FOOTBALLSacré Ballon d’or 2022, Karim Benzema, une revanche qui vient de loin

Ballon d’or 2022 : Karim Benzema roi du monde, un rêve qui revient de loin

FOOTBALLComme pressenti depuis des mois, Benzema a remporté le Ballon d’Or à une écrasante majorité, devenant le premier joueur français couronné depuis Zinédine Zidane en 1998
Zinédine Zidane a lui-même remis le Ballon d'or à son successeur Karim Benzema, 24 ans après.
Zinédine Zidane a lui-même remis le Ballon d'or à son successeur Karim Benzema, 24 ans après.  - Franck Fife / AFP
Julien Laloye

Julien Laloye

Au théâtre du Châtelet,

Et le mème est devenu réalité. Zinédine Zidane, dernier mythe français pour l’éternité, qui remet le Ballon d'or 2022 à son disciple Jedi, Karim Benzema. On a beau l’avoir vu venir, « c’est les émotions », comme dirait le magicien chauve. C’est que le double ZZ a surjoué le suspense en plus, prenant le temps de décachetonner l’enveloppe pendant d’interminables secondes : « Je suis ravi, il est pour toi Karim ». L’accolade est discrète, toute en retenue, mais les deux ont le temps de repenser à ces séances en duo, quand tout le reste de l’effectif madrilène partait en goguette lors des trêves internationales. « J’ai un modèle, c’est Zizou, et il m’a toujours donné beaucoup de confiance dans ces moments difficiles, lâche le nouveau lauréat, maître de ses émotions malgré la folie douce de son clan. C’est lui qui me disait de m’accrocher, de garder ce rêve en tête ».

Un passage de témoin émouvant avec Zidane

L’accomplissement de ce rêve, ce Ballon d'or tant désiré, n’aura pas toujours occupé ses nuits avec la même puissance. Quand il a surgi comme une comète dans la meilleure équipe française des années 2000, tout semblait à portée de l’immense talent du gamin de Bron-Terraillon. Le temps de déployer sa grande carcasse un peu gauche, il « avait mangé » tous ses potes de promo, parole de Philippe Bergeroo, son sélectionneur chez les jeunes. Nasri sera le seul à s’accrocher, un temps. Aujourd’hui, l’ancien milieu de terrain des Bleus, loin de son poids de forme, commente les exploits de l’attaquant madrilène lors des grandes soirées Canal, et cela dit la longévité exceptionnelle de Benzema, bientôt 35 ans et plus vieux vainqueur du Ballon d'or depuis 70 ans.

Quand a-t-il pensé pour la première fois qu’il pouvait gagner le Ballon d’or, habité par la conviction souterraine d’un grand destin ? Sans doute pas en 2006, quand il osait en parler publiquement dans le JDD : « ce trophée, j’en rêve ». Cette année-là, le jeune homme d’à peine 19 ans, vient d’être récompensé du prix Convergences, qui encourage la promotion des personnalités issues de l’immigration maghrébine.

« Merci au président, mais ça reste du sport »

Seize ans plus tard, sa consécration rassure la France avec l’idée qu’elle se fait d’elle-même : une terre d’opportunités pour ceux qui savent turbiner dans leur coin et grimper l’ascenseur social par l’escalier, malgré quelques égarements en chemin. Ces amitiés d’enfance encombrantes, une attitude bravache pas toujours compréhensible, notamment cette interview dans la presse espagnole avant l’Euro 2016 qui l’a brouillé avec Deschamps et les Bleus pour des années. La « partie raciste » de la France, si elle existe, s’en était donné à cœur joie. Les hommes politiques eux-mêmes se faisaient mousser à peu de frais sur le dos du joueur, empêtré dans l’affaire Valbuena après avoir déjà été associé au scabreux dossier Zahia. Avec Benzema, les ragots dépassaient souvent les circonstances.

