INTERVIEW« 30 % des trajets vers l’école se font en voiture, c’est beaucoup »

Semaine de la mobilité : « 30 % des trajets vers l’école se font en voiture, ça reste beaucoup »

INTERVIEWQuand on parle mobilité durable, on pense souvent aux trajets domicile-travail. Avec le programme Moby, EcoCO2 accompagne aussi les collectivités et écoles dans l’écomobilité scolaire. Et il y a fort à faire, pointe Bertrand Dumas, responsable de ce programme
Un pédibus organisé au sein d'un établissement scolaire de Caen permet aux enfants de venir à l'école à pied.
Un pédibus organisé au sein d'un établissement scolaire de Caen permet aux enfants de venir à l'école à pied. - MYCHELE DANIAU / AFP / AFP
Fabrice Pouliquen

Propos recueillis par Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • La 21e Semaine européenne de la mobilité démarre ce vendredi pour s’achever le 22 septembre. Le concept reste inchangé : faire découvrir les mobilités douces et actives aux Européens.
  • Et pas seulement pour aller au travail. Avec 12 millions d’élèves qui se rendent à l’école chaque jour de classe, se pencher sur l’écomobilité scolaire parait inévitable. D’autant que 30 % des trajets domicile-école se font en voiture, rappelle Eco CO2.
  • Depuis 2018, avec son programme Moby, l’entreprise accompagne les collectivités et écoles dans la réalisation de leurs plans de déplacements établissement scolaire. Une excellente entrée en matière pour repenser la mobilité sur son territoire ?

De la maternelle au lycée, ce sont plus de 12 millions d’élèves qui prennent le chemin de l’école, pour en revenir le soir, chaque jour de classe. Si on ajoute un million d’enseignants, ça donne un minimum de 26 millions de déplacements, qui s’ajoutent au volume déjà conséquent des autres mobilités quotidiennes.

Pas anodin, y compris en matière d’empreinte carbone, alors qu’une part non négligeable de ces trajets domicile-école, bien que courts, se fait en voiture, pointe EcoCO2. Le bureau d’études pilote le programme Moby, qui accompagne les collectivités et les écoles dans leurs plans de déplacements établissement scolaire (PDES). Objectif : tout faire pour que le trajet jusqu’à l’école se fasse en mobilité douce plutôt qu’en voiture. Alors que s’ouvre ce vendredi la semaine européenne de la mobilité, Bertrand Dumas, en charge du programme Moby pour Eco CO2, explique les enjeux à se pencher sur cette question.



Comment se font aujourd’hui ces 26 millions de trajets domicile-établissements scolaires en France ?

On estime entre un quart et 30 % la part faite en transports en commun et transports scolaires. Suivant les années, la marche oscille entre 25 et 28 %. Le vélo et toutes les mobilités actives dont on parle de plus en plus (trottinette, skate…) restent marginaux. De l’ordre de 3 à 4 %. Et puis, il y a la voiture, choisie pour plus de 30 % de ces trajets, dont seulement 1 % en covoiturage.

70 % des déplacements domicile-école se font donc en mobilité douce… ce n’est pas si mal, non ?

On pourrait voir les choses ainsi, surtout quand on sait que la voiture reste le premier mode de transport en France [pour 62,8 % des 181 millions de déplacements quotidiens*]. Néanmoins, les trajets domicile-école ont la particularité d’être courts. En moyenne, les écoliers vivent à moins de 2 km de leur école. On passe à 5 km pour un collégien, et un petit peu plus pour un lycéen. Les mobilités actives sont parfaitement adaptées à ces distances. Elles sont souvent même plus rapides que la voiture, en particulier en milieu urbain.

Donc plus de 30 % des trajets domicile-école en voiture, ça reste beaucoup. D’autant que, dans le lot, un bon quart sont des trajets non chaînés. Ils rallient seulement le domicile à l’école, sans être prolongés vers d’autres destinations, comme le travail. On pourrait facilement éviter ces 25 % là, en montrant que prendre la voiture, dans ce cas-là, est bien souvent une perte de temps. Et ça vaut aussi le coup pour les 75 % restant.

La crise du Covid-19 a-t-elle redistribué les modes de déplacements entre domicile et école ?

On aurait pu craindre une forte augmentation des trajets en voiture. Ce n’est pas ce qu’on a observé dans les sondages que nous avons réalisé ces deux dernières années. C’est même plutôt la marche qui sort gagnante. Elle a gagné 2 à 3 % de part modale, passant de 25 à 28 % en un an. Le problème est que cette hausse s’est faite surtout au détriment des transports en commun. La part de la voiture, elle, est restée stable.

