NTM« Le Monde de demain » pulse au « beat » des pionniers NTM

« Le Monde de demain » pulse au « beat » des pionniers du hip-hop français

NTM« Le Monde de demain » sur Arte.tv n’est pas qu’une série sur la genèse de NTM, elle capte l’émergence du mouvement hip-hop dans la France des années 1980

Victor Bonnel (Franck / DJ Détonateur S), Anthony Bajon (Bruno Lopes - Kool Shen) et Melvin Boomer (Didier Morville – Joey Staar) dans la série « Le Monde de demain ».
Victor Bonnel (Franck / DJ Détonateur S), Anthony Bajon (Bruno Lopes - Kool Shen) et Melvin Boomer (Didier Morville – Joey Staar) dans la série « Le Monde de demain ».  - © Jean-Claude LOTHER / Phototélé
Anne Demoulin

Anne Demoulin

L'essentiel

  • La série événement « Le Monde de demain », grand prix du festival Séries Mania est disponible ce lundi sur Arte.tv.
  • La série raconte non seulement la genèse du groupe mythique NTM, mais capte l’énergie d’un mouvement hip-hop émergent dans la France des années 1980.
  • Une minisérie époustouflante qui livre un message éminemment politique à la jeunesse d’aujourd’hui.

NTM avant NTM, et bien plus encore ! Le Monde de demain, série disponible ce lundi sur Arte.tv avant sa diffusion à l’antenne de la chaîne franco-allemande, les jeudis 20 et 27 octobre à 20h55, revient sur les origines du mouvement hip-hop en France au travers la genèse du groupe NTM, mais aussi de la danseuse et graffeuse Lady V, et du parcours du légendaire DJ pionnier Dee Nasty et de sa compagne Béatrice. Saluée par le grand prix de la compétition internationale au dernier festival Séries Mania, l’époustouflante série en 6X52 minutes, créée et réalisée par Katell Quillévéré et Hélier Cisterne, déjà à l’origine de Vandal, long métrage sur le graffiti, réussit son ambitieux pari : capter le bouillonnement de l’émergence de la culture hip-hop en France et vibrer à l’énergie de la jeunesse des années 1980. Explications.

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Une série en mode « crew »

Tout commence à San Francisco, à la fin des années 1970, Dee Nasty, de son vrai nom Daniel Bigeault (Andranic Manet), jeune DJ passionné de funk, a une épiphanie lorsqu’il découvre la culture hip-hop, avec le graffiti, la breakdance et le funk scandé à la façon de Sugarhill Gang. 1983, de retour à Paris, ce crate-diggers s’initie au scratch et au sample et tente d’imposer ce nouveau genre en France, entre émissions de radio pirates et sets dans des boîtes, soutenue par sa compagne, Béatrice, frondeuse et visionnaire.

Le fait de rentrer par ce personnage « est, pour nous, une manière d’affirmer dès le départ que ce n’est pas une série sur NTM, mais une série chorale. C’est une manière de déjouer une forme d’attente : on n’est ni en banlieue, ni en France », raconte Katell Quillévéré à 20 Minutes à Séries Mania. Et d’ajouter : « Symboliquement, Dee Nasty, est le pionnier, le passeur. C’est par lui que cette musique entre dans les oreilles de nos autres personnages et que commence la culture hip-hop en France. »

Alors que le mouvement émerge, deux potes d’une cité de Saint-Denis se lancent dans la breakdance : le discret Bruno (Anthony Bajon), au talent de footballeur, et le flambeur Didier (Melvin Boomer), élevé par un père violent. Leur but : entrer à la Grange-aux-Belles pour y défier les meilleurs, l’arrogant Solo et son crew les Paname City Breaker.

« JoeyStarr et Kool Shen ont été pionniers dans la naissance du mouvement hip-hop en France. Ce qui fait la rareté de NTM, c’est que ce sont deux garçons qui ont embrassé toute la culture hip-hop. Ils ont d’abord été danseurs, puis graffeurs, et ensuite rappeurs », explique Katell Quillévéré.

Ailleurs, dans le quartier des Olympiades dans le 13e arrondissement de Paris, Vivi (Laïka Blanc-Francard) vit seule avec sa mère, Patricia, dite Patou. En attendant de retrouver son père, Vivi tague les murs de la ville. Son blaze, Lady V. « Vivi était une pionnière dans le graffiti et dans la danse. Et puis, elle a eu cette histoire très forte avec Kool Shen, il est tombé amoureux d’elle. Sa maman, Patricia, a été très importante pour NTM, elle travaillait dans une maison de disques et leur a permis de rencontrer leur premier label », rappelle Katell Quillévéré. « La série raconte en creux ce qui s’est passé autour de la domination masculine dans le rap. Au départ, il y avait beaucoup de filles et de garçons », souligne Hélier Cisterne.

Des consultants pour la « street cred »

« On a tout lu sur l’histoire du hip-hop et vu toutes les archives possibles », annonce Katell Quillévéré. Si Le Monde de demain réussit si bien à donner l’impression d’être complètement immergé dans le bouillonnement de l’émergence de la culture hip-hop, c’est parce que « tous les personnages en vie de cette série, on les a rencontrés », poursuit la créatrice.

