REPORTAGELe Cours Julien est-il vraiment un des quartiers « les plus cool du monde » ?

Marseille : Le cours Julien mérite-t-il d’être dans le top 10 des quartiers « les plus cool du monde » ?

REPORTAGEOn a demandé aux Marseillais ce qu’ils pensaient du quartier du cours Julien, que le magazine américain « TimeOut » a placé comme le dixième « le plus cool » au monde. Rien que ça
Les fameux escaliers menant au cours Ju, à Marseille
Les fameux escaliers menant au cours Ju, à Marseille - Alexandre Vella / 20 Minutes
Alexandre Vella

Alexandre Vella

L'essentiel

  • Le magazine américain TimeOut a élu le cours Julien, comme « le dixième quartier le plus cool au monde ».
  • On a demandé aux Marseillais ce qu’ils en pensaient.

Les Marseillais ne diront pas le contraire. « Marseille, c’est la plus belle ville du monde. Il n’y en a pas deux comme ça, au monde », chantait d’ailleurs Massilia Sound System, un des groupes iconiques de la cité phocéenne des années 1990/2000 qui a fait ses débuts sur le cours Ju. Après le magazine Time qui a classé cet été la ville comme « un des cinquante endroits les plus beaux du monde », son cousin le TimeOut a élu l’un de ses quartiers, le cours Ju, comme « le dixième quartier le plus cool au monde ». Rien que ça. Et cerise sur le gâteau, il figure loin devant le second quartier français classé, celui du Marais, à Paris, positionné 44e.



Ce quartier du centre-ville, passerelle entre la Plaine et Noailles et desservi par un arrêt de métro (ce qui est assez rare pour être souligné ici), propose « une offre culturelle sympa » dans laquelle se retrouve Julien. Ce fonctionnaire quarantenaire, habitant le quartier depuis 20 ans, bouquine Caché dans la maison des fous à la terrasse d’un café ombragé par les nombreux tilleuls, cyprès et oliviers de la place (autres denrées rares à Marseille pour être soulignée). Entre les disquaires et les maisons d’éditions, les nombreuses salles de concerts de toutes envergures témoignent de cette dynamique culturelle : du confidentiel Dar lamifa, en descendant rue d’Aubagne, en passant par Le Molotov une des locomotives du quartier, jusqu’à l’Espace Julien, une des « grosses » salles institutionnelles de la ville. Un quartier définitivement « créatif » comme l’attestent les fresques de street art couvrant les murs des commerces et des ruelles, largement piétonnes (une autre rareté à Marseille) montant vers la Plaine, autre lieu phare des nuits marseillaises. En somme, « une ambiance colorée et animée », résume Patricia, qui a répondu à notre appel à témoignages diffusé précédemment.

Que des commerces authentiques

« Un foyer créatif couvert de petits commerces, de salles de concert, de friperies vintage, de bouquins d’occasion et d’anciens entrepôts reconvertis en galeries d’arts », avait décrit l’autrice de TimeOut qui laisse d’autres Marseillais plus circonspects. « Si des Américains classent ça comme cool, c’est qu’ils peuvent y faire du tourisme », tacle Ludo, un réparateur de vélo. « Les Parisiens disent que ça ressemble à leur 10e arrondissement, mais moi, je ne sais pas, j’ai jamais été là-bas », ajoute Seb, son collègue auteur de BD avec qui il partage la pause dej'. « Et ça veut dire quoi cool en fait ? Cool pour qui ? », philosophe Julien. « Il y a ici un brassage de population qui me plaît bien. Il devient peut-être de moins en moins évident car ce quartier attire. Un quartier chouette est toujours sur la brèche. Soit ça se paupérise, soit ça se gentrifie et s’aseptise », poursuit-il.

Pour l’heure, le quartier reste largement multiculturel où un restaurant brésilien peut côtoyer un indien, un tunisien ou une boutique d’optique au style post-industriel avec des sièges à base d’assise de scooter. Ici, pas de chaînes, que des commerces authentiques, du coiffeur baptisé « Rive gauche » aux boutiques de vêtements. Un lieu que Sofiane* et Youssef*, deux médiateurs sociaux pour une association assignés à ce secteur depuis une semaine découvrent. Marseillais pur jus, ils n’étaient jusqu’alors jamais descendus si loin de leur cité du 15e arrondissement, située au Nord de la ville. « C’est tagué de partout, je crois que c’est ça qui plaît. Enfin je trouve ça super sympa, c’est convivial, il y a plein de restaurants », commente l’un. « Si demain on me propose un logement ici, je prends direct », ajoute son collègue. « C’est tranquille ici, et tu t’en rends compte en voyant ces beaux vélos attachés juste au cadre. Tu fais ça à Joliette, tu reviens, il te reste une roue. Il y a même des containers à ordures enterrés, ce n’est pas partout ça », admirent-ils, avant de nuancer : « Enfin il y a quand même des points noirs. »

« Tout le monde veut trouver le nouveau Berlin »

Des points noirs que de nombreux internautes ont tenus à mentionner. « Le cours Ju, c’est juste Estienne-d’Orves avec plus de grafs et de cassos », raille Michael. « Une vraie âme émane de cette place, entre art de rue, liberté d’expression et activisme, c’est un endroit très sympa. Mais quand les bars ferment après une heure ou deux, le quartier peut devenir dangereux », note Thomas. Une fréquentation aux heures avancées de la nuit régulièrement pointée comme problématique, en sus de la saleté, dans les témoignages reçus.

« Le cours Ju, c’est unique », définit un jeune Américano-italien qui a grandi à Paris, « musicien et poète » échoué ici, où sa sœur s’est installée, après quelques années de voyages. « Tout le monde veut trouver le nouveau Berlin », estime-t-il. Et à ce titre, il semblerait que Marseille tienne la corde ces temps-ci, tant la ville attire actuellement de jeunes créatifs de tous horizons.

Mais comme tous les endroits jugés « cool », ils cessent, en un sens, de l’être sitôt qu’ils sont identifiés, victime de leur attractivité trop prompte à les transformer, les « muséifier ». En Europe les exemples sont légion. De Christiana au Danemark, au Camden de Londres, en passant par le Kreuzberg de Berlin. Et si le Cour Ju connaissait le même destin, ce serait déjà, peut-être, une réussite.

*Leurs prénoms ont été modifiés vis-à-vis de leur employeur.