Qu’est-ce qui fait qu’on n’arrive pas à réduire la part de la voiture ?

Il faut prendre le problème dans l’autre sens, en regardant ce qui empêche l’utilisation des mobilités douces. Le premier frein cité par les parents, à juste titre, est celui des conditions de sécurité. Si elles ne sont pas réunies ou si on pense qu’elles ne le sont pas, alors on n’emmène pas ses enfants autrement qu’en voiture.

Mais c’est le serpent qui se mord la queue : beaucoup de parents disent ne pas se rendre à pied à l’école ou ne pas autoriser leur enfant à le faire parce qu’il y a trop de voitures sur le chemin, et ajoutent donc la leur. C’est tout le cercle vertueux qu’il faut parvenir à créer aux abords de l’école : plus il y aura de personnes à pied ou à vélo, et plus les conditions de sécurité seront réunies pour pousser d’autres familles à en faire de même. L’enjeu n’est pas seulement de réduire les gaz à effet de serre. Il est aussi de travailler sur la pollution de l’air et la pollution sonore, favoriser l’activité physique ou de réduire le stress des enfants, ce qui tend à améliorer la concentration en classe.

Comment fonctionne alors le programme Moby ?

Il commence par une phase de lancement, au cours de laquelle nous allons communiquer sur le programme et constituer le comité Moby. Il réunit la collectivité (élus, techniciens), des représentants de la communauté éducative (directeur d’établissement, enseignants…), des parents d’élèves, des associations de riverains, des élèves… C’est un rouage essentiel car ces programmes, s’ils ne sont pas concertés dès le début, ne fonctionnent pas longtemps.

Puis vient le diagnostic sur les conditions d’accès à l’école et la mobilité. Autrement dit : qui vient et comment vient-on à l’école ? Est ensuite élaboré un plan d’action en trois grandes familles. Une première touche aux infrastructures, c’est-à-dire aux aménagements à faire autour de l’école, jusqu’à parfois reprendre tout le plan de circulation lorsqu’il est jugé trop accidentogène. Une autre regroupe les actions de report modal. Ce sont tous les services que l’on va pouvoir mettre en place pour que les parents aient la possibilité d’opter pour des modes de déplacement actifs ou partagés. Par exemple, la création d’un service de covoiturage ou de pedibus La troisième famille porte sur l’acculturation à la mobilité. C’est le volet pédagogique du programme, où l’on essaie de lancer et nourrir le débat sur nos mobilités et l’impact qu’elles peuvent avoir sur notre empreinte carbone.

De combien de points une école parvient-elle à réduire la part des élèves qui arrivent et repartent en voiture après un programme Moby ?

C’est trop tôt pour le dire. Il a été lancé en 2018 et déployé à partir de la rentrée 2020, quand la pandémie de Covid-19 s’est un peu calmée. A ce jour, 192 écoles élémentaires et 41 établissements du secondaire ont engagé cette démarche. Mais Moby dure environ deux ans**, si bien que les premiers établissements l’achèvent tout juste. Cependant, de grandes orientations se dégagent d’un établissement à l’autre. Beaucoup décident par exemple d’instaurer des rues aux écoles, parfois appelées rue aux enfants. L’idée est très simple : aux heures d’entrée et de sortie, la rue qui dessert l’école est fermée à la circulation. Il suffit d’un arrêté municipal. On voit aussi beaucoup la création de pedibus, de chicanes sur les voies, de garages à vélo, de garde-corps, des élargissements de trottoirs…

Trop peu d’écoles ont planché à ce jour sur un plan de déplacement scolaire ?

Il y a près de 60.000 établissements scolaires en France pour seulement 300 programmes Moby en cours. Certes, tout est loin de se résumer à ce programme. Les PDES existent depuis longtemps et d’autres bureaux d’études proposent un accompagnement. Mais on est encore très loin du compte. Plus regrettable, on construit encore aujourd’hui des établissements – des lycées et des collèges en périphérie de ville notamment - sans se préoccuper de la façon dont les élèves pourront s’y rendre en mobilité douce. Or, de l’instauration progressive des Zones à faible émission (ZFE) à la hausse des carburants, tout concourt à se pencher sur l’éco-mobilité scolaire. Et le faire est une excellente entrée en matière pour une collectivité qui veut travailler sur les mobilités sur l’ensemble de son territoire, car on travaille sur un périmètre géographique restreint, sur des trajets bien identifiés.

* Selon la dernière enquête sur la mobilité des personnes portant sur l’année 2019 publiée par le ministère de la Transition écologique.

** Le programme est financé à 75 % par les certificats d’économie d’énergie.