suivi psychiatrique dans sa jeunesse, après avoir été victime « d’abus, [de] mauvais traitement ou d’un choc sur la tête ». Le rapport de la profileuse britannique a été jugé si intéressant par les enquêteurs qu’ils ont décidé, selon Le Parisien, de partir à la recherche d’un homme dont le profil correspondait au portrait-robot dessiné.