INTERVIEWGringe, quand déstigmatiser la schizophrénie devient une mission

Santé mentale : « C’est important à mon petit niveau, de me faire le relais de ces sujets-là », estime Gringe

INTERVIEWDeux ans après la sortie du livre dans lequel il raconte l’histoire de son frère, atteint de schizophrénie, Gringe continue de se battre pour déstigmatiser les maladies mentales
Santé mentale : Gringe veut « rendre un maximum de gens curieux autour des ces sujets »
Lise Abou Mansour

Lise Abou Mansour

L'essentiel

  • Deux ans après la sortie d’Ensemble on aboie en silence (Edition HarperCollins), le livre qu’il a écrit sur la schizophrénie dont souffre son petit frère, Gringe se livre sur son combat pour déstigmatiser les maladies mentales.
  • « J’aurais trouvé ça un peu égoïste de m’arrêter à mon bouquin avec mon frère », confie le rappeur.
  • Ateliers d’écriture, engagement auprès d’associations d’aide aux personnes atteintes de troubles psy, prise de parole dans les médias, … Gringe veut désormais accomplir « des actions concrètes ».

Depuis la sortie en 2020 d’Ensemble on aboie en silence, son livre sur la schizophrénie dont souffre son petit frère, le rappeur Gringe profite de toutes les occasions pour libérer la parole sur la maladie mentale. Longtemps connu pour le binôme Casseurs Flowters qu’il forme avec Orelsan, l’artiste vient de préfacer le recueil de nouvelles Un peu, beaucoup… à la folie (Edition HarpersCollins) dont les bénéfices reviendront à l’Unafam, l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques.

20 Minutes a rencontré le rappeur à l’occasion du Festival Pop & Psy qui s’est tenu du 7 au 9 octobre à Paris. Juste avant de monter sur scène pour parler du rôle des proches dans les troubles psy face à un public venu en nombre, il a évoqué avec nous son combat pour déstigmatiser les pathologies mentales.

En 2020, tu as publié un livre avec ton frère pour parler de sa schizophrénie. Est-ce que ce processus d’écriture en duo t’a aidé à mieux comprendre sa maladie ?

Oui, les éléments qu’il me filait et les bouts de textes qu’il acceptait de me partager m’ont permis d’appréhender un peu mieux sa schizophrénie. Je ne suis toujours pas expert sur la question mais ça m’a permis de mieux comprendre comment il pouvait vivre avec, de mieux comprendre son rythme, comment ça pouvait l’impacter et à quel moment de la journée c’était le plus fatigant pour lui de vivre avec ses symptômes. Et ça m’a aussi permis de mieux me situer et de trouver la bonne distance quand on est ensemble.

Quelles conséquences la sortie de ce livre a-t-elle eues sur ton frère mais aussi sur toi ?

Ça a donné à mon frangin un regain de motivation. D’un seul coup, les personnes qui s’intéressaient davantage à l’objet littéraire qu’au témoignage de mon frère lui disaient qu’il avait des qualités d’écriture. Et ça, forcément, c’était quelque chose de valorisant et ça l’a énormément boosté. Ça lui a même donné, à un moment, l’envie de reprendre la plume. Plus je lui faisais remonter de témoignages et de messages qui lui étaient adressés, de remerciements, de félicitations pour son courage et son implication, plus il prenait conscience du fait que ça dépassait le cadre de notre histoire. Une fois le bouquin sorti, il s’est rendu compte de l’importance d’un témoignage comme le sien pour libérer la parole autour de ce sujet-là. C’est une petite pierre apportée à l’édifice.

Malheureusement, l’aspect un peu plus négatif, c’est que les gens qui vivent avec une schizophrénie, c’est toujours fluctuant. Les moments d’euphorie, d’enthousiasme, peuvent très vite retomber comme des soufflés. Si on n’installe rien derrière, qu’on n’essaie pas de rendre pérenne le travail de déstigmatisation ou le travail littéraire, ça peut vite retomber.

Justement, est-ce que c’est pour ça qu’après la sortie du livre, tu as eu envie de passer à l’action, d’en faire davantage pour déstigmatiser les maladies mentales ?