Mais le cinquième lauréat tricolore du Ballon d'or, après Kopa, Platini, Papin et qui vous savez, n’a jamais dévié de sa ligne de conduite. Les félicitations d’Emmanuel Macron ? Elles n’ont pas le goût de revanche, assure-t-il :

« Merci au président, ça fait plaisir. Mais quand je joue au foot, je ne joue pas pour plaire à un tel ou un tel. Ça reste du sport, c’est un spectacle, ce que je sais c’est que les gens sont fiers de moi, c’est pour ça que j’ai dit que c’était le Ballon d'or du peuple. Rien de politique là-dedans, ce jour il est pour les fans qui m’ont toujours poussé et qui sont fiers de moi ». »



Les fans et toute la maison madrilène, qui avait fait le déplacement en nombre, papa Florentino en tête. « Il m’a toujours dit que je le gagnerais un jour, il sait le respect que j’ai pour lui ». Là-bas, le bonhomme s’est fait sa place dans un des vestiaires les plus durs d’Europe. Jamais un mot plus haut que l’autre, bien au chaud dans son costume de serviteur de Ronaldo. De cette amitié prolifique née sur les terrains espagnols, reste le respect éternel de CR7 pour son partenaire de surface préféré, même si on a longtemps espéré la présence du Portugais ce lundi soir dans une forme d’hommage, en vain.

Reste, aussi, peut-être, l’idée d’un malentendu. Celui d’un « KB9 » corseté, presque empêché par la voracité du Portugais. Le discours est un peu simpliste. Si Benzema a attendu le crépuscule de sa majestueuse trajectoire pour succéder à Zizou, c’est d’abord parce qu’il a bossé comme un âne et sans cesse cherché à améliorer ses relatifs points faibles. « Je n’avais pas la même ambition à 21 ans ou à 22 ans qu’à 30 ans ».

Une progression constante avec et sans CR7

D’abord attaquant fin et élancé, comme le R9 des débuts, une autre idole, il a ajouté le pied gauche, le jeu de tête, l’attitude au pressing, et même la remise en pivot, bien aidé par une transformation physique déconcertante : le Benzema pataud des premières années madrilènes ressemble à un combattant de MMA prêt à monter dans la cage contre Francis Ngannou. Un compliment comme un autre de Gorka Estuendo, joueur de la Real Sociedad : « Avec lui, les joueurs défensifs se retrouvent souvent seuls, sans adversaire à marquer. On se demande : "Mais il est où Karim ?". Et on le voit alors se déplacer de partout, au milieu, sur le côté (…) Sa capacité à éviter ses adversaires fait de lui un joueur différent, un numéro 9 atypique. Et puis quand il faut conclure devant le but, il est létal ».

Karim Benzema buteur, une qualité qu’on lui a parfois déniée, lui le premier, toujours plus intéressée par le sort du collectif que par sa feuille de stats. Pour remporter ce Ballon d’or, il a fallu néanmoins se hisser à la hauteur des standards imposés par le duo d’artistes NBA Messi et Cristiano pour au moins 20 piges, s’agissant des attaquants. Soit 40 buts minimum et un trophée majeur en plus dans la besace pour améliorer l’ordinaire, dans les nouvelles règles comme les anciennes.

Ce sacre de KB « nueve » est d’autant plus logique que le Français a eu le bon goût d’y ajouter un critère non réclamé, le bonus épopoée légendaire en C1. Dix buts à partir de la 60e minute du match retour contre le PSG, dans un déchaînement de violence inédit en Ligue des champions, même sous le régime despotique du duo Messi-Ronaldo.

Une phase finale de C1 inoubliable

Paul Tchoukriel, le commentateur des arabesques de Benzema sur Canal, en a encore des frissons : « Mon souvenir le plus marquant de sa saison, c’est son troisième but contre Paris. C’est celui qui symbolise le plus le parcours des Madrilènes. C’est un but instinctif, alors que le Real est dans une sorte de moment de transe. Il vient de marquer le deuxième, et le diable sort de sa boîte en frappant de l’extérieur du pied droit pour marquer. Il aurait pu tenter n’importe quel geste, ça serait rentré. Il était tellement irrésistible qu’il pouvait faire n’importe quoi, c’était sûr que ça allait au fond. »

Un état de grâce que l’on devine impossible à reproduire encore longtemps : le Benzema de cette saison est redevenu nettement plus humain, pour l’instant, même si son but dimanche lors du clasico a rappelé que les rebonds peuvent encore lui sourire. Déjà adoubé par tous les Français qui aiment le foot, et sans doute par quelques autres, Karim n’est pas tout à fait Zinédine, c’est entendu. Mais il a encore une Coupe du monde pour laisser une trace internationale à la hauteur de son immense palmarès en club et nourrir le débat. « J’ai beaucoup de confiance en moi, je veux jouer cette Coupe du monde pour la gagner ». On ne demande qu’à en discuter autour des cadeaux de noël.