INTERVIEW« Je ne savais plus ce que je voulais », confie Alexis Pinturault

Ski Alpin : « Après le gros globe, je ne savais plus ce que ce je voulais », avoue Alexis Pinturault

INTERVIEWA l’aube de la nouvelle saison de ski alpin, Alexis Pinturault s’est confié à 20 Minutes pour évoquer la sortie de son livre, De l’or au cristal, qui sort ce mercredi en librairies
Alexis Pinturault a envie de retrouver le chemin de la victoire après une saison dernière très compliquée.
Alexis Pinturault a envie de retrouver le chemin de la victoire après une saison dernière très compliquée.  - AOP / AOP
Aymeric Le Gall

Aymeric Le Gall

L'essentiel

  • Ce mercredi sort l'autobiographie du skieur français Alexis Pinturault, De l'or au cristal, aux éditions Marabout.
  • Il y retrace ses treize ans de carrière et explique en quoi la victoire du gros globe de cristal en 2021 a été compliquée à gérer par la suite.
  • A la veille de la nouvelle saison de ski alpin, le triple médaillé olympique a accepté de répondre aux questions de 20 Minutes.

Après une saison 2021 couronnée de succès avec le gain du gros globe de cristal, et un hiver dernier beaucoup plus compliqué à gérer, avec en point d’orgue des JO de Pékin à oublier, Alexis Pinturault a eu besoin de faire le point sur sa carrière et ses envies avant de repartir de l’avant. Il a donc profité de la coupure estivale pour faire le bilan de ces treize années de carrière et écrire un bouquin, De l’or au cristal, qui sort ce mercredi aux éditions Marabout. De passage à Paris avant le début de la saison de ski alpin, le skieur de Courchevel a accepté de répondre aux questions de 20 Minutes.

Dès le début de votre livre, vous évoquez la difficulté du ski et des aléas climatiques, vous dites que « la lecture de notre sport est mal comprise ou mal expliqué en France ». Ce travail pédagogique n’a pas été fait, ou a été mal fait, selon vous ?

Oui je le pense en effet. Pour plusieurs raisons. La première c’est que le ski en France n’est pas énormément médiatisé, on ne se retrouve pas ou peu sur des chaînes nationales et/ou gratuites, on a des temps d’antenne réduits et on a tendance logiquement à aller à l’essentiel. L’essentiel c’est l’action, la compétition à proprement parler, mais même pendant la compétition il y a un manque d’explication à mon sens. Dire par exemple qu’une lumière qui baisse, un nuage qui passe à tel ou tel instant devant le soleil, ça fait qu’on se retrouve dans une espèce de « jour blanc » et que ça a un réel impact sur notre performance en termes de vitesse, et que ça se retrouve à la fin sur la ligne d’arrivée. Ce sont des détails qui peuvent paraître toutes bêtes mais qui ont une importance sur la manière dont est compris et jugé notre sport.

Vous parlez aussi de la manière dont est filmé le ski, en gros comme il y a dix ou vingt ans, et vous donnez des pistes pour améliorer ça

Un super exemple pour illustrer ça, c’est la Formule 1. Il y a quelques années c’était un sport en perte de vitesse qui n’intéressait plus grand monde, la FIA elle-même admettait qu’elle perdait en audience, et aujourd’hui ils sont au top. Et pourtant le format de course n’a pas changé. Ce qui a changé c’est l’environnement autour, le marketing, mais surtout la réalisation télé. Les chaînes se servent des caméras embarquées pour faire vivre la course différemment, ils rendent les choses plus vivantes, sans parler du documentaire Netflix qui a fait énormément de bien à cette discipline pour gagner en popularité et qui a servi à mieux faire comprendre au grand public ce qui se joue sur et hors des circuits, la complexité de ce sport. Je pense que le ski pourrait s’en inspirer pour regagner en popularité. Aujourd’hui le public veut voir les choses de l’intérieur, il veut aussi des moyens modernes pour suivre un sport, on a les outils à disposition, à nous maintenant de nous en servir pour intéresser davantage les gens.

Vous sentez que ça peut évoluer dans ce sens ?

Oui. La FIS a changé de président (Johan Eliasch) il y a deux ans et le nouveau donne la sensation de vouloir redynamiser les choses. Une des premières problématiques c’est que la FIS ne possède pas ses droits télé, elle les a cédés à des boîtes de prod qui les exploitent pour les revendre ensuite. Aujourd’hui la FIS aimerait reprendre la main sur ses droits et je trouve ça positif car c’est le seul moyen d’impulser des changements, de prendre des risques stratégiques pour redynamiser le ski alpin. Le biathlon en est le meilleur exemple. Ils ont dit « ok, on va prendre le risque de vendre nos droits TV à la chaîne L’Equipe, à moindre coût, mais on va peut-être bénéficier derrière des centaines de milliers de téléspectateurs ». Et on le voit aujourd’hui, ça a eu un impact hyper positif sur la popularité de ce sport dans notre pays.



On va revenir à vous. Vous avez vécu deux saisons opposées en termes de résultat et de performances. On vous avait quitté en larmes en Chine après des Olympiades très compliquées. Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?

Les choses sont différentes aujourd’hui. Il a fallu que je tourne une page d’une certaine manière, que je fasse une sorte de bilan, chose que je n’avais pas faite après la victoire du gros globe de cristal en 2021, et en ça le bouquin m’a été d’une grande aide. C’était important pour moi de clôturer un chapitre de ma vie et de mettre des mots là-dessus, ça fait du bien. Du coup, comment je me sens ? Je me sens plutôt bien dans mes bottes aujourd’hui mais est-ce que je suis performant ? Ça, il n’y a que l’hiver qui pourra le dire.