« La base du travail, ce sont des entretiens », renchérit Hélier Cisterne. Les matchs de foot chez la famille Lopez, l’anecdote du vase cassé… Le Monde de demain contient « énormément d’éléments réels », insiste Hélier Cisterne.

Kool Shen et JoeyStarr, DJ Détonateur S, le DJ de NTM, Dee Nasty ou encore Reak, un des danseurs de NTM, membre des Psykopat « ont été parties prenantes jusqu’au bout. Ils avaient un droit de regard, mais pas un droit de véto », ajoute Hélier Cisterne.

La série brille aussi par sa parfaite reconstition des années 1980. « On avait une exigence de climat documentaire très fort, les archives nous ont nourris, mais aussi la fiction. Nos références étaient beaucoup du côté du cinéma anglais des années 1980, les films d’Alan Clarke et les premiers Ken Loach », indique Katell Quillévéré. Le journaliste Laurent Rigoulet, chroniqueur musical à l’époque à Libé, a collaboré au projet. « Il nous a emmenés vers les radios libres, Carbonne 14, et nous a raconté l’esprit de l’époque en train de disparaître, le désenchantement après l’arrivée de Mittérand », énumère Hélier Cisterne.

Des acteurs « validés » par ceux qu’ils incarnent

Fait rare, les jeunes doubles de fiction ont été confrontés aux personnages qu’ils incarnent. « Bruno est très chill et m’a laissé beaucoup de liberté. On s’appelait une fois par semaine, il me demandait de lui raconter ma semaine, et si, dans la série, je tenais tête à JoeyStarr, C’était important pour lui », confie Anthony Bajon, l’interpète de Bruno Lopez/Kool Shen lors d’une table ronde à Séries Mania.

Le breakdancer Melvin Boomer a rencontré pour la premièe fois JoeyStarr à son domicile. « Cela a été particulier, dans le bon sens. Didier, c’est deux personnes en une, c’est JoeyStar, le personnage, et Didier, la vraie personne. Généralement, avant de voir la vraie personne, tu vois le personnage, haut en couleurs », analyse-t-il. Et de poursuivre : « Il m’a montré des facettes de lui qui m’ont surpris. Entre mecs du hip-hop, on s’est captés. Le moment où il m’a validé, je lui montrais une vidéo de moi où je breake à même la dalle, pieds nus. Et il m’a dit : “ça, c’est hip-hop”. »

« J’ai eu la chance de rencontrer Dee Nasty. Il m’a appris à mixer. On a eu des sessions avec Victor [Bonnel qui incarne Franck/DJ Détonateur S] On avait tous les deux jamais fait de deejing », raconte de son côté Andranic Manet.

Une école du hip-hop

« Il n’y a pas beaucoup de rôles qui demandent une préparation aussi intense. Ils ont passé quatre mois avec des cours de sport, du coaching de jeu, de rap, de deejing. Andranic a passé six mois avec des platines chez lui à apprendre à mixer. Ils sont entrés dans la pratique hip-hop. C’était une sorte d’école pour atteindre ce niveau et être crédible », souligne Katell Quillévéré.

Mathias Rassin et Niko Noki des PCB (Paris City Breakers) ont travaillé sur les chorégraphies. « Niko Noki des PCB nous a raconté comment était les battles, qui étaient les personnages des crews, quelles étaient leurs spécificités dans la danse, ce qu’il savaient faire à quelle époque », poursuit la créatrice.

Le tracé d’une bombe de peinture sur un mur, les mouvements d’épaule savamment déstructurés des breakdanseurs, le doigté précis et délicat du scratcheur sur la platine… Si Le Monde de demain capte si brillamment la naissance et l’essence du hip-hop, c’est parce que la caméra s’attache à montrer les gestes. « Avec le graffeur Bando, un personnage qui apparait dans l’épisode 3, on a reconstitué à l’identique les graffitis de l’époque avec lui. On a formé l’acteur qui l’incarne avec lui pour qu’il trouve son style. On a été loin dans la précision des gestes », raconte Katell Quillévéré.

Du rap politique

Au-delà d’une « histoire de la musique en France qui n’a pas été racontée, ce sujet nous permet de parler de questions sociales et politiques. Le hip-hop est un mouvement inventé par une jeunesse issue de l’immigration, qui vivaient dans des quartiers difficiles, et qui n’avait rien, et qui a tout inventé avec rien », se réjouit Katell Quillévéré.


Il est triste de constater que les problématiques mises à l’honneur par NTM comme « les questions de racisme, de violences policières, et plein de choses que subissait cette jeunesse » sont toujours d’actualité. « ça n’a pas bougé », déplore Katell Quillévéré. A la manière d’une boucle, bien triste sample, « Le Monde de demain est encore le monde d’hier », constate Hélier Cisterne. Pas de quoi déprimer la jeunesse d’aujourd’hui pour autant : « Ce qui m’a marqué, c’est leur volonté de s’en sortir, d’avoir des combats, des revendications, de les assumer et de les défendre », conclut Victor Bonnel, l’interprète de DJ Détonateur S.