HYPEComment le poké bowl a envahi la France en cinq ans ?

Fashion conso : De la salade mal mélangée à l’incontournable pause midi, comment le poké bowl a envahi la France ?

HYPEOubliez les burgers, les traiteurs italiens, les sushis, la boulangerie… Le poke bowl est LA tendance fashion du déjeuner
La liberté guidant le pokebowl dans sa hype en France
La liberté guidant le pokebowl dans sa hype en France - Montage paint (désolé Eugène Delacroix) / Montage paint
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • En 2021, 200 millions de pokebowls se sont vendus en France, confirmant le succès de cette salade venue tout droit d’Hawaï.
  • Un plat qui coche toutes les cases actuelles, au point de devenir un immanquable de la pause déjeuner.
  • Mais au pays de la baguette, du fromage et du vin, qu’est ce qui séduit tant dans ce mélange riz, ananas et poisson cru ?

De notre envoyé spécial dans la hype du moment,

Pause midi, 7 juin 2018. Nous proposions gentiment de se faire un bon vieux Do-Mac quand Thomas, notre collègue, nous a regardé avec un regard compatissant devant notre - supposé - mauvais goût : « Bah non, on n’a plus 15 ans. On va se faire un poké ». Comprendre un poké bowl, et pour les deux du fond qui ont échappé à la hype alimentaire made in Hawaï : un bol composé de riz, de fruits frais et d’une source protéinée, traditionnellement du poisson. Environ 15 euros dépensés plus tard - dont 2 pour un petit supplément poulet –, nous venions de sauter à pieds joints dans le train en marche.

Quatre ans ont passé, et il pousse des points de vente de poké comme des champignons partout en France. Même les restaurants traditionnels s’y sont mis et proposent leur version revisitée. En chiffres, ça donne 200 millions de bowls vendus en France en 2021, renseigne Bernard Boutboul, président de Gira Conseil, cabinet dans l’expertise de la consommation alimentaire hors domicile. Le bowl serait donc à la restauration rapide ce que le Spritz est au cocktail : so branché. Mais comment ce que l’on considérait il y a encore cinq ans comme une salade pas mélangée s’est imposé de la sorte ?

Veni, Vidi, Healthy

Pour le savoir, retour aux sources. Ou plutôt à ce cher Thomas, histoire de lui demander comment il avait flairé le coup : « C’est une évidence : c’est frais, rassasiant et sain », nous dit cet ancien journaliste devenu libraire. Ni trop gras, ni trop lourd, bienvenue dans le monde du healthy, qui répond aux exigences du moment. François Blouin, fondateur de Food Service Vision, explique : « Il y a dans le poké une vraie transparence, ce à quoi le consommateur accorde de plus en plus d’importance : on voit les produits, souvent frais et non-transformés, on les sélectionne, on sait ce qu’on mange. » Le riz a aussi l’avantage d’être naturellement sans gluten - là aussi une demande actuelle.

En bonne commerciale, Emilie, derrière le bar du Poké Bowl (Paris 9e), vante sa marchandise : « C’est une pause-midi nettement plus saine que le burger ou le kebab. C’est équilibré, avec un bon ratio glucide-protéine-lipide ! » Une promesse pas nécessairement tenue, puisqu’un nutritionniste vous parlera de l’indice glycémique assez haut de la plupart des composants et de certains mauvais choix de produits par le consommateur pouvant ruiner la valeur calorique.

Un produit pas si génial que ça ?

Marie-Eve Laporte, enseignante-chercheuse à l’IAE Paris-Sorbonne et spécialiste du comportement alimentaire, pose, elle, un regard positif : « Ce n’est pas le top du sain mais ça reste effectivement moins calorique que la plupart des burgers ou autre fast-food. » Nicolas Nouchi, du cabinet CHD Expert-Datassential, précise : « Tout n’est pas heathly dans le poké, mais par rapport à la plupart de la restauration rapide, il rajoute des fruits et des légumes, ce qui apporte des fibres et des vitamines ». Toujours ça de pris.

En plein débat sur le côté sain ou non du bowl, Emilie ajoute un deuxième argument massue : ses 200 grammes de riz de moyenne. Comprenez : un produit rassasiant qui évite la fringale de 16h et ce diable de Kinder Bueno à la machine à café. Là aussi, méfiance du côté de Bernard Boutboul : « Cela n’est pas plus rassasiant que n’importe quelle salade de riz, de pâte ou d’autres féculents. »

La salade 2.0

Car oui, arrêtons les faux-semblants : le poké bowl est une salade. Customisée, certes, mais une salade. Ce qui explique d’ailleurs en partie son succès, puisque la salade composée est le quatrième produit le plus consommé en vente à emporter en France, derrière le trio sandwich-burger-pizza (miam), renseigne Bernard Boutboul. Sont vendues chaque année 550 millions de salades composées, total qui ne prend pas en compte les poké bowls. Et le président de Gira Conseil l’assure : « Si on additionne les deux, le produit passera sûrement troisième ».

Une salade 2.0 donc, avec ce que Nicolas Nouchi nomme la premiumisation : en gros, élever soi-même la qualité de ce que l’on mange. Retour en 2018, avec nos 2 euros supplémentaires investis pour du poulet et un meilleur apport protéiné. Au-delà d’élever le produit, c’est le fait de pouvoir composer sa propre salade qui compte : la diversité de l’offre, évidemment, et « la satisfaction du consommateur d’avoir un produit unique et qui correspond à ses envies ». Et ça tombe bien pour les restaurateurs, car le produit est plus cher une fois customisé et personnalisé. Le ticket de caisse moyen pour la restauration rapide s’élevait à 11,50 euros en 2021 en restauration rapide au lieu de 9,70 euros en 2019, selon une étude de CDH expert.

Le beau plus que le bon

Autre atout : à l’heure où il est de plus en plus difficile d’entamer son assiette sans être interrompu - « aaaaatteeeeends, je prends en photo le plat d’abord » –, le poké bowl a l’avantage d’être tout beau avec ses couleurs d’ingrédients bien organisées. « Une grande partie de la satisfaction du client dépend plus de l’esthétique que du contenu alimentaire à l’heure de la nourriture instagrammable », note Nicolas Nouchi. C’est mathématique : « plus c’est photogénique, plus c’est partagé sur les réseaux, plus le produit fait parler. Et le fait d’être beau aide aussi sur les sites de livraisons », rajoute François Blouin.

Car le succès du poké bowl s’inscrit également dans la dynamique ascendante de la vente à emporter et de la livraison à domicile… et de la réduction du temps de déjeuner, explique Marie-Eve Laporte. Pour résumer : « Le poké s’inscrit dans toutes les tendances actuelles de consommation ». Et ça semble parti pour durer, s’accorde tous les spécialistes. François Blouin : « La progression du poké bowl n’est pas finie. Il lui reste encore des parts de marché à conquérir et à solidifier, on n’est pas encore au pic ». Thomas n’a pas fini de nous rappeler qu’il a eu raison.