INTERVIEWUne microalgue marine pour remplacer les pesticides de synthèse

Pesticides : « Nous visons une commercialisation de notre microalgue marine pour 2026 » annonce le PDG d'ImmunRise Biocontrol

INTERVIEWLe PDG d'ImmunRise Biocontrol, Laurent de Crasto, souhaite commercialiser une microalgue marine antifongique 100 % biodégradable pour le traitement des vignes et des cultures
Les vignes font partie des cultures les plus traitées.
Les vignes font partie des cultures les plus traitées.  -  ARDEA/MARY EVANS/SIPA
Mickaël Bosredon

Propos recueillis par Mickaël Bosredon

L'essentiel

  • La start-up basée à Cestas (Gironde) vient de réaliser une levée de fonds de cinq millions d'euros, et vise une mise sur le marché de sa microalgue d'ici à 2026.
  • Ce biopesticide agit contre les champignons, notamment le mildiou, et pourrait à terme représenter une alternative aux pesticides de synthèse.
  • Le PDG d’ImmunRise Biocontrol prévient toutefois qu’il faudra à l’avenir avoir une utilisation raisonnée des pesticides, en développant tout un arsenal de biopesticides pour lutter contre les maladies qui touchent l’agriculture.

La microalgue Amphidinium carterae peut-elle devenir, dans les prochaines années, une solution alternative aux pesticides de synthèse pour traiter les vignes et les cultures agricoles ? C’est ce que la société ImmunRise Biocontrol, créée en 2015, espère. Basée à Cestas (Gironde), elle a annoncé fin juillet une levée de fonds de cinq millions d’euros pour accélérer le développement de cette microalgue antifongique. 20 Minutes a interrogé son PDG, Laurent de Crasto, ingénieur agronome et œnologue.

Laurent de Crasto, PDG d'ImmunRise Biocontrol
Laurent de Crasto, PDG d'ImmunRise Biocontrol - ImmunRise Biocontrol

Que représente pour votre société cette levée de fonds ?

C’est la dernière étape avant la commercialisation. Cette levée de fonds va nous permettre de finaliser notre biopesticide, obtenir l’homologation par l’Europe, avant une autorisation de mise sur le marché que l’on espère d’ici à 2026.

Quelles sont les propriétés de cette microalgue ?

Il s’agit d’une microalgue marine qui, une fois produite dans nos locaux, se présente sous forme de pâte brune que l’on mélange avec d’autres produits pour stabiliser les molécules qu’elle contient. Ce sont ces molécules qui agissent contre les champignons qui ravagent les cultures, comme le mildiou. Cela ne change rien pour l’agriculteur par rapport à ses pratiques actuelles, puisqu’il met ce concentré dans son pulvérisateur, auquel il rajoute de l’eau. Ce produit est 100 % biodégradable, ce qui fait que vous n’avez pas de résidu ni dans le sol ni dans le produit que l’on récolte, contrairement au produit chimique.

La microalgue produite se présente sous forme d'une pâte marron
La microalgue produite se présente sous forme d'une pâte marron - ImmunRise Biocontrol

En revanche, il faut davantage de traitements avec ce produit, comparé à un pesticide de synthèse ?

Notre produit cible plutôt le mildiou, qui se développe quand le temps est humide, et plutôt que de traiter systématiquement qu’il pleuve ou pas, comme on a tendance à le faire avec un produit de synthèse, là on va demander au vigneron ou à l’agriculteur de traiter lorsque c’est nécessaire. Donc s’il pleut beaucoup, il faudra effectivement traiter plus souvent. A l’inverse, cet été il n’y aurait quasiment pas eu besoin de traiter. Cela demande plus de rigueur, c’est la révolution verte que l’on attend des agriculteurs, et c’est à ce prix-là que l’on n’aura plus de produits chimiques dans nos sols. Le biocontrôle apporte son lot de contraintes, qui devraient toutefois s’amenuiser à l’avenir grâce aux nouvelles technologies.

Est-ce que ce produit est plus cher qu’un produit classique ?

Le coût de production est lié à la taille de l’usine. Si vous produisez deux kilos, cela coûte très cher, si vous commencez à produire deux tonnes cela baisse, et nous espérons produire entre 50 et 100 tonnes dès le début, là, le prix baisse très vite. Notre objectif est de rester dans les prix du marché, pour impacter toute l’agriculture et la viticulture. Dans un premier temps, nous visons la viticulture et le traitement de semences, mais cette algue agit sur plusieurs champignons, et impacte donc toute l’agriculture : tournesol, blé, tomate, vigne, pomme…

Où se fera la production ?

Aujourd’hui, nous sommes une douzaine de personnes, principalement des chercheurs et des ingénieurs. Pour la partie production, nous sommes en partenariat avec des entreprises spécialisées dans la production de microalgues, avec Fermentalg à Libourne et Urbanalgae à Saint-Jean d’Illac. On teste la production de notre microalgue avec leurs outils et les premiers résultats sont intéressants. L’essai du produit fini sur vigne se fait avec l'ISVV (Institut de la vigne et du vin) et avec des châteaux partenaires, comme Mouton-Rothschild, Smith Haut Lafitte, dans le Médoc ou à Cognac… L’objectif est de compiler les résultats pour faire homologuer le produit.

Vous n’êtes pas seul sur ce marché des biopesticides, comment réussir à s’imposer ?

C’est un secteur qui est énorme en termes de potentiel, et je suis convaincu qu’il ne faut pas voir les autres produits comme des concurrents. Il faut bien comprendre que ce qui est important, ce n’est pas de sortir un produit qui marche pour tout. C’est le problème du glyphosate que l’on a utilisé à toutes les sauces, parce que c’était le seul herbicide qui fonctionnait bien, et qui était simple d’utilisation, aujourd’hui on en mesure les conséquences. Il faut donc développer un arsenal de solutions qui, mises bout à bout, apportent plusieurs réponses. Il faut avoir une utilisation durable des produits pesticides, sinon ils ne sont plus efficaces. Si vous utilisez toujours le même produit pour combattre une maladie, elle finira par trouver une parade. A l’inverse si vous alternez entre l’algue, le cuivre et un autre produit, vous attaquez le champignon de toutes parts, et il ne sait plus comment s’adapter.