SensiblesUn agriculteur se pourvoit en cassation pour laisser ses vaches péter

Oise : Condamné pour le bruit et l’odeur de ses vaches, un agriculteur se pourvoit en cassation

SensiblesLes riverains se plaignent depuis dix ans, mais l’agriculteur veut faire valoir la protection du patrimoine sensoriel de la campagne
Dans l'Oise, Marguerite est priée de ne pas faire de pet trop odorant. (illustration)
Dans l'Oise, Marguerite est priée de ne pas faire de pet trop odorant. (illustration) - A. GELEBART / 20 MINUTES / A. GELEBART / 20 MINUTES
Xavier Regnier

X.R. avec AFP

«Je ne vous parle pas du bruit et de l’odeur… » La sortie polémique de Jacques Chirac pourrait-elle connaître une deuxième vie, dans la bouche des riverains aux sens indisposés par les effluves de la campagne ? A Saint-Aubin-en-Bray, dans l’Oise, on retient son souffle : pas seulement à cause de l’odeur des pets de vaches, mais aussi parce qu’une bataille judiciaire oppose depuis dix ans Vincent Verschuere, éleveur bovin de 33 ans, aux autres habitants. Au cœur du conflit, un hangar que l’agriculteur a fait construire en 2010 dans son exploitation, au centre du village.

L’éleveur a investi 600.000 euros pour construire ce hangar de 2.800m², abritant notamment une stabulation. Il a pour cela obtenu une dérogation préfectorale, les premiers habitants se trouvant à moins de 100 m. Mais des riverains se plaignant de nuisances olfactives et sonores ont porté l’affaire en justice et obtenu l’annulation de son permis de construire en 2013, puis en 2018 sa condamnation pour « troubles anormaux de voisinage ». En mars, la Cour d’appel d’Amiens a confirmé la condamnation prononcée par le tribunal de Beauvais, reconnaissant les nuisances olfactives et sonores du bâtiment.

Le pet de vache et la jonquille

« Cette décision n’a pas pris en compte la nouvelle loi visant à définir et à protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises, promulguée le 29 janvier 2021 », plaide l’avocat de l’éleveur, Timothée Dufour, qui compte s’appuyer sur cette loi en cassation. Un peu comme les citadins qui viennent se plaindre des cloches de leur village de vacances, vouloir empêcher les vaches de péter n’aurait ainsi pas grand sens à la campagne. L’avocat estime également qu' « il n’y a pas eu assez d’expertise contradictoire, car la difficulté de ce dossier est son aspect subjectif : à quel moment peut-on dire qu’une odeur est nuisible ou non ? ».

La question est difficile à trancher, d’autant plus que la limite du supportable varie d’un individu à l’autre. Et d’une époque à l’autre, comme le montre l’historien Alain Corbin dans Le Miasme et la Jonquille. La procédure est donc scrutée par le monde agricole, qui craint que les décisions fassent date et jurisprudence dans les conflits opposants riverains et agriculteurs. « Il faut tout faire pour qu’il n’y ait pas de jurisprudence Verschuere, c’est pour cela que je veux me battre jusqu’au bout », explique l’éleveur. « Dans l’Oise, une exploitation sur deux a obtenu une dérogation de distance pour construire près des habitations, ils sont tous potentiellement menacés par des poursuites des riverains qui n’aiment pas l’odeur ou le bruit de nos bêtes, souvent des néoruraux », ajoute-t-il.



Vincent Verschuere assure que les dommages et intérêts ont été réglés aux riverains plaignants, « 106.000 euros au total ». Pour cela, il a contracté un prêt bancaire sur sept ans et bénéficié d’une aide de 40.000 euros de la région Hauts-de-France, sans laquelle il aurait dû « mettre la clé sous la porte ». L’éleveur a jusqu’au 30 novembre pour proposer des solutions techniques d’isolation de son hangar au tribunal de Beauvais. Son avocat va demander la suspension de cette obligation de travaux. Même avec une décision favorable, Vincent Verschuere n’a peut-être pas fini des pets de ses vaches. Car en Nouvelle-Zélande, ces derniers sont taxés, et l’idée pourrait faire son chemin jusqu’en Europe…