CRISEDos au mur, des vignerons veulent arracher 15.000 hectares à Bordeaux

Gironde : Pourquoi des viticulteurs réclament l’arrachage définitif d’au moins 15.000 hectares de vignes ?

CRISEFrappée par une surproduction chronique, une partie des vignerons bordelais réclame un arrachage indemnisé
Illustration de vignes dans l'appellation Saint-Emilion. (AP Photo/Bob Edme)/NYOTK/27539556849/1510301031
Illustration de vignes dans l'appellation Saint-Emilion. (AP Photo/Bob Edme)/NYOTK/27539556849/1510301031 - Bob Edme / AP/SIPA
Elsa Provenzano

Elsa Provenzano

L'essentiel

  • Un collectif de vignerons et l’interprofession des vins de Bordeaux réclament la possibilité de recourir à un arrachage primé (c’est-à-dire accompagné de subventions).
  • En surproduction, le vignoble ne valorise pas assez certains vins, en particulier issus du vrac, et l’idée est de rééquilibrer la taille du vignoble, qui s’étend sur 110.000 hectares. Certains vignerons sont en grande précarité.
  • D’autres régions viticoles sont concernées, notamment le Languedoc, et une demande commune sera bientôt adressée au ministère de l’Agriculture, dans l’espoir de modifier les textes européens.

«J’ai 65 ans, mon fils travaillait avec moi et devait reprendre la propriété mais en début d’année, il est parti me disant que ce n’était pas une activité rentable, témoigne Didier Cousiney, vigneron dans le Sauternais et porte-parole d’un collectif de viticulteurs qui milite pour l’arrachage des vignes dans le Bordelais. Je suis tout seul avec deux ouvriers et alors qu’on vendait tout en Chine, depuis un an et demi on ne vend plus rien et mon banquier m’a laissé tomber, comme d’autres. » De nombreux viticulteurs se retrouvent dans de grandes difficultés économiques et/ou dans l’impossibilité de transmettre leur propriété faute de repreneur, en particulier dans les appellations Bordeaux, côtes de Bordeaux et du Médoc.


Pour que les vignerons concernés puissent partir à la retraite dignement, après une vie de travail dans les rangs, il demande l’arrachage définitif d’au moins 15.000 hectares avec une prime à hauteur de 10.000 euros l’hectare. « Il faudrait arracher un peu moins de 10 % des surfaces du vignoble bordelais qui s’étend sur 110.000 hectares », estime de son côté Christophe Chateau, directeur de la communication du Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux (CIVB).

Enrayer la surproduction

L’offre est supérieure à la demande et l’opération d’arrachage vise à rééquilibrer la balance. « Depuis quatre ans, avec le Covid, la taxe Trump, le Brexit et la guerre en Ukraine, la situation s’est dégradée. Il faut s’adapter au marché et la consommation de vin rouge est en baisse. Produire des vins qu’on ne valorise pas, cela ne sert à rien », résume Christophe Chateau.

Pour l’Interprofession, le Bordelais produit ces dernières années 200 à 300.000 hectolitres de plus que ce qui est commercialisé et 200.000 autres hectolitres sont vendus à des prix trop faibles. « Un tonneau de 100 litres, à Bordeaux, se vend en moyenne 1.000 à 1.300 euros et nous, on le vend 600 à 700 euros, on n’a pas besoin d’aller à l’école longtemps pour comprendre… », pointe Didier Cousiney, qui estime la surproduction plus importante, de l’ordre d’un million hectolitres par an.

La situation est très contrastée dans le Bordelais. Si les grands crus n’ont aucun problème à écouler leurs productions, les vins d’entrée de gamme et en particulier le vrac sont en crise. Pour le collectif de viticulteurs, menacés de grande précarité, l’urgence est grande : « on demande un plan social comme il y en a eu chez Renault, Peugeot, Les fonderies etc. », lance Didier Cousiney.

Changer les textes pour obtenir l’arrachage primé

Le hic c’est que depuis 2008, il n’y a plus d’arrachage primé (accompagné d’une indemnisation) dans les textes européens, donc l’interprofession bordelaise veut modifier les textes. Elle peut compter sur le soutien d’autres régions (le Rhône et le Languedoc) qui connaissent la même problématique.

« Si l’ensemble des régions viticoles françaises poussent auprès du gouvernement et de l’Europe, on a bon espoir que cela aboutisse », commente Christophe Chateau. Le Languedoc défend la possibilité de détruire des volumes de vin dans les chais, et cela pourrait se concrétiser dès début 2023. L’arrachage est plus long et pourrait prendre 12 à 18 mois. Les régions concernées sont en train de se mettre d’accord sur des revendications communes à présenter au ministère de l’Agriculture.

Une opportunité pour la diversification des cultures

Pour le collectif en faveur de l’arrachage, il faut qu’il soit définitif et que les droits de plantation y soient perdus. Pour l’Interprofession, il pourrait y avoir une part d’arrachage définitif et aussi des « réajustements » sur certaines parcelles. Selon elle, le modèle à suivre est celui de Cognac. « Il y a trente ans, on y a arraché des dizaines de milliers d’hectares et aujourd’hui leur dynamique économique est positive et on replante », pointe Christophe Chateau.

Un audit pour recenser les vignes en friche en Gironde est en cours actuellement et devrait aboutir d’ici la fin de l’année. Pour l’instant, la chambre de l’Agriculture dénombre 2.000 hectares délaissés (principalement dans le Blayais, une partie de l’Entre-deux-mers et le nord du Libournais) pour des raisons économiques ou des problèmes de succession.

Si certaines parcelles peuvent être remises en culture, d’autres pourraient être logiquement concernées par des mesures d’arrachage primé. Thierry Mazet, directeur de la Chambre, y voit une opportunité pour une diversification des cultures. « On en a besoin en Gironde. On a des demandes sur l’arboriculture, l’élevage et le maraîchage et on n’arrive pas à y répondre aujourd’hui. »

Le collectif de vignerons souhaite aussi qu’il n’y ait pas de retour en arrière possible. « On demande que ces parcelles soient destinées à l’alimentation animale, humaine et à la transition écologique (installation d’énergies nouvelles par exemple), précise Didier Cousiney. Il faut de nouvelles destinations. »