FOOTBALLComment les coachs encaissent-ils les victoires de leur ancienne équipe ?

Ligue 1 : Souffrance, frustration, remords... Comment les coachs encaissent-ils les victoires de leur ancienne équipe ?

FOOTBALLPartir d'une équipe en mauvaise position et la voir, plus comme simple spectateur, performer comme jamais, peut-il « tuer » un entraîneur ?
Christophe Pélissier, l'ancien coach de Lorient, voit son ex-équipe être sur le podium de Ligue 1.
Christophe Pélissier, l'ancien coach de Lorient, voit son ex-équipe être sur le podium de Ligue 1. - Loic Venance / AFP
Antoine Huot de Saint Albin

Antoine Huot de Saint Albin

L'essentiel

  • Cinq entraîneurs de L1 ont déjà été remerciés cette saison, après cinq journées.
  • Si leurs successeurs réussissent là où eux ont, partiellement, échoué, comment vivent-ils cela ?
  • « Quand on dit que le travail est bien fait actuellement à Lorient, ça ne veut pas dire qu’il était mal fait avant, sous ma direction », explique, par exemple, Christophe Pélissier, ancien coach du FCL.

Pour Halloween, ils n’auront pas peur. Même devant un mannequin déguisé en mort-vivant qui sonne à 2 heures du matin. Promis, les présidents de Ligue 1 ne broncheront pas. Par contre, si vous évoquez les quatre descentes en L2 à la fin de la saison, vous obtiendrez gain de cause. Ça poussera des cris d’orfraie et provoquera des réactions incontrôlées en chaîne.

Michel Der Zakarian (Brest), Olivier Dall’Oglio (Montpellier), Jean-Marc Furlan (Auxerre) et Oscar Garcia (Reims) ont ainsi pris la porte, alors que leur club commençait tout doucement à se rapprocher de la faucheuse. Peter Bosz (Lyon) a, lui aussi, été renvoyé dans ses pénates parce que le grand méchant loup Jean-Michel Aulas flippait de voir son club encore loin de ses objectifs européens. Tous ces entraîneurs observeront les aventures de leur désormais ex-club de loin. Avec le « risque » de voir que, sans eux, ça fonctionne bien mieux.

« Cela peut-être une souffrance »

Oui, car derrière un club qui redresse la barre après un changement d’entraîneur, il y a le cœur d’un coach, de retour chez lui, qui peut saigner. « Quand t’as entraîné quelque part, c’est un engagement fort, comme une histoire d’amour, estime Frédéric Hantz, passé par Le Mans, Bastia ou Metz. Tu mets beaucoup de choses de toi-même, tu fais beaucoup de sacrifices, tu t’investis complètement. Alors, ça peut-être au début une souffrance, surtout si l’équipe réussit derrière. »

Et, s’il y a bien une équipe qui réussit actuellement en Ligue 1, en dehors du PSG, c’est Lorient. Alors qu’ils jouaient le maintien les précédentes saisons avec Christophe Pélissier, les Merlus sont, avec Pep Le Bris aux commandes, aujourd’hui sur le podium du championnat, avec le meilleur début de saison de leur histoire, un jeu léché, des buts à la pelle et des compliments qui affluent de partout. Même The Guardian y est allé de son petit focus sur le club morbihannais. Compliqué à vivre pour Pélissier, pressenti pour devenir le nouvel entraîneur d'Auxerre ?

« Quand on dit que le travail est bien fait actuellement à Lorient, ça ne veut pas dire qu’il était mal fait avant, sous ma direction, explique-t-il à 20 Minutes. Les compliments faits actuellement sur ce qu’est en train de réaliser Lorient sont logiques, et puis ça s’arrête là. On a fait notre bout de chemin avec ce club et, maintenant, on tourne la page, sans pour autant l’ignorer, parce qu'on a passé de bons moments. » »

« Il ne faut pas se blâmer à outrance »

« De toute façon, on ne peut pas se dire : "Tiens, j'aurais dû faire ça ou ça", en voyant son ancienne équipe évoluer, insiste Patrice Garande, ex-coach de Caen ou Dijon. Vous avez votre vision du foot à vous. Heureusement que chaque entraîneur est différent, il faut garder sa personnalité. Et puis, il y a tant d’éléments qui sont importants pour la réussite d’une équipe. »

A Lorient, par exemple, de nouveaux joueurs sont arrivés, une nouvelle dynamique a été lancée, Le Bris est plus « Lorient compatible » et les joueurs se sont aussi remis en question après des années compliquées. « Et puis, Le Bris se sert aussi de ce qui a été fait par Pélissier, assure Fred Hantz. On l’oublie trop souvent, mais le travail qui est fait avant, “l’héritier” en bénéficie. Là où ça peut être frustrant, c’est lorsqu’il y a un changement notable en cours de saison après un changement d’entraîneur. »

Alors, pour le coach qui se retrouve seul à table le midi avec son plat Picard, quels sont les ressorts pour rebondir face à ce monde cruel ? « Pour les entraîneurs, il ne faut pas oublier, quand ils voient leur ancienne équipe performer, de ne pas se blâmer à outrance sur une remise en question excessive qui manquerait d’objectivité », explique Cédric Quignon Fleuret, psychologue du sport et préparateur mental, passé par Monaco et Bordeaux. L’après doit servir à l’entraîneur à se ressourcer, travailler pour voir ce qui a bien et moins bien fonctionné dans le club que l’on vient de quitter, volontairement ou non.

L’accompagnement psychologique encore tabou

« Il faut être capable de faire une analyse sans concession, juge Patrice Garande. Cette période est indispensable avant de reprendre un club. Il faut faire le deuil de ce qu’on a fait avant. Moi, je le fais en parlant avec les joueurs avec qui j’ai travaillé, avec mon staff. Il n’y a, en tout cas, aucune animosité, aucune jalousie, parce que le club derrière a des résultats. » « Les modèles de reconstruction sont vraiment très personnels, reprend Hantz. Ça dépend de comment a été vécue la fin de l’aventure, qui peut, parfois, être un soulagement, une grosse blessure ou un profond sentiment d’injustice. »

D’où la nécessité, pour celui qui avait fait vibrer la France du foot avec Grafite, De Melo ou Matsui au MUC 72, que l’entraîneur, soumis à une pression énorme, bénéficie d’un « accompagnement, d’une personne ressource pour évacuer certaines interrogations ».

« Même s’ils ont conscience que ça s’inscrit dans une norme, ça reste quand même un métier violent, ajoute Cédric Quignon Fleuret. On va beaucoup dire que ce sont des gens privilégiés, avec de très bons salaires, mais il n’en demeure pas moins que ça reste des êtres humains. Et le mal-être des coachs reste encore tabou. Très peu se font accompagner. » »

Après avoir été démis de ses fonctions par le board lorientais, Christophe Pélissier a pu un peu souffler pour évacuer toute cette pression en étant consultant sur Prime Video. « Ça me permet de préparer des matchs et de regarder les équipes, comme si j’allais les rencontrer. Ça me permet aussi de voir ce que je pourrais améliorer et, d’un autre côté, se décharger mentalement, en faisant beaucoup d’autres choses. Quand on est en poste, on est pris, et très pris, que ce soit sur le plan physique, mental et psychologique. » Pourtant, il va vite replonger dans ce circuit infernal.