ReportageDans les pas des agents chargés des dossiers de successions sans héritier

Toulouse : Comment des agents des finances se transforment en détectives pour gérer les successions sans héritier

ReportageAlors qu’un site Internet a été mis en ligne pour faciliter les informations sur les successions vacantes, les agents des finances publiques de Toulouse sont amenés à gérer de plus en plus de dossiers sans héritier
Annie Pelata et Grégory Lagardère, deux agents des finances publiques de Toulouse en charge des successions vacantes, ici lors d'un inventaire chez un défunt.
Annie Pelata et Grégory Lagardère, deux agents des finances publiques de Toulouse en charge des successions vacantes, ici lors d'un inventaire chez un défunt.  - B. Colin / 20 Minutes
Béatrice Colin

Béatrice Colin

L'essentiel

  • Chaque année, des agents du service du Domaine gèrent les « successions vacantes », ces dossiers dans lesquels aucun héritier ne s’est manifesté ou ceux connus ont refusé l’héritage.
  • Pour faciliter leur gestion, la direction des finances publiques a lancé un site Internet qui permet aux héritiers, comme aux créanciers, de s’informer sur les successions vacantes.
  • A Toulouse, le service chargé de ces successions vacantes voit arriver de plus en plus de dossiers de ce type à gérer.

Ce jour-là, Annie Pelata et Grégory Lagardère ont rendez-vous avec le serrurier devant une petite maison de quartier aux volets bleus fermés de Graulhet, dans le Tarn. Ces deux agents des finances publiques de Toulouse, en charge des dossiers de successions vacantes, ont à peine posé le pied hors de leur voiture qu’une voisine les interroge sur l’avenir de ce bien immobilier, à l’abandon depuis une dizaine d’années. La jeune femme ne cache pas qu’à chaque fois qu’elle voit du mouvement de ce côté-là de la rue, elle jette un œil de peur de voir des squatteurs s’installer.

« C’est souvent ce que nous disent les riverains. Ils nous demandent aussi si le bien est à vendre », relève Grégory Lagardère un des agents du pôle de gestion des patrimoines privés, un service souvent méconnu du grand public. Depuis peu, il peut donner l’adresse d’un site gratuit dédié aux successions vacantes, qui permet d’expliquer leur rôle mais surtout d’informer les héritiers et éventuels créanciers sur l’avancée d’un dossier. Plus besoin d’éplucher les annonces légales

L’an dernier, la justice a mandaté « Le Domaine » à 637 reprises pour gérer des cas de succession sur sept départements de l’ancienne région Midi-Pyrénées. « Nous sommes nommés lorsqu’il n’y a pas d’héritier, soit parce que ceux connus ont renoncé ou refusé la succession après un délai de six mois à compter de l’ouverture de la succession, soit parce qu’ils n’ont pas été retrouvés », explique Annie Pelata.

De plus en plus de refus d’héritage

A Graulhet, la propriétaire, qui a passé quelques années en maison de retraite, est décédée depuis longtemps et ses descendants ont refusé l’héritage, qui s’accompagnait de créances. C’est souvent ce qui motive les proches à ne pas l’accepter, de peur de devoir sortir de l’argent plutôt que d’en bénéficier lorsque les traites de la maison de retraite ou le passif auprès des impôts est réglé. « Les personnes âgées restent de plus en plus longtemps en Ehpad, il y a les créances d’aides sociales à payer que les biens ou les liquidités ne permettent pas de couvrir et il y a ainsi de plus en plus d’héritiers qui refusent la succession. Il y a quelques années encore, on connaissait son cousin au quatrième degré, aujourd’hui les liens sont plus distendus et il est plus difficile à localiser », poursuit Annie Pelata.

Sauf que les créances courent toujours. Parfois il s’agit d’un employé de maison qui n’a pas perçu son salaire, des crédits à la consommation en cours. Ou, comme c’est arrivé une fois au service du « Domaine » de Toulouse, une personne qui avait été grièvement blessée par le défunt et qui n’avait pas perçu tous les dommages et intérêts à la suite de l’accident. Il arrive aussi que le maire, qui s’inquiète de voir un logement vacant sur sa commune, saisisse la justice.

Si la gestion des héritages incombe le plus souvent aux notaires, les dossiers de successions vacantes sont confiés aux agents de ce service spécifique des finances publiques. Et ils tombent rarement sur des cas de millionnaires sans cousins en Amérique. Pour y voir plus clair, ils vont mener un travail d’enquête, administrative dans un premier temps, mais aussi sur le terrain lorsqu’il y a un bien immobilier. Comme dans cette petite maison où les traces d’une vie passée sont parfois réduites au minimum.

Une fois le dossier clôturé, l’héritier peut encore se manifester

Munis de gants et d’une lampe torche, Grégory Lagardère et Annie Pelata ouvrent les portes les unes après les autres à la recherche de papiers et peut-être d’un testament olographe ou du moindre papier qui pourrait leur en apprendre un peu plus sur le patrimoine de l’ancienne occupante. Une horloge par ici, un buffet par là, ils photographient tout et envoient en direct les images sur une appli qui estimera la valeur de ces biens. A l’étage, en ouvrant une fenêtre dans une pièce isolée, ils tombent sur la dépouille d’un chat momifié, installé sur un lit, certainement depuis des années. Le cœur bien accroché, ils continuent à faire leur inventaire.

Cette fois-ci, rien de précieux n’est trouvé qui pourrait augmenter la balance des actifs de la succession. C’est certainement un brocanteur qui viendra récupérer les meubles. La maison finira par être vendue et le dossier sera clôturé une fois que les créanciers auront été dédommagés. « A l’issue, si personne ne se manifeste dans des délais raisonnables, nous pouvons aller devant le juge et lui demander, s’il existe un reliquat, qu’il aille au patrimoine de l’Etat. Sur cette somme, 75 % seront consacrés à la Fondation du patrimoine. Mais si un héritier de manifeste dans le délai de dix ans de prescription, on lui restituera son héritage », assure Annie Pelata qui compte en général sur les doigts d’une main les dossiers « bénéficiaires » à l’issue de la procédure. Son service en a déjà géré 580 depuis le début de l’année et elle s’attend à ce que ce chiffre grimpe de 30 % au cours de la prochaine décennie.

Avec son lot d’histoires, pas toujours roses. Comme ces maisons de personnes victimes du syndrome de Diogène qu’il faut gérer ou ces drames intrafamiliaux qui se sont soldés par des meurtres. Ou ce moment d’émotion quand ils ont pu permettre à une petite fille de 7 ans de récupérer ses jouets et des affaires de sa maman décédée. Ces tranches de vie, ces agents des finances publiques finissent parfois par en parapher les dernières lignes. « Il faut faire preuve d’humanité et dans mon équipe il y a vraiment des passionnés. On a le sentiment de faire quelque chose d’utile », conclut Annie Pelata.