181 JOURSAprès six mois de conflit, les incertitudes autour de la guerre en Ukraine

Guerre en Ukraine : Après six mois de combats, les incertitudes sur la suite du conflit

181 JOURSS’il est difficile de prévoir quelles seront les suites du conflit, plusieurs hypothèses peuvent s’envisager
Des militaires ukrainiens conduisent leur char lors d'exercices d'entraînement dans la région de Donetsk, dans l'est de l'Ukraine, le 22 août 2022.
Des militaires ukrainiens conduisent leur char lors d'exercices d'entraînement dans la région de Donetsk, dans l'est de l'Ukraine, le 22 août 2022.  - David Goldman/AP/SIPA / SIPA
Cécile De Sèze

Cécile De Sèze

L'essentiel

  • La guerre a été déclenchée par la Russie, prétextant une « démilitarisation et dénazification » de l’Ukraine, il y a six mois jour pour jour.
  • Alors que l’opération ne devait durer que 48 heures, le conflit s’enlise, et la ligne de front stagne.
  • Les prochains mois peuvent être décisifs dans la suite des combats, selon Michel Goya, ancien colonel des troupes de marine, historien et stratégiste, et Cédric Mas, historien militaire, observateur du conflit et président de l’institut Action Résilience, interrogés par 20 Minutes.

Marioupol, Odessa, Kramatorsk, et même Kiev, sont bombardées dans la nuit. En parallèle, Vladimir Poutine annonce à la télévision russe le lancement d’une « opération militaire spéciale dans le Donbass » dont l’objectif est la « démilitarisation et la dénazification » de l’Ukraine. C’était il y a six mois. Le 24 février, la guerre a été déclarée à l’Ukraine par la Russie, menée d’un bras de fer par Vladimir Poutine. Six mois après le début des combats, la fin de cette « opération militaire », qui ne devait durer que 48 heures selon le Kremlin, se fait attendre.

Pourtant, d’un côté comme de l’autre, on préfère une guerre courte à un conflit qui s’enlise pendant des années. S’il est très compliqué de prévoir et impossible de prédire l’avenir, la situation actuelle peut nous aiguiller sur les prochains mois. « Militairement, on constate un ralentissement des opérations de plus en plus net, note Michel Goya, ancien colonel des troupes de marine, historien et stratégiste, interrogé par 20 Minutes. Il est plus difficile d’organiser des attaques car cela demande des moyens pour neutraliser des défenses qui sont assez solides. » Contrairement aux premiers mois du conflit, où l’on était davantage dans « une guerre de mouvements avec un front qui s’est formé », poursuit-il, aujourd’hui, on observe un front qui se fige, même s’il avance de quelques kilomètres.

Gel des combats ou victoire rapide ?

Alors comment envisager les futures semaines ? « Tout est possible et aucun des deux états-majors ne se satisfait d’un statu quo, tout dépend de ce qu’il va se passer à l’automne et de ce que l’Ukraine sera capable de faire militairement », explique Cédric Mas, historien militaire, observateur du conflit et président de l’institut Action Résilience, contacté par 20 Minutes. Plusieurs hypothèses, qui ne sont pas des prédictions, peuvent néanmoins être appréhendées.


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Pour Michel Goya, il existe une possibilité d’un gel des combats informel, voire de passer par des négociations pour un cessez-le-feu, bien sûr provisoire. Une hypothèse peu probable pour Cédric Mas selon qui « aucun des deux camps, pour le moment, ne joue le jeu d’un conflit gelé car chacun vise encore une victoire rapide ». Il rappelle que dans l’histoire militaire russe, les guerres qui ont duré plus d’un an - à l’exception de la Seconde Guerre mondiale - ont toutes été perdues. Et de l’autre côté, Kiev est « tributaire du soutien international ».

