AUTOMOBILEVa-t-on vite manquer de lithium avec le boom de la voiture électrique ?

Mondial de l'automobile : Va-t-on très vite manquer de lithium avec le boom de l’électrique ?

AUTOMOBILEC’est la crainte du Boston Consulting Group, qui s’attend à ce que l’offre de lithium, indispensable dans les batteries, ne suive plus la demande de l’industrie automobile dès 2030. Pourtant, le lithium n’est pas rare dans nos sols. Alors pourquoi ?
Photo prise le 12 mars 2021 dans une usine de fabrication de batteries au lithium pour les voitures électriques et d'autres usages à Nanjing en Chine.
Photo prise le 12 mars 2021 dans une usine de fabrication de batteries au lithium pour les voitures électriques et d'autres usages à Nanjing en Chine. - (Photo by AFP) / China OUT / AFP
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • L’une des questions que pose la transition vers la voiture électrique est celle du lithium, un métal clé dans le fonctionnement des batteries et dont la demande explose aujourd’hui, au point que le Boston Consulting Group craint de possibles pénuries à partir de 2030.
  • Pourtant, parmi les métaux dits stratégiques pour la transition énergétique, le lithium est l’un des moins critiques. Les réserves sont importantes, y compris en Europe. Mais les projets d’exploitation se confrontent bien souvent aux contestations locales.
  • Mais ces oppositions peuvent aussi être un atout pour pousser les projets d’extraction du lithium à adopter les standards sociaux et environnementaux les plus élevés possibles. C’est l’autre enjeu du lithium : en produire plus, certes, mais aussi plus proprement.

A l’image de la nouvelle 4L électrique dévoilée par Renault (un SUV !), présentée comme l’une des attractions phares, le Mondial de l’auto, qui se tient cette semaine à Paris, acte un peu plus encore le virage pris par l’industrie automobile vers l’électrique.

Cette transition est même plus rapide que ce que l’on aurait pu imaginer l’an dernier. Au point de pousser le Boston Consulting Group (BCG) à revoir ses projections. « La voiture 100 % électrique avec batterie sera le type de véhicule léger le plus vendu dans le monde en 2028, trois ans plus tôt que prévu, souligne désormais le cabinet de conseil en stratégie. Elles représenteront 59 % des ventes en 2035, et non 45 % comme précédemment estimé ».

« Cela dit tout de l’ampleur de la tâche qui attend l’industrie automobile. Elle devra transiter vers ce nouveau monde dans un temps très court et en étant immédiatement mature », pointe Mikaël Le Mouëllic, directeur associé au BCG.


Vue aérienne de l'usine de traitement de la mine de lithium, à Del Carmen Salt Flat, dans le désert d'Atacama, au nord du Chili le 26 décembre 2016.
Vue aérienne de l'usine de traitement de la mine de lithium, à Del Carmen Salt Flat, dans le désert d'Atacama, au nord du Chili le 26 décembre 2016. - Photo by HO / SQM / AFP

Après les semi-conducteurs, une pénurie de lithium ?

Ce défi vaut pour les constructeurs, mais aussi pour toutes les industries parallèles qui l’approvisionnent. Il y a déjà eu des crises. Celle notamment sur les semi-conducteurs, toujours en cours. En 2030, cette pénurie devrait être un lointain souvenir, estime le BCG. Mais une autre pourrait frapper de plein fouet à cette date : celle de lithium. Le métal est un autre élément clé d’une voiture électrique, de sa batterie plus précisément. « En termes de capacité de stockage, de rendement, les batteries au lithium sont la solution la plus efficace sur le marché, et sans doute pour longtemps », précise Emmanuel Hache, économiste spécialiste des matières premières à l’IFP Energies nouvelles (IFPEN).

Et ce n’est pas seulement vrai pour nos voitures. « Le lithium est un élément clé dans tout appareil qui nécessite de stocker de l’énergie, du smartphone aux ordinateurs portables », rappelle Cécilia Mattéa, chargée du dossier « véhicules propres » au sein de l’ONG Transport & Environment (T & E).

« Mais c’est bien l’industrie automobile qui fait exploser la demande, d’autant plus fortement que la transition vers l’électrique se fait à un rythme plus soutenu que prévu », reprend Mikaël Le Mouëllic. Au point que le lithium pourrait très vite manquer. En 2030, l’offre devrait être inférieure d’environ 4 % à la demande attendue, et de 24 % d’ici à 2035, anticipe le BCG, ce qui pourrait ralentir la transition énergétique.

Pas le plus critique des métaux stratégiques… sauf à court terme ?

Pourtant, le lithium n’est pas le plus critique des métaux dits « rares » ou stratégiques, car présents en faible quantité et/ou mal répartis sur Terre. « Vous avez des réserves aux Etats-Unis, en Amérique Latine, dans ce qu’on appelle le triangle du lithium – Chili-Bolivie-Argentine –, au Zimbabwe, en Australie (premier producteur mondial), en Chine, en Europe… », liste Emmanuel Hache, pas si inquiet du coup qu’on puisse manquer de lithium « à horizon 2050 ».

