EN TOUTE SOBRIETE (3/5)Beau site, mauvais impact… Peut-on allier l'esthétique à la sobriété ?

Web : Beau site, mais mauvais impact… Est-il possible de combiner expérience utilisateur et écologie ?

EN TOUTE SOBRIETE (3/5)Peut-on décider de faire un beau site sans le rendre trop lourd ? Oui, répondent les partisans de l'éco-conception. Immersion dans ce troisième épisode dans l'univer(t) de l'UX design
Une prestation de l'artiste suisse Simon Senn
Une prestation de l'artiste suisse Simon Senn -  Clement MAHOUDEAU / AFP / AFP
Lina Fourneau

Lina Fourneau

L'essentiel

  • Parce que personne n’a envie que le numérique devienne un jour la première source de pollution au monde, 20 Minutes s’intéresse cet été à la sobriété numérique des entreprises. Où en est-on ?
  • Dans ce troisième épisode, on s’intéresse à l’expérience utilisateur. Au cœur de l’éco-conception, il est désormais question de faire mieux, en agissant plus sobrement.
  • Mais à l’avenir, les entreprises arriveront-elles à capter le regard des utilisateurs sans en faire trop ?

C’est l’été et Spotify, la plateforme d'écoute musicale devient votre meilleur allié pendant les vacances. En voiture ou pendant l’apéro, vous lancez votre musique préférée de l’été – certainement l’un des titres du nouvel album de Beyoncé – sans vous apercevoir que la plateforme diffuse en boucle des petites vidéos. On appelle ça les Canvas. Pour résumer, ce sont des clips de 8 secondes en moyenne, qui passent en boucle lors de certains titres. Mais l’envers du décor, c’est que cette fonctionnalité de Spotify utilise beaucoup de batterie, de bande passante… et n’est certainement pas positive en matière d’écologie. Par définition, la vidéo pèse plus lourd et consomme largement plus d’énergie.

C’est tout le problème de fond de l’expérience utilisateur à l'heure de la sobriété numérique. Pour Anne Faubry, UX Designer et experte en éco-conception numérique, il est désormais impossible d’imaginer la conception d’un site sans revoir son empreinte écologique. « L’expérience utilisateur souhaite parfois être enrichie avec des fonctionnalités qui sont superflues. Mais quand on fait ça, on ne se rend pas compte que ça se fait au détriment d’autre chose, notamment de l’accessibilité et d’une connexion dégradée ». Selon l’experte, la grande majorité des fonctionnalités créées aujourd’hui pour l’utilisateur ne sont finalement jamais utilisées.

Se démarquer de la concurrence

Mais comment expliquer le choix de Spotify ? Pourquoi proposer aux artistes l’intégration d’une vidéo invisible alors que l’utilisateur choisit principalement la plateforme pour de l’écoute ? D'après l'association Point de M.I.R, qui sensibilise au sujet de la sobriété numérique depuis 2014, l’opportunité n’est pas innocente. « L’entreprise n’est pas seulement dans le choix de "est-ce que je peux être jolie tout en étant éco-conçu". Elle est également motivée par l’économie de l’attention », regrette Bela Loto Hiffler, la fondatrice de l’association. Tant que le système économique sera basé sur la concurrence, la conception se fera toujours autour de ce que Bela Loto Hiffler appelle la « captologie ».

Mais comment en sortir ? Pour certains, comme Anne Faubry, il faut revenir à des sites plus sobres en étant plus simples. « Nous avons souvent l’image qu’un site sobre comme un retour à l’âge de pierre qui nous ferait revenir à des sites Web très moches des années 2000. Mais ce n’est pas le cas. Il y a plein de sites éco-concus qui sont accessibles et on ne se rend pas forcément compte qu’ils sont éco-conçus. En plus, ils auront des impacts bénéfiques notamment sur l’accessibilité et l’accès en toute circonstance », plaide l’UX designer.

D’autres ajouteront qu’il faut également revenir au plus près du besoin de l’utilisateur et sortir de ce qu’on appelle « le syndrome de l’obésiciel » – un logiciel bien trop gourmand en mémoire et en ressources système. « Aujourd’hui, on choisit une fonctionnalité avant le besoin, remarque Bela Lotto Hiffler. Alors que l’éco-conception c’est choisir le besoin avec la fonctionnalité qui va avec ».

La SNCF déraille

Il y a quelques années, c’est l’exemple même de la différence qui s’est jouée entre le site Train Line – à l’époque « Captain train » – et la SNCF. Les deux se retrouvent concurrents dans la réservation des trains. Mais à ce moment-là, la SNCF loupe l’arrêt de l’éco-conception et s’enferme dans un site bien trop compliqué pour le voyageur. Ça, c’était avant le si mal aimé SNCF Connect, mais l’exemple historique réserve toujours quelques sueurs froides à Frédéric Bordage, spécialiste du numérique responsable.

« A l’époque, la promesse de Captain train, c’était de dire : "Vous allez aimer réserver un billet de train". Au contraire, la SNCF souhaitait vendre une expérience utilisateur riche avec les indications d’un trajet précis et complet. Mais en vrai, l’utilisateur s’en fiche et ne veut pas un moteur de recherche incompréhensible », se souvient le spécialiste. Dans le jargon de l’UX, on appelle ça le “Minimum valuable product”. « Il vise à concevoir le produit minimum, la promesse de base : trouver un billet de train. Un site sobre, pas joli, dépouillé, un vrai outil. C’est ce que demandent les utilisateurs », traduit Frédéric Bordage.

Une charge partagée

Les acteurs de l’éco-conception sont désormais unanimes : revenir à des sites plus sobres, c’est les rendre plus rapides et efficaces, tout en réduisant leur empreinte écologique. Seulement, si les entreprises ont encore du chemin devant elles pour arriver à une esthétique verte, elles ne sont pas les seules à pouvoir jouer un rôle. Selon Anne Faubry, l’Etat doit aussi aller bien plus loin. « En novembre dernier, lorsque la loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France a été votée, les exigences du texte initial ont été largement revues à la baisse ». L’autoplay par exemple – la lecture automatique des vidéos - devait être interdit, mais a finalement disparu du texte de loi.

L’avenir appartient sûrement aussi à l’utilisateur qui – s’il ne peut pas tout bousculer seul – a quelques outils en main. Sur certains sites, il peut par exemple supprimer certaines fonctionnalités qui pèsent trop lourd. C’est notamment le cas pour Spotify, qui propose aux fans de musique de désactiver l’option Canvas [dans l’onglet « Lecture » des « Préférences »].