« L’automne va être chaud, prédit-il. Il peut même être décisif. Est-ce que les Russes vont relancer leurs efforts sur la phase trois (la première étant l’invasion et la deuxième l’offensive sur le Donbass) ? Et si oui, l’Ukraine va-t-elle lancer une contre-offensive ? Sera-t-elle victorieuse ? », s’interroge l’observateur du conflit. « Tout est possible », résume-t-il.

Une « guerre de corsaires »

Une autre forme de guerre est suceptible de se prolonger, celle que Michel Goya appelle « la guerre de corsaires », c’est-à-dire, « des attaques sur l’arrière », précise l’ancien officier, comme sur les dépôts de munitions, en Crimée, ou encore la centrale Zaporojie, au cœur de nombreuses préoccupations aujourd’hui. Elle peut se poursuivre pendant que « toutes les armées se préparent à une guerre prolongée, qu’elles forment de nouvelles brigades », ce qui prendrait entre six et huit mois, estime Michel Goya.

Pour l’Ukraine, cette stratégie dépend d’un soutien sans faille et massif des Occidentaux, mais elle pourrait la rendre capable de reprendre du terrain. Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne, a d’ailleurs assuré que l’Union européenne envisageait d’accroître son soutien à Kiev avec une mission de formation de l’armée qui se déroulerait dans des pays voisins de l’Ukraine. Le Royaume-Uni a déjà commencé à former des militaires envoyés par Kiev depuis le mois de juin.

La même stratégie est en cours à Moscou car « si les Russes veulent relancer les opérations, cela passe aussi par de nouvelles méthodes », pointe Michel Goya. Des deux côtés, les armées gardent alors des réserves tout en continuant à lancer des attaques, le temps de « mettre en place un effet de surprise stratégique, car pour gagner, il faut surprendre l’ennemi », explique Cédric Mas. Il prend l’exemple de la « stratégie du volcan éteint », celle qui consiste à « multiplier les alertes et ainsi noyer la véritable menace ». Et d’après lui, « on voit cette stratégie se mettre en place du côté ukrainien, comme les Russes l’on fait avant la guerre, sans qu’ils ne soient pris au sérieux ».

Affrontement entre deux blocs

Les infimes mouvements du front sont compensés par d’autres cibles, qui importent tout autant pour la suite des combats. Pour la Russie, c’est le soutien occidental qu’il faut tarir. « Ils comptent sur un affaiblissement du soutien, coûteux, de l’Occident à Kiev, et espèrent qu’il s’effrite », analyse Michel Goya. Pour ce faire, Moscou risque de jouer une politique d’influence sur l’opinion publique, diviser le camp occidental et à la fin, influer sur l’aide apportée. Car il y a bien deux niveaux dans ces combats : « la guerre Russie contre Ukraine et l’affrontement entre la Russie et l’Occident », résume l’expert. Et cet affrontement, qui consiste à faire pression sur l’ennemi, devrait encore durer des années.

Comme le dit l’adage, l’histoire se répète, et une fois n’est pas coutume. Pour nos deux experts, le monde est ainsi à nouveau divisé en deux blocs, comme au temps de la guerre froide. « On a un rideau de fer, deux blocs fermés, et cela ressemble beaucoup au jeu à trois des années 1960, 1970 avec les blocs soviétiques, chinois et le « monde libre » », illustre l’ancien officier.

Dans cette logique de blocs, la Russie a ses propres alliés. Peut-on imaginer que des pays amis de Moscou prennent à leur tour les armes ? Michel Goya exclut la Chine, le Kazakhstan s’est déjà désolidarisé du bloc russe, la Tchétchénie et la Syrie ont déjà fait quelques efforts en envoyant des combattants… Reste la Biélorussie. Mais sa participation active, bien que possible, reste improbable au vu de la fragilité du pouvoir d’Alexandre Loukachenko. Et quand bien même le pays apporterait son soutien, cela ne renverserait probablement pas la table. « Si on ne peut pas exclure une participation plus active de pays alliés de la Russie, pour le moment, il n’y a pas tellement de volontaires », souligne Michel Goya. Cette guerre peut encore réserver des surprises.