PENURIELes tensions d’approvisionnement sur les médicaments risquent de perdurer

Santé : Pourquoi la pénurie de médicaments s’intensifie en cette fin d’année

PENURIELes médicaments qui agissent sur le système nerveux, les anti-infectieux et les anticancéreux sont les plus exposés aux risques de rupture
Illustration d'un tiroir de médicaments génériques dans une pharmacie toulousaine.
Illustration d'un tiroir de médicaments génériques dans une pharmacie toulousaine. - Alexandre GELEBART/20MINUTES / © Alexandre GELEBART
Noémie Penot

Noémie Penot

L'essentiel

  • D’après les chiffres de l’Agence nationale de sécurité du médicament, les ruptures ou risques de ruptures ont concerné 2.160 références de médicaments en 2021, contre 871 en 2018.
  • En 2022, le phénomène s’est accéléré, puisqu’à la mi-août, les ruptures d’approvisionnement concernaient 12,5 % des références, contre 6,5 % en janvier, d’après le groupement d’intérêt économique (GIE).
  • Car la pénurie de principes actifs et la hausse du coût de l’énergie et du transport ont aggravé la situation.

Lors d’un passage en pharmacie, l’un des médicaments dont vous aviez besoin n’était pas disponible ? Un phénomène que les professionnels du secteur comme les patients, constatent déjà depuis quelques semaines et qui risque bien de perdurer. D’après des chiffres du groupement d’intérêt économique (GIE) relayés par Les Echos, 12,5 % des références de médicaments étaient en ruptures d’approvisionnement à la mi-août, contre 6,5 % en janvier. Une situation tendue, qui a pourtant un goût de déjà-vu pour l’industrie pharmaceutique française. 20 Minutes en analyse les causes.

Des ruptures sur les médicaments « d’intérêt thérapeutique majeur »

Les chiffres de l’Agence nationale de la sécurité du médicament (ANSM), publiés le 21 septembre dernier dans son rapport d’activité 2021, confirment la tendance dessinée par le GIE. Des signalements - soit des ruptures ou risques de ruptures –, ont été rapportés sur 2.160 médicaments cette année-là. En 2018, seulement 871 signalements étaient recensés, 1.504 en 2019 et 2.446 en 2020. Une envolée à partir de 2020, donc, mais que l’ANSM explique par le fait qu’elle exhorte les laboratoires à « déclarer les risques de ruptures et ruptures de stock le plus en amont possible » pour renforcer « les sanctions financières pour les laboratoires ne respectant pas leurs obligations en la matière ».

Alors quels médicaments sont concernés ? Dans un communiqué publié le 27 septembre dernier, Elisabeth Stampa, présidente de Medecine for Europe, le syndicat européen des fabricants de médicaments génériques, a largement propagé l’inquiétude d’un risque de pénurie sur ces derniers. Mais ils ne sont pas les seuls dont les stocks risquent d’être insuffisants pour approvisionner nos pharmacies. D’après l’ANSM, les médicaments les plus exposés sont « d’intérêt thérapeutique majeur », soit ceux qui agissent sur le système nerveux, les anti-infectieux et les anticancéreux. Et il est compliqué de trouver des alternatives. Ces derniers, à l’inverse de nombreux médicaments pour la bobologie quotidienne, ne possèdent pas toujours de références équivalentes. Et une référence en rupture est « réapprovisionnée en trois mois », affirme Thomas Borel, directeur scientifique aux Entreprises du médicament (Leem).

Une tension récurrente

Pourtant, la tension sur la chaîne d’approvisionnement des médicaments ne date pas d’hier. « Il y a, depuis longtemps, une problématique d’ajustement de l’offre et de la demande qui ne fait que croître sur le plan international. D’autant que la demande augmente de 6 % tous les ans », constate Thomas Borel. En France, le prix des médicaments reste faible et il est strictement encadré par l’Etat. L’équation est d’autant plus compliquée que certains laboratoires français vendent à perte ; les médicaments cédés sont moins chers que ce qu’ils ont coûté à fabriquer. Tout particulièrement « les médicaments matures dont les niveaux de prix sont devenus très bas », explique Thomas Borel. Un constat qui s’applique également aux génériques, eux aussi fabriqués et vendus à d’encore plus faibles prix que les princeps (les médicaments d’origine à partir desquels sont conçus les médicaments génériques).

La solution ? Tendre vers la souveraineté sanitaire et « relocaliser les industries pharmaceutiques en Europe », est d’avis Phillippe Besset, président de la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France (FSPF). Un combat qui a débouché sur une victoire pour la FSPF, la production de paracétamol s’apprêtant à être relocalisée en France, plus précisément en Isère, à partir de 2023. Ensuite, supprimer l’article 31 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023. « Pour faire des économies, le ministère compte mettre en place des appels d’offres sur certains médicaments, le laboratoire le moins cher les remportera et il sera le seul à être remboursé, ce qui aggraverait la pénurie », déplore Philippe Besset.

Hausse du coût des transports et pénurie de principes actifs

En plus des raisons structurelles, les professionnels du secteur partagent une autre crainte beaucoup plus contextuelle. Si la Russie n’est pas un grand exportateur de médicaments, son conflit avec l’Ukraine a eu un impact sur l’augmentation du coût de l’énergie et des transports. « Le prix des intrants, c’est-à-dire de l’aluminium, du carton et du verre, a pris 25 % », indique Thomas Borel. Des matières qui sont indispensables au conditionnement du médicament. « Les délais d’approvisionnement sont eux aussi plus longs, « de 25 % en moyenne », d’après le directeur scientifique.

Du côté du prix des matières premières, même tension. Les commandes de principes actifs sont actuellement plus nombreuses. Et celles que passent nos voisins du continent aux usines situées dans le Sud-Est asiatique, ont tendance à être honorées en premier. « Les pays qui payent la matière active plus cher passent avant », souligne ainsi Philippe Besset. « Notre pays ne répercute pas toutes ces hausses sur les prix de ventes de médicaments, puisqu’il n’y a pas de prix libre », assure Thomas Borel. Le secteur connaît donc, encore plus qu’avant, une équation économique, impossible à résoudre.