RIENC'est quoi encore ce délire autour de l'achat de vide sur Amazon ?

Consommation : C'est quoi encore ce délire autour de l'achat de vide sur Amazon ?

RIENIl est possible d’acheter pour 12,25 euros de vide sur Amazon. Tenté ?
Vendre du rien, comment cela fonctionne-t-il ?
Vendre du rien, comment cela fonctionne-t-il ? - Capture d'écran Amazon / Capture d'écran Amazon
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • En 2022, il est possible d’acheter… du vide, de l’air, du rien, à des prix atteignant parfois une bonne dizaine d’euros.
  • De l’air de montagne, des capsules de rien, du vide en bouteille, ces objets arrivent étrangement à trouver preneurs.
  • Faut-il y voir la victoire éclatante du capitalisme capable de nous faire acheter décidément n’importe quoi, ou au contraire la limite d’un système sur lequel on a trop tiré ?

Si la nature a paraît-il horreur du vide, ce n’est certainement pas le cas du capitalisme. Si vous vous perdez sur Amazon, vous pourrez tomber sur des capsules « Close up rien », à offrir « à ceux qui ont déjà tout », soit littéralement une capsule avec… rien à l’intérieur. 12,25 euros quand même le prix du vide, parce que bon, autant se faire du fric malgré tout.

Un produit qui, au-delà de donner envie de hisser le premier drapeau rouge venu et d’en finir avec le libéralisme décomplexé, n’est pas sans rappeler la vente des bouteilles d’air pur de montagne et autres joyaux du genre, comme ce sac de rien. Mais pourquoi des gens sont-ils prêts à claquer une dizaine d’euros sur du vide ?

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Humour cynique

On vous rassure, on a bien compris qu’il s’agissait d’achats second degré et de cadeau troll à offrir à quelqu’un. Dominique Roux, professeure de marketing à l’université de Reims, rapproche ces babioles de l’art contemporain, avec notamment le célèbre urinoir de Marcel Duchamp, à savoir « de l’anticonformisme et de la distinction par rapport à la société de consommation actuelle. » Les objets associés à la vente des Close up rien sur Amazon sont d’ailleurs… des brosses de toilette à l’effigie des Présidents de la République, nous indique l’experte, preuve que ce qu’on achète ici, c’est moins le vide que l’idée de subversion.

Car justement, pourquoi ne pas les vendre, l’anticonformisme et la subversion ? Pascale Hébel, codirectrice de société de conseil en marketing, note : « La sobriété et le consommer moins sont des concepts dans l’ère du temps. Il y a naturellement des produits surfant sur cette tendance. » En plus des livres sur la déconsommation ou le minimalisme, on trouve donc juste du vide : « Il peut être important socialement d’offrir quelque chose quand même, même à celui qui prône la sobriété. Au lieu de ne rien lui offrir, on lui offre du rien ».

Philippe Moati, directeur de l’Observatoire Société et consommation, admire le tour de force : « Bien sûr, le consommateur l’achète au second degré, pour dénoncer la surconsommation. Il n’empêche : il vient de dépenser 10 euros pour du vide, et avec un gâchis de matière première évidente sur l’emballage, plus les problèmes écologiques de la livraison. Il participe donc à ce qu’il condamne ». La vente est cynique : il n’y a pas de bons ou mauvais achat, il y a juste des achats.

Passer chez le fleuriste au lieu d’offrir les fleurs du jardin

Elisabeth Tissier-Desbordes, professeure d’économie à l’ESCP et spécialiste du comportement des consommateurs, remarque « l’emprise de la société de consommation sur les individus : il faut consommer pour la dénoncer. De la même manière qu’on vend des tee-shirts du Che, on vend des objets à la gloire de la sobriété. »

Et lorsqu’on demande pourquoi au lieu de claquer dix balles, on ne peut pas juste prendre un carton vide et l’offrir à notre ami qu’on veut troller, la professeure nous répond : « Parce que ça vous ferait passer pour un radin. Il faut mettre de l’argent, de l’investissement. Offrir quelque chose sans valeur marchande reste assez difficilement accepté, même quand on veut dénoncer le capitalisme. » L’experte prend l’exemple des fleurs : on offre rarement celles de notre jardin ou de notre balcon, fussent-elles jolies. Il faut payer pour offrir.

Plaisir d’offrir et plaisir des yeux

C’est d’ailleurs tout l’intérêt de ces emballages : donner de la valeur et du crédit, même au vide. C’est le même principe avec l’air de Paris vendu en bouteille par… Marcel Duchamp, décidément toujours dans les bons coups marketing, ou l’air de montagne évoqué plus haut. « Bien sûr, on pourrait remplir une bouteille d’eau vide, ce qui reviendrait moins cher. Mais quelle certification aurait-on ? Même le vide ou l’air, il faut le certifier », interroge Elisabeth Tissier-Desbordes.

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Un emballage ou un packaging qui permet en plus de donner une utilité visuelle au produit : celui de rappeler le souvenir. « Je suis certaine que personne n’ouvre les bouteilles d’air pur, avance Dominique Roux. Mais voir le visuel du produit rappelle le moment passé, comme quand on ramène un galet ou un coquillage de la plage. »

Vendre à tout prix

Tout comme « la vie trouve toujours un chemin » dans Jurassic Park, le marketing arrive toujours à vendre : « On le voit bien avec le secteur de l’aviation ou automobile. On n’imagine que très rarement ne plus faire d’avions ou de voitures pour des raisons écologiques, on cherche à en faire des transports verts. Il faut sans cesse vendre », développe Pascale Hébel.

Même constat chez Philippe Moati : « Les marchés traditionnels sont saturés, il faut donc en trouver d’autres. Quitte à vendre du vide donc. » Il prend l’exemple des NFT et du Métaverse, où il s’agit – pour faire très grossier - de vendre des objets n’existant tout simplement pas. « Ce qui compte, c’est de créer de la valeur, de la vente, du commerce. Il faut toujours de nouveaux marchés, que la machine continue de tourner, et même de croître », continue l’expert.

Y a-t-il une limite à cela, et n’arrive-t-on pas au bout de la logique lorsqu’on finit par vendre du vide ? « C’est le propre du marché : nous vendre des réponses à des besoins auxquels on n’aurait même pas pensé sans lui », sourit Dominique Roux. Attention néanmoins à l’indigestion prévient Philippe Moati : « Au-delà des revendications militantes, on note une perte d’appétence de l’achat en Occident. La plupart des gens ont déjà tellement, cela perd de son sens, malgré les efforts du marketing. » Après l’achat de vide, le consommateur va peut-être finir par connaître le vide d’acheter.