Qu’est-ce qui explique votre saison dernière compliquée ? Vous disiez même que vous vous posiez la question de mettre un terme à votre carrière…

Une fois qu’on s’est fixé des objectifs et qu’on les a atteints, il faut parvenir à s’en créer des nouveaux. C’est ce que je n’ai pas su faire après le gros globe. Quand je me projetais, je n’étais pas capable de me dire où est-ce que j’en serais un an plus tard, dans deux ans. J’avais même du mal à savoir si je serais encore dans le ski, je ne savais plus ce que je voulais, il n’y avait plus grand-chose qui m’animait. Certainement que je n’ai pas mesuré l’impact que ça allait avoir sur moi et sur mes envies. Je suis reparti trop vite pour la saison 2021-2022, la tête dans le guidon et je n’ai pas pris assez de temps pour moi pour évacuer tout ce qui s’était passé et repartir sur des bases nouvelles.


Alexis Pinturault dépité après son abandon en combiné lors des JO de Pékin.
Alexis Pinturault dépité après son abandon en combiné lors des JO de Pékin.  - Fabrice COFFRINI / AFP

Qu’est-ce qui va changer cette saison pour vous ? Vous écrivez en conclusion du livre « aujourd’hui je veux moins m’obliger ». Ça veut dire quoi ?

A l’époque je me disais « il faut vraiment que j’aille à cet endroit-là car, si je n’y vais pas, je risque de perdre des gros points au niveau du général. » Aujourd’hui, je ne veux plus m’imposer ça, je veux être performant là où j’ai jugé bon d’être et ne pas courir dans tous les sens. L’idée c’est de se prendre moins le chou, tout simplement. Après, l’objectif, c’est la dernière phrase du livre : retrouver le chemin de la victoire, me prouver à moi-même que je suis de nouveau capable de gagner.

Dans le livre vous évoquez les derniers JO d’hiver dans la bulle sanitaire. Ça a été dur à vivre pour vous ?

Ce que je n’ai pas aimé, c’est cette sensation de quarantaine. Car elle n’a pas duré trois jours pour moi. Il y a une différence entre être en quarantaine pendant deux ou trois jours, parce qu’on a une seule épreuve à disputer, et être en quarantaine pendant trois semaines, comme ce fut mon cas cette année. Pour moi ça a été non-stop jusqu’au slalom. A Yanqing c’était pesant, même si le village était plus agréable qu’à Sotchi, mais cette sensation d’enfermement permanent était dure à vivre. Moi ce genre de choses m’impacte énormément, à aucun moment tu peux sortir de la bulle pour aller respirer un peu, se changer les idées, faire des visites comme ça avait été possible à Pyeongchang. C’était oppressant.

Vous évoquez pas mal les choix des villes hôtes, aussi bien de la part du CIO pour les JO que de la FIFA pour la Coupe du monde. Vous écrivez que « Le CIO s’est perdu en route ». Selon vous Les instances vont à rebours des sujets de société ? On vient d’apprendre que les Jeux asiatiques auront lieu en Arabie saoudite

Cette décision est scandaleuse, elle n’a aucun sens. Ce choix a été fait par des gens qui ne se soucient absolument pas des questions environnementales ou éthiques. Il faut redonner du sens et une certaine logique à tout ça. Il faut revoir complètement le modèle et les lieux choisis car, si à chaque fois on repart de zéro pour bâtir d’immenses et coûteuses infrastructures, qui pour beaucoup ne serviront que le temps des Jeux, comme ça a été le cas à Sotchi, à Pyeongchang et à Pékin, ce n’est pas soutenable. Quand on entend les chiffres évoqués pour organiser les trois derniers JO d’hiver, on marche sur la tête. Autant à Paris en 2024, on va peut-être revenir à quelque chose de plus durable dans le sens où les travaux de rénovation, l’aménagement des transports en commun, c’est quelque chose qui servira à terme aux habitants. Et je suis heureux aussi de retrouver les prochains JO d’hiver en Europe (à Milan-Cortina en 2026), dans un pays qui a une vraie culture et une passion du ski. Ce seront mes premiers Jeux normaux si j’ose dire, comme j’aurais dû en vivre plusieurs fois dans une carrière.

Le ski n’est pas épargné par ces questions environnementales. Quelles sont les pistes pour améliorer la question de l’emprunte carbone ?

On en parlait tout à l’heure, tout est une question de gestion et de pouvoir de la part des instances comme la FIS, de droits télé, de calendrier. Là, par exemple, cette année on va aux Etats-Unis, on revient en Europe et on retourne aux Etats-Unis, c’est un non-sens. Alors qu’en maîtrisant le calendrier et les droits télé, on aurait pu organiser une seule tournée américaine et s’économiser des allers-retours inutiles et coûteux en carburant.

On vous sent véritablement impliqué sur ces questions. Vous pourriez envisager d’intégrer une instance sportive après votre carrière pour essayer de faire bouger les choses ?

Je serais toujours prêt à donner mon avis et aider mon sport, ma fédé, la fédé internationale, voire aller jusqu’au CIO, mais je ne me vois pas avoir un travail à plein temps là-dedans. Pourquoi ? Parce que je trouve que, à l’image des gouvernements d’aujourd’hui, on est dans un système rouillé où on peut difficilement peser, c’est presque impossible aujourd’hui de faire changer quoi que ce soit.