INTERVIEWAnna Toumazoff dépoussière le « Dico des Filles"

Avec « Ta vie sans filtre », Anna Toumazoff dépoussière le « Dico des Filles »

INTERVIEWLassée du sexisme latent des ouvrages pour ados, Anna Toumazoff a choisi de s’adresser à eux et à leurs problèmes, sans condescendance
Avec « Ta vie sans filtre », Anna Toumazoff dépoussière le « Dico des Filles »
Pauline Ferrari

Pauline Ferrari

C’est un ouvrage que vous avez peut-être reçu à Noël ou pour votre anniversaire, la couverture remplie de paillettes et de fleurs : Le Dico des Filles, édité à partir de 2002 par les éditions Fleurus était une institution pour toute une génération d’adolescentes. Mais sous les pages colorées, des définitions remplies de slut-shaming et de propos culpabilisant les adolescentes sur leurs désirs et leurs façons de s’habiller. L’IVG y est considérée comme immoral, et la masturbation est « une pratique pauvre » : des pages qui font grimacer quand on les relit en 2022.

En 2022, heureusement, les ados peuvent désormais compter sur toute une génération d’autrices qui tentent de faire changer les mentalités. La militante Anna Toumazoff en fait partie : elle a publié aux Editions Mango Jeunesse l’ouvrage Ta vie sans filtre : d’alcool à voyage, 100 mots pour tout comprendre. Une version non-genrée et bienveillante de ce fameux Dico des Filles, adaptée aux ados d’aujourd’hui, qui parle de santé mentale, de complexes, de sexualité, d’addiction. On l’a rencontrée pour lui demander ce que ça signifiait, de créer un Dico des ados nouvelle génération.

Comment vous est venue l’idée de faire ce livre ?

C’est en retrouvant chez mes parents mon Dico des Filles qui datait de 2005 : j’ai relu pleins de pages et pleins d’éléments avec lesquels j’avais grandi, que j’avais pris pour argent comptant, qui me donnaient des clés de sujets dont je ne parlais pas avec mes parents, et qui étaient très problématiques.

Il y a des choses qui étaient homophobes ou racistes, et des choses plus insidieuses sur le rapport au corps, que ce soit la pilosité, le poids, la taille… Mais aussi le rapport aux autres filles, et le manque de sororité que ça proposait, avec l’idée que l’autre femme est une rivale. Du coup je me suis dit que c’était une bonne idée de refaire un ouvrage de ce type mais vraiment progressiste, qui aide les gens.

Le Dico des filles c’est un livre assez symbolique pour toute une génération…

Bien sûr, c’était une institution ces bouquins-là, c’était des gros livres avec des paillettes, c’était un peu le cadeau par définition qu’on t’offrait à Noël et aux anniversaires… Et surtout on allait te le remettre entre les mains en mode « bon tu poses plus de questions, t’as toutes les réponses à l’intérieur ». Parce que c’était vraiment fait pour les adolescentes, il y avait un ton hyper bêtifiant alors que c’était écrit par une femme adulte. Je pense que pleins de parents pensaient bien faire, mais on se retrouvait avec ce truc-là entre les mains, qui était censé nous donner tous les conseils sur tous les points de la vie, pour bien grandir. Et les parents ne voyaient pas trop le bourbier que ça pouvait être ! Et c’est pour ça que j’insiste beaucoup sur le fait que mon livre, j’aimerais qu’il soit lu par les parents, par les grands-parents, pour donner un objet de dialogue transgénérationnel.

Comment s’est passée l’écriture ? Vous avez aimé jouer le rôle de grande sœur en l’écrivant ?

C’était marrant à écrire parce que c’était structuré, ça a été hyper intéressant de choisir les mots ! Par exemple pour moi il y avait des mots qui étaient tellement importants comme le consentement, que je n’en ai pas fait un chapitre mais que j’ai mis partout. Tu l’as dans le chapitre sur la sexualité, mais aussi dans tout ce qui traite les relations humaines. J’ai bien aimé écrire ça, et prendre ce rôle. Après, je me suis mise la pression parce que je me rappelais à quel point, quand t’es petite, tu prends pour argent comptant ce qu’il y a écrit dans un livre écrit par un adulte. Donc il y avait une vraie mission pour moi, j’ai pris ça super au sérieux.


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Il y a une centaine de définitions, dont des nouvelles comme « réseaux sociaux », « véganisme », « identité de genre »…

On était obligés pour le réactualiser dans ce qui parle aux jeunes aujourd’hui. Dans les anciens dicos, il y avait « télévision » par exemple. Et même s’ils vont consommer des contenus télévisuels par ordi, tablette, ce que tu veux, ça me semblait plus pertinent de parler de séries, de Netflix.

Et puis même aller beaucoup plus sur les émotions. Par exemple, la santé mentale, j’en ai fait des tonnes, mais parce que c’était nécessaire pour moi. Je me suis dit : « est-ce que je fais un chapitre sur la dépression, un sur les angoisses, et après un chapitre sur la santé mentale ? » Mais je trouvais ça un peu stigmatisant pour certaines maladies mentales comme la bipolarité, la schizophrénie, et ça éludait le fait que la dépression était une maladie aussi. J’ai voulu faire une entrée Santé mentale global, qui mettait toutes ces maladies ensemble, et qui traite aussi de comment bien s’occuper de sa santé mentale. Je voulais aussi mettre en avant le côté spectre : même si à un moment on traverse des périodes très difficiles, on peut aussi aller mieux.

C’est un ouvrage qui ne s’adresse qu’aux filles ?

Que ce soit en terme d’anatomie ou d’émotions, je voulais que tout le monde puisse se sentir concerné par n’importe quel propos, et puisse piocher ce dont il ou elle a envie. Pour moi c’était évident de ne pas genrer les termes, d’être le plus neutre possible, parce que c’est naturel pour moi qu’on écrive comme ça. Après c’est un exercice de style : je parle beaucoup en tutoyant, je dis « les personnes qui », « les gens qui »… Ce n’est pas contre l’écriture inclusive, mais j’ai pensé à tous les jeunes qui sont neuroatypiques, et à tous ceux qui ne sont pas francophones de base, ou à leurs parents/grands-parents. Je voulais que l’écriture soit la plus fluide possible.

Dans le ton, vous parlez aux ados comme à des adultes de demain, pas comme à des enfants… Est-ce que vous avez foi dans la génération qui arrive ?

Il faut ! Même dans les générations qui nous précédent, c’est juste qu’il faut de l’honnêteté intellectuelle et c’est ça qui manque peut-être dans les générations d’avant : considérer que ce qu’on t’apporte, en termes de propos, même si on est jeunes, ça peut être aussi intéressant. Et cette génération, elle va faire quelque chose, bien sûr. Disons que je n’aimerais pas être à leur place, parce que nous déjà, c’est compliqué d’avoir vécu dans la vingtaine avec toutes ces histoires de confinement qui ont flingué tout le monde, de guerres, de tensions sociales, politiques et tout… Mais eux, ils sont en pleine primo-construction pendant toute cette période. C’est très dur mais j’essaye de mettre ma pierre à l’édifice pour pouvoir aider les ados là-dessus. Et leur rappeler que la vie est compliquée, mais que ça va aller.