FAKE OFFNon, Taïwan n’est pas sous administration chinoise depuis près de 2.000 ans

L’ambassadeur de Chine en France avance que Taïwan est sous administration chinoise depuis près de 2.000 ans ? C’est faux

FAKE OFFL’ambassadeur de Chine invente une histoire à Taïwan pour balayer le débat sur son appartenance à la Chine
Deux soldats lors de la cérémonie de levée du drapeau à Taïpei le 30 juillet 2022.
Deux soldats lors de la cérémonie de levée du drapeau à Taïpei le 30 juillet 2022.  - Chiang Ying-ying/AP/SIPA / SIPA
Romarik Le Dourneuf

Romarik Le Dourneuf

L'essentiel

  • L’ambassadeur de Chine en France a déclaré que Taïwan était sous administration chinoise depuis 230 après Jésus-Christ pour justifier les revendications de son pays sur l’île.
  • Selon Antoine Bondaz, enseignant à Science po et spécialiste de Taïwan, en réalité, l’île n’a été que pendant un peu plus de 200 ans sous administration chinoise.
  • « Même en Chine, l’histoire de Taïwan n’est pas enseignée de cette manière », ajoute le spécialiste.

Les tensions entre la Chine et les Etats-Unis a propos de Taïwan n’ont jamais semblé aussi intenses. Déjà sensible, la situation s’est envenimée de façon spectaculaire avec la visite de Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants des Etats-Unis, sur l’île de 23 millions d’habitants revendiquée par Pékin.

Depuis, les hauts fonctionnaires chinois se démultiplient dans les médias pour justifier l’appartenance de Formose (l’un des surnoms de l’île, de Formosa, « La Belle » en portugais) à la République populaire de Chine (RPC), une porte-parole de la diplomatie allant jusqu’à compter le nombre de restaurants chinois sur l’île pour preuve.

L’ambassadeur de Chine en France, Lu Shaye, donne aussi de sa personne. Sautant de plateaux TV en plateaux TV pour défendre la position de son pays, il est l’auteur de plusieurs déclarations sujettes à caution. Le 6 août dernier, il était l’invité de nos confrères de LCI.

La déclaration de l'ambassadeur de Chine en France. (Capture d'écran Twitter)
La déclaration de l'ambassadeur de Chine en France. (Capture d'écran Twitter) - Capture d'écran

« Il faut étudier l’histoire pour mieux connaître cette question de Taïwan (…). [L’île] a été sous l’administration de la Chine depuis 230 après Jésus-Christ, à l’époque, en Europe, de l’Empire romain. Beaucoup plus tôt que l’apparition de la France. »

Cette affirmation a fait réagir les plus férus et spécialiste d’histoire, et pour cause… elle est totalement erronée.

FAKE OFF

La date citée par l’ambassadeur n’est pas choisie au hasard. L’île de Taïwan apparaît dans les registres chinois en 239 après J.-C., lorsqu’un empereur envoie un corps expéditionnaire pour explorer la région. Le point sur lequel s’appuie Pékin pour justifier l’appartenance de l’île à la Chine. Pour appuyer cet argument, beaucoup de représentants chinois parlent même de « troupes ».

Des termes à modérer selon Antoine Bondaz, enseignant à Sciences po et chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (think-tank), où il dirige notamment le programme Taïwan sur la sécurité et la diplomatie : « Le terme "troupe" est utilisé à tort. Les mots utilisés pourraient être traduits par "des gens du continent sont allés sur l’île". » Mais l’île sur laquelle ils débarquent n’étaient pas une Terra nullius : « Elle était peuplée d’aborigènes arrivés des millénaires avant eux, du continent ou des Philippines. » Pas de traces d’une quelconque administration ou même domination du territoire.

212 ans d’administration

Pendant des siècles, la Chine va se désintéresser de ce territoire à quelque 180 km de sa côte. Jusqu’au XVIIe siècle exactement, quand les Hollandais colonisent une partie de l’île dans le but de créer un comptoir de commerce pour faciliter leurs échanges avec la Chine et le Japon. A la recherche de main-d’œuvre, ils font venir des Chinois du continent. C’est à ce moment que la dynastie Qing montre une volonté nouvelle de contrôler Taïwan. « Ce sont toujours les initiatives extérieures qui amènent les Chinois à regarder l’île. En dehors de cela, ils n’avaient que peu d’intérêt », explique Antoine Bondaz.

Désireux de chasser les derniers résistants à la dynastie réfugiés sur l’île, les Chinois réussiront à en prendre le contrôle en 1683, et ce, jusqu’en 1895 quand elle sera annexée par le Japon de Meiji après la défaite de l’empire dans la guerre sino-japonaise. Après 212 ans d’administration chinoise, elle restera sous le contrôle de Tokyo jusqu’en 1945 et la défaite de l’Empire du soleil levant lors de la Seconde Guerre mondiale. La France y fera même une apparition à la fin du XIXe siècle dans le but de l’utiliser contre la Chine dans sa conquête du Tonkin.

Taïwan, séparée de la Chine depuis un demi-siècle, est défiante vis-à-vis du pouvoir de la République de Chine, ce qui mène à un soulèvement populaire dès février 1947, violemment réprimé par le Parti nationaliste chinois au pouvoir, le Kuomintang, mené par Chiang-Kaï-Shek. Une manière pour le pouvoir de reprendre la main sur l’île.

« Ce n’est pas extrapolé, ce n’est pas exagéré, c’est faux ! »

Mais en 1949, la victoire des communistes de Mao Zedong, et la fondation de la République populaire de Chine transforment le statut de Taïwan qui devient un refuge pour les nationalistes. En compétition avec le continent jusqu’en 1971 et la déchéance de son siège à l’ONU au profit de la République populaire de Chine​ depuis, l’île est toujours rattachée à la Chine mais bénéficie d’une autonomie dans sa gestion et son gouvernement.

« Il y a donc eu une souveraineté limitée et partielle pendant un peu plus de 200 ans, précise Antoine Bondaz, mais surtout, le régime actuel en Chine, dirigé par le Parti communiste chinois, n’a jamais administré Taïwan. » Selon le spécialiste, la déclaration de l’ambassadeur de Chine n’est qu’un élément de langage destiné à balayer le débat sur l’appartenance de Taïwan à la Chine. « Ce n’est pas extrapolé, ce n’est pas exagéré, c’est faux ! Même le Parti communiste n’oserait pas tenir ces propos en Chine : ce n’est même pas la manière dont l’histoire de Taïwan est enseignée là-bas à l’école. »

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