Oui, c’est hyper important. J’aurais trouvé ça un peu égoïste de m’arrêter à mon bouquin avec mon frère, de déballer quelques pans de nos vies dans un souci de réparation un peu personnel. Parce que c’est très égoïste, au début, le travail d’écriture. C’est coller des pansements pour soi d’abord et pour nous, mon petit frère et ma famille. Mais dans le giron du bouquin, c’est important de concrétiser ça, sinon c’est trop égoïste.

Aujourd’hui, par exemple, tu fais des ateliers d’écriture avec des gens qui souffrent d’un trouble psychique. Peux-tu nous expliquer en quoi ça consiste exactement ?

J’ai fait des ateliers d’écriture dans le cadre de la sortie du bouquin. Je suis allé à la rencontre de plein de gens et j’ai pu encadrer des groupes de personnes victimes de troubles psy divers et variés. Il y avait des autistes et des gens bipolaires, par exemple. Le but c’est d’écouter, d’échanger et puis d’essayer de fabriquer quelque chose à partir de l’instant, quelque chose qu’on peut garder en souvenir. Je ne voulais pas arriver comme un prof d’école qui va donner un cours d’écriture. Ça n’a aucun sens pour moi de faire ça. L’idée c’est d’être dans la rencontre et de s’adapter en fonction de la sensibilité des uns et des autres.

J’ai aussi envie de trouver un endroit où mon frère pourrait échanger, partager ses photos, venir discuter de son travail artistique, littéraire et photographique. Et j’aimerais faire encore plus d’actions concrètes. Participer à des cercles de discussion, par exemple, et puis prendre la parole dans les médias quand je le peux. C’est important, à mon petit niveau, de me faire le relais de ces sujets-là.

Tu parraines aussi l’association La Maison Perchée. Est-ce que tu peux nous en parler un peu ?

Oui, j’ai eu cette chance de rencontrer les gens de La Maison Perchée avant même le travail d’écriture du livre. Ils m’ont proposé un rôle de parrain un peu symbolique au début. La Maison Perchée, c’est une structure qui gagne à être connue et qui, je pense, va faire des petits dans les années à venir. C’est une structure non médicalisée qui propose un accompagnement thérapeutique et pratique à des gens victimes de troubles psy. Ce sont des gens formés à la pair-aidance [N.D.L.R. : des personnes s’investissant dans l’entraide après un parcours personnel qui leur a permis de se rétablir] et dont certains vivent avec un trouble psy. Donc ils savent exactement de quoi ils parlent.

Parce que quand se déclenche le premier épisode psy, ça peut être à la maison ou à l’école, on peut se retrouver démuni à quinze balais et n’avoir personne vers qui se tourner. On va subir ces épisodes qui vont se répéter et on peut se retrouver complètement dans la merde. Entre l’endroit où se déclenche le premier épisode et l’HP, il existe maintenant des structures comme La Maison Perchée ou le Clubhouse. Ce sont des choses qui n’existaient pas il y a dix ou quinze piges. C’est hyper important.

Les initiatives se développent mais les maladies mentales sont encore très stigmatisées aujourd’hui. Un changement est-il en train de s’opérer selon toi ?

Moi, je vois les choses bouger. Un festival comme celui d’aujourd’hui, c’est un indicateur des mentalités qui bougent. Même si c’est tout récent. Ça fait deux ou trois piges que je vois sur les réseaux sociaux et à travers certains médias que ces sujets-là sont de plus en plus mis au centre du débat. C’est quand même des questions de santé publique qui touchent tout le monde. On en parle de plus en plus, donc c’est super. Après, mon regard est peut-être biaisé parce que je suis beaucoup plus impliqué qu’il y a quelques années, mais j’ai le sentiment que les mentalités bougent un peu. Maintenant, il faut continuer.

On file aussi beaucoup plus qu’avant la parole à des gens directement concernés. Avant, c’était surtout des tiers et des médecins qui s’exprimaient, alors qu’il y a des gens qui sont en capacité de prendre la parole. Moi, par exemple, quand il s’agit de parler de schizophrénie, je laisse mon petit frère s’exprimer. Pas question de prendre la parole aux gens qui souffrent. Ce n’est pas ça la démarche. La démarche, c’est de faire circuler la parole, de la démocratiser le plus possible pour rendre un maximum de gens curieux de ces sujets.


Un peu, beaucoup… à la folie (Editions HarpersCollins), 5 euros, reversés à l’Unafam