CRack LE COUAVC, fractures, lésions… Faut-il craindre les « médecines douces » ?

AVC, fractures, lésions… Faut-il craindre les « médecines douces » ?

CRack LE COUDes médecins ont récemment alerté sur les manipulations des vertèbres et des cervicales effectuées par des ostéopathes ou des chiropracteurs, mettant en avant des risques d’AVC.
Si quelques cas sont documentés, la littérature scientifique à ce propos reste pour autant peu abondante et ces phénomènes mal étudiés.
Si quelques cas sont documentés, la littérature scientifique à ce propos reste pour autant peu abondante et ces phénomènes mal étudiés. - DURAND FLORENCE / SIPA
Alexandre Vella

Alexandre Vella

L'essentiel

  • Des cas d’AVC, de fractures ou de lésions aux dos consécutives à des manipulations chez des ostéopathes ou des chiropracteurs sont remontés par des médecins.
  • Rarissimes, ces cas restent mal documentés.
  • Cela alors que neuf millions de Français souffrent du dos et que le pays est celui qui compte le plus d’ostéopathes.

Crack le cou. Crack le dos. Des manipulations qui peuvent être lourdes de conséquences, si l’on en croit des médecins qui alertent sur les risques liés à certaines pratiques ostéopathiques ou chiropratiques.



La mort en 2016 de Katie May, médiatique mannequin américaine surnommée la « reine de Snapchat », à la suite d’un AVC dont le médecin légiste a établi l’origine comme étant « la manipulation du cou par un chiropracteur », est sans doute le cas le plus emblématique et le plus extrême. Reste que des médecins tentent d’alerter sur les réseaux sociaux, à l’image de Doc Amine, un praticien marseillais suivi par 110.000 personnes sur Instagram et près de 50.000 sur Twitter. Dans un post de début août repéré par BFM TV, ce dernier rapporte le cas d’une patiente envoyée « aux urgences pour une suspicion d’AVC cérébelleux, un peu plus tôt, son ostéopathe lui aurait fait craquer le cou », écrivait-il.

D’autres cas graves sont rapportés dans la littérature scientifique, tel celui rapporté par le journaliste médico-scientifique Marc Gozlan sur son blog du Monde, consacré à l’actualité de la médecine et de biologie. Il relate l’histoire d’une jeune femme restée lourdement handicapée, consécutivement à un AVC survenu trois semaines après une séance de manipulation vertébrale chez un chiropracteur. Une manipulation établie comme en étant la cause, selon les médecins du CHU de Reims. Autant d’histoires effrayantes et isolées qui peuvent être brandies pour discréditer les professions d’ostéopathes et de chiropracteurs, réglementées depuis 2007. Ici et là, d’autres médecins font état de fractures consécutives à de mauvaises manipulations.

« Comme toute personne qui soigne cela peut parfois mal se passer »

« C’est assez malsain », désespère Philippe Sperlingot, président du syndicat français des ostéopathes. « On assiste depuis un an, un an et demi à la montée en puissance de l’ostéobashing, notamment de la part du collectif NoFakemed (regroupement de médecins souhaitant « alerter sur les dangers des fakes médecines »). Je ne dis pas qu’il ne se passe jamais rien, et comme toute personne qui soigne cela peut parfois mal se passer. Mais à ce jour, aucun travail ne démontre de corrélations entre manipulation cervicale et AVC », avance l’ostéopathe installé à Nantes. Pour lui, ce risque d’AVC post-manipulation, « relève un peu du domaine de la croyance. En ce moment la grande question des médecins est de demander si leur patient a vu un ostéo dernièrement et comme 25 % des Français en consulte au moins une fois par an… », illustre-t-il à partir d’une étude réalisée en 2019. « On peut tous avoir un patient qui vient chez nous avec un AVC en cours », poursuit-il. L’AVC est un processus qui peut prendre plusieurs semaines, le temps qu’un caillot de sang se forme, et monte jusqu’au cerveau.

Dès lors, selon l’ostéopathe, l’enjeu réside davantage dans la formation afin de détecter les personnes qui ont soit un caillot en train de se former (et qui peut être la source de la douleur les menant chez l’ostéo) ou chez qui ces manipulations seraient contre-indiquées du fait de fragilité de leurs parois osseuses. Les ostéopathes sont formés en cinq ans dans des écoles reconnues, mais « pas suffisamment contrôlées par l’Etat. Parmi la trentaine d’école en France, il y en a une dizaine qui ne travaille pas bien », estime Philippe Sperlingot.

« Les problèmes de dos ne se règlent pas avec des manipulations, mais avec de l’activité physique »

Au-delà des manipulations qui entraîneraient des conséquences extrêmes comme les AVC pour lesquelles il est « difficile » d’incriminer directement les ostéopathes ou les chiropracteurs, estime Nicolas Pinsault, kinésithérapeute et chercheur à l’université de Grenoble, spécialiste des parcours de soins. Mais pour lui, même si les cas « sont rarissimes », les manipulations des vertèbres et cervicales peuvent bien occasionner des « dissections artérielles », c’est-à-dire, une déchirure d’une artère avec éruption de sang entre deux couches de la paroi vasculaire. Aussi, Nicolas Pinsault assure que des confrères exerçant en clinique du dos opèrent régulièrement des patients avec des lésions aux disques induites par des mauvaises manipulations ou la répétition de celle-ci.

« Le problème, est qu’à l’inverse des Etats-Unis, les ostéopathes et chiropracteurs français ne sont pas reconnus comme des professionnels de santé et, ils ne disposent pas de radio pour constater d’éventuelles lésions avant/après manipulations », avance-t-il. Avec un ostéopathe pour un peu plus de 3.000 habitants, la France est le pays au monde comptant le plus grand nombre de ces praticiens. Et selon le chercheur l’explication est à trouver dans l’insuffisance de la médecine conventionnelle dans certains soins. « Neuf millions de Français souffrent du dos, et la réalité, c’est que nous ne sommes pas bon dans cette problématique donc les patients se tournent vers des ostéopathes ou des chiropracteurs. Quand on a une infection bactérienne, on ne songe pas à la médecine alternative », expose-t-il. « Les problèmes de dos ne se règlent pas avec des manipulations, mais essentiellement avec de l’activité physique », poursuit le kinésithérapeute.

Des études peu abondantes

A l’association française des chiropracteurs, on « prend le problème très au sérieux », assure Charlène Chéron, sa porte-parole. « Il y a une appréhension des médecins vis-à-vis des approches non conventionnelles et avec les ostéopathes, nous sommes souvent mis dans le même panier que les étiopathes et les naturopathes qui sont des professions non réglementées », regrette-t-elle. Une étude britannique de la Chiropractic & Manual Therapies publiée en 2017, « suggère qu’il n’y aurait pas de relation de cause à effet entre les manipulations de la colonne vertébrale et les AVC », et conclut « qu’il semble possible que des pathologies préexistantes pourraient accroître le risque d’occurrence de ces événements. En conséquence, l’enjeu réside dans la détection de ces facteurs risques ».

La littérature scientifique à ce propos reste pour autant peu abondante et ces phénomènes, in fine, peu étudiés. Ce qui semble logique, au regard de la relative nouveauté de ces professions, qui se sont structurées depuis le début du siècle.