DIPLOMATIEEmmanuel Macron reçoit le prince saoudien Mohammed ben Salmane ce jeudi

Emmanuel Macron reçoit le prince héritier saoudien MBS, qui poursuit sa « réhabilitation » après l’affaire Khashoggi

DIPLOMATIELe souverain saoudien est de retour sur la scène internationale, après une visite de Joe Biden il y a quelques jours
Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane.
Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. - Saudi press Agency/UPI/Shutterst/SIPA / SIPA
20 Minutes avec AFP

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Serait-ce un retour en grâce ? Le prince héritier Mohammed ben Salmane (« MBS ») dîne ce jeudi avec le président français Emmanuel Macron. C’est la première visite en Europe du souverain saoudien depuis l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. Une venue qui suscite la colère des défenseurs des droits de l’Homme.

Cette rencontre signe un peu plus la « réhabilitation » du prince héritier saoudien, moins de deux semaines après la visite du président américain Joe Biden en Arabie saoudite, qui a définitivement consacré le retour de « MBS » sur la scène internationale, dans un contexte de guerre en Ukraine et de flambée des prix de l’énergie.

Une tournée européenne

Mohammed ben Salmane, qui avait débuté sa mini-tournée européenne en Grèce, était attendu mercredi après-midi à l’aéroport parisien d’Orly, où le ministre de l’Economie et des Finances français Bruno Le Maire devait l’accueillir, a-t-on appris de source gouvernementale. Son arrivée n’avait toutefois pas été confirmée ce jeudi matin.

En déplacement en Afrique, dont il reviendra ce jeudi après-midi, Emmanuel Macron recevra MBS quelques heures plus tard pour un « dîner de travail », prévu à 20h30 heure de Paris (18h30 GMT) à l’Elysée, a indiqué la présidence française dans un communiqué.

Dirigeant de facto du royaume, Mohammed ben Salmane avait été ostracisé par les pays occidentaux, après le meurtre en 2018 du journaliste saoudien critique Jamal Khashoggi au consulat de son pays à Istanbul. « Macron avait déjà fait le plus gros du travail de réhabilitation en visitant lui-même MBS » à Ryad en décembre dernier, observe Quentin de Pimodan, expert du royaume sunnite à l’Institut de recherche pour les études européennes et américaines, interrogé par l’AFP.

Retour d’un « paria »

« Mais là, on atteint un autre niveau. Il arrive en France, Macron n’est pas là. MBS ne prend plus du tout les pincettes qu’il aurait pu prendre il y a un an ou deux. Il se déplace comme il l’entend », poursuit-il. Et d’affirmer : « Macron a commencé et Biden a achevé la réhabilitation, avec Johnson entretemps », le futur ex-Premier ministre britannique s’étant également rendu à Ryad en mars dernier.

Les services de renseignement américains avaient pointé la responsabilité de Mohammed ben Salmane dans l’assassinat de Jamal Khashoggi, envenimant les relations entre Ryad et Washington.

Si le « fist bump », salut poing contre poing, échangé entre les deux hommes à Jeddah lors de la visite de Joe Biden a scellé le retour du président américain sur sa promesse de campagne de traiter le royaume en « paria », le premier déplacement de MBS au sein de l’Union européenne passe mal chez les défenseurs des droits de l’Homme.

« Deux poids, deux mesures »

« La visite de MBS en France et de Joe Biden en Arabie saoudite ne change rien au fait que MBS n’est autre qu’un tueur », a déploré auprès de l’AFP Agnès Callamard, qui avait mené une enquête sur l’assassinat de Jamal Khashoggi lorsqu’elle était rapporteure spéciale de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires.

Et la directrice pour la France de Human Rights Watch, Bénédicte Jeannerod, a taclé sur Twitter « MBS peut apparemment compter sur Emmanuel Macron pour le réhabiliter sur la scène internationale malgré le meurtre atroce du journaliste Jamal Khashoggi, la répression impitoyable des autorités saoudiennes contre toute critique, crimes de guerre au Yémen ».

Son retour en grâce auprès de chefs d’Etat occidentaux est « d’autant plus choquant que nombre d’entre eux ont exprimé à l’époque leur dégoût (pour le meurtre) et leur engagement à ne pas ramener MBS dans la communauté internationale », a-t-elle ajouté, dénonçant « deux poids, deux mesures ».

Au nom de l’or noir

Car moins de quatre ans après l’affaire Khashoggi, l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février dernier a provoqué un affolement des prix de l’énergie. Les pays occidentaux cherchent depuis lors à convaincre l’Arabie saoudite, le premier exportateur de brut, d’ouvrir les vannes afin de soulager les marchés et limiter l’inflation.

Mais Ryad résiste aux pressions de ses alliés, invoquant ses engagements vis-à-vis de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP +), l’alliance pétrolière qu’il codirige avec Moscou. En mai, le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Faiçal ben Farhan al-Saoud, avait déclaré que le royaume avait fait ce qu’il pouvait pour le marché pétrolier.

« La guerre en Ukraine a remis les pays producteurs d’énergie sur le devant de la scène, et ils en profitent », remarque Camille Lons, chercheuse associée à l’Institut international pour les études stratégiques. « Cela leur donne un levier politique qu’ils vont utiliser pour réaffirmer leur importance sur la scène internationale. »


Notre dossier sur Jamal Khashoggi

Quant aux pays occidentaux, ils rivalisent de « pragmatisme », note-t-elle. Et face à « des prix de l’énergie qui explosent, (…) clairement, les droits de l’Homme en Arabie saoudite ne sont plus vraiment la priorité dans l’agenda. »