Le risque de pénurie se pose bien plus d’ici à 2030. Emmanuel Hache et Mikaël Le Mouëllic l’expliquent par un manque d’investissements dans des nouvelles chaînes de production ces dix dernières années. « Encore une fois, peu de monde avait anticipé cet essor aussi rapide du véhicule électrique, et il y avait ce risque d’investir lourdement dans une technologie qui aurait pu être rapidement dépassée », rappelle le directeur associé du BCG. Résultat : « Cinq entreprises se partagent 90 % du marché, reprend l’économiste de l’IFPEN. Deux Chinoises, deux Américaines et une Chilienne. » Non seulement leur production risque très vite de ne plus suffire, mais cette concentration dans les mains de quelques acteurs met aussi l’industrie automobile dans une situation de dépendance inconfortable.

Des pistes pour réduire les impacts de l’extraction de lithium…

Il y a un véritable enjeu à développer de nouvelles filières du lithium soutenables et géostratégiques – de l’extraction au raffinage – là où il n’y en a pas à ce jour, estime alors Mikaël Le Mouëllic. Y compris en Europe ? Ces dernières années, plusieurs projets de gisements de lithium se sont confrontés à de fortes oppositions locales. De la région de Loznica, en Serbie, à Tréguenncec, dans le sud Finistère, en passant par Barroso, dans le nord du Portugal ou la région Estramadure en Espagne.

De ce problème d’acceptabilité sociale en Europe, il est possible d’en faire un atout, glisse Cécilia Mattéa… En poussant les entreprises minières à adopter les meilleurs standards sociaux et environnementaux possibles. La responsable « véhichules propres » de T & E prend l’exemple de la compagnie Infinity Lithium dans l’Estramadure qui, face à aux contestations locales, « a revu sa copie, passant d’un projet de mine à ciel ouvert à un projet souterrain, ce qui réduit déjà son emprise au sol et ses impacts sur la biodiversité. »


Des manifestants s'opposent au projet de mine d'extraction de lithium à Treguennec, dans le Finistère, le 26 février 2022.
Des manifestants s'opposent au projet de mine d'extraction de lithium à Treguennec, dans le Finistère, le 26 février 2022.  - FRED TANNEAU / AFP)

C’est en tout cas un autre enjeu clé du lithium : le sortir le plus proprement possible. Les marges de progressions sont importantes. Pour l’extraction de lithium à partir de saumures pompées dans les lacs salés, comme c’est le cas en Amérique du Sud, Cécilia Mattéa évoque la « DLE » pour « direct lithium extraction ». « Cette technique, en cours de développement, permet d’améliorer nettement le taux de récupération de lithium par volume d’eau traité, soit de produire plus en utilisant moins d’eau, [ressource rare dans la région] », illustre-t-elle.

Moins de crispations sur le lithium géothermique ?

Autre piste intéressante : le lithium géothermique. Les centrales géothermiques produisent de la chaleur en transformant l’eau contenue dans les nappes souterraines en vapeur. L’idée est de profiter de cette eau remontée des profondeurs pour en récupérer le lithium, avant de la réinjecter dans le sol. Une façon de faire d’une pierre deux coups et à moindre coût environnemental. « Et le problème de l’acceptabilité sociale se pose moins, puisque la centrale géothermique existe déjà », note au passage Emmanuel Hache.

La preuve : des unités pilotes de production de lithium géothermique ont déjà vu le jour en Europe, notamment en Alsace, avec le groupe minier français Eramet. Ce lithium géothermique ne devrait que subvenir qu’à quelques pourcents de la demande en lithium. « Pas grave, c’est déjà une façon de nous faire prendre conscience à nous, Européens, de la richesse de notre sous-sol et qu’il nous faudra sans doute le (ré) exploiter, certes le plus proprement possible », estime Emmanuel Hache qui en fait l’un des enjeux clés de la transition énergétique.

Et le recyclage alors ?

C’est un élément primordial de l’équation lithium qu’invitent à ne pas négliger tant Mikaël Le Mouëllic qu’Emmanuel Hace ou Cécilia Mattéa. C’est peut-être même le premier enjeu pour cette dernière : développer une véritable filière du recyclage des batteries dans l’Union européenne. « Des usines de recyclage existent déjà, mais il faut s’assurer qu’elles recyclent justement au plus haut niveau possible, jusqu’à récupérer 90 % du lithium dans les batteries », illustre Cécilia Mattéa. Le hic est que cette filière du recyclage ne pourra pas tout de suite fonctionner à pleine puissance. « La durée de vie d’une batterie est de huit à dix ans, si bien que les premiers gros volumes de batteries à recycler n’arriveront pas avant la fin des années 2020 », explique Mikaël Le Mouëllic.

Mais tout ne dépend pas des batteries de nos automobiles. « Pour beaucoup, nous gardons des appareils électroniques hors d’usage dans nos tiroirs, rappelle Cécilia Mattéa. Eux aussi contiennent bien souvent du lithium, du cobalt et d’autres métaux stratégiques qu’on aurait tout intérêt à